La Maison-Dieu n°311 : La formation en musique liturgique

L’invitation du pape François à développer la formation liturgique qu’il a formulée dans sa lettre Desiderio desideravi[1], a résonné fortement dans le milieu des liturgistes francophones[2]. D’autant que nombre d’entre eux s’interrogent sur ce que devrait être – pourrait être – une telle formation que le pape qualifie sous deux aspects majeurs et complémentaires : la formation à la liturgie pouvant conduire à une formation par la liturgie. Nous retrouvons dans cette approche l’intuition fondamentale du Mouvement liturgique, rappelée par le pape, et que formula de manière particulièrement éloquente Joseph A. Jungmann[3] dans sa conférence lors du premier congrès international de pastorale liturgique (Assise, 1956) : quand on parle de pastorale liturgique, il faut tenir que c’est surtout la liturgie qui est pastorale !

Le dossier de cette livraison voudrait faire droit à cette demande du pape, particulièrement du côté de la musique liturgique qui fait partie intégrante de la liturgie et en est une composante essentielle. Mais comment former les musiciens d’église à la liturgie ? Comment former des liturgistes à cette dimension essentielle qu’est la musique en liturgie ? L’expérience du Certificat de musique liturgique (CML) développée depuis 2005 au sein de l’Institut supérieur de liturgie (ICP), constitue pour cela un appui particulièrement instructif.

Dans le premier article du dossier, Olivier Praud, responsable du CML, démontre comment l’action musicale constitue une dimension décisive en liturgie, dont les caractéristiques représentent de vrais enjeux théologiques pour la formation liturgique. La musique liturgique apparaît comme un lieu essentiel pour comprendre et analyser la manière dont la liturgie manifeste et réalise la relation au mystère de Dieu dans nos réalités humaines et nous fait entrer par la foi dans une forme de vie.

L’article de Frère Patrick Prétot, fondateur du CML, cherche à penser la formation liturgique des musiciens dans le contexte de crise que nous connaissons. L’auteur a l’art de désigner le monde dans lequel nous vivons, avec ses chances, ses limites et ses contradictions. Le constat qu’il pose d’un monde éclaté, montre l’impérieuse nécessité d’aborder la question de la musique en liturgie. Pour ce faire, il nous propose une relecture de l’expérience du CML qui consiste à offrir aux étudiants non seulement des compétences mais aussi des outils de discernement.

Les trois articles qui suivent abordent la formation en musique liturgique sous trois angles différents : Julien Courtois, maître de chapelle mais aussi enseignant au CML, relit le parcours de ce dernier et relève le bénéfice que peuvent en tirer les musiciens d’église ; Sylvain Dieudonné, chef de chœur grégorien et enseignant au CML, aborde la spécificité du chant grégorien et l’intérêt fondamental de se former à celui-ci pour guider le discernement en matière de musique rituelle ; Emmanuel Bellanger, organiste et ancien responsable de l’Institut de musique liturgique, développe les enjeux d’une formation liturgique des organistes.

Dans le dernier article du dossier, François-Xavier Ledoux s’essaie à traiter la délicate question du choix du répertoire de chants liturgiques. Il propose, dans le sillage de la lettre du pape Desiderio desideravi, une manière originale et pertinente de former les responsables au discernement quant au répertoire choisi. L’audace vaut d’être soulignée, d’autant que l’auteur s’appuie pour cela sur la longue tradition de l’Église et offre des pistes stimulantes.

L’article proposé en varia est une étude de Julien Sauvé sur l’espace liturgique de Taizé. La communauté des frères parvient à y associer les jeunes pèlerins venus en nombre en une seule assemblée célébrante. Il pointe les enjeux œcuméniques, ecclésiologiques et liturgiques de cet espace liturgique particulier par sa modularité et sa capacité à accueillir la pluralité confessionnelle.

Dans notre rubrique, désormais régulière, consacrée à la Nouvelle traduction du Missel romain en langue française (édition de 2021), Christophe Lazowski nous propose une analyse très fouillée et documentée sur l’Orate fratres. Non seulement il en présente l’histoire au long des siècles – avec les nombreuses adaptations dont il a fait l’objet –, mais son étude parvient à nous convaincre que la souplesse proposée par le (nouveau) Missel romain est une chance pour mieux saisir la portée théologale de ce dialogue et la tradition sur laquelle il s’appuie.

Signalons enfin à nos lecteurs, la note de lecture réalisée par André Haquin sur l’ouvrage majeur consacré à Jean-Yves Hameline et à ses travaux en musique liturgique qui continuent de nous inspirer. Elle est suivie, comme à chaque livraison, par la recension de quelques livres.

[1]. Pape François, Lettre pastorale Desiderio desideravi, « J’ai désiré d’un grand désir », 29 juin 2022.

[2]. Cf. Patrick Prétot, « La lettre apostolique Desiderio desideravi du pape François. Une nouvelle manière d’aborder le débat en liturgie », LMD310, 2022/4, 81-107.

[3]. Joseph A. Jungmann, « La pastorale, clé de l’histoire liturgique », LMD 47-48, 1956, 47-65 ; repris dans LMD 300, 2020/2, 95-108.

Sommaire

L’impact de la musique dans la formation liturgique, Olivier Praud

La capacité formative de la musique liturgique (une ambivalence ; le lien réciproque entre acte de chant et acte de foi). Liminalité de la musique liturgique (la grâce de la musique ; les conditions de l’expérience croyante ; vox ecclesiae). La musique dans la formation liturgique.

 

Penser la formation liturgique des musiciens en contexte de crise. Une relecture de l’expérience du CML pour envisager un avenir, Patrick Prétot

Introduction. Autour de la notion de crise. Un chant liturgique en crise : nouveauté ou réalité permanente ? (une crise du chant liturgique ; une crise permanente). Relire le projet du Certificat de musique liturgique. Quelle fécondité ? Conclusion.

Le Certificat de musique liturgique (CML). Un lieu de formation des musiciens d’Église de France, Julien Courtois

Enraciné dans la tradition musicale de l’Église. Un ministère liturgique. L’évangélisation du peuple de Dieu. Conclusion.

La formation au chant grégorien aujourd’hui : intérêts et enjeux, Sylvain Dieudonné

Le concile Vatican II. Apport de sa connaissance et de sa pratique. Le chant et la Parole. Le chant dans l’action et le temps liturgique.

Formation liturgique pour les organistes. Enjeux, nécessité, possibilités, Emmanuel Bellanger

Introduction : une formation nécessaire. Les enjeux d’une formation liturgique. La nécessité d’une formation liturgique. Les possibilités d’une formation liturgique. Expérience musicale, expérience liturgique. Conclusion.

Comment former au discernement pour le choix des chants liturgiques ?, François-Xavier Ledoux

Un état des lieux (L’influence de facteurs extérieurs ; faut-il alors une parole d’autorité ?) Former pour la liturgie : une méthode évangélique (s’approcher et marcher avec ; se mettre à l’écoute ; relire à la lumière d’une autre parole). Former par la liturgie (offrir l’action de grâce ; repartir différent).

Varia

« Élargis l’espace de ta tente ! » (Is 54, 2). Espace liturgique et œcuménisme à Taizé, Julien Sauvé

Introduction. Unanimité dans le pluralisme (l’œcuménisme s’enracine dans la liturgie ; l’œcuménisme n’est pas un but mais un préalable). Un espace modulable (partir de l’assemblée ; accorder l’espace au temps ; articuler deux communautés). Des espaces confessionnels (la crypte ; la chapelle orthodoxe ; le chœur de l’église. Conclusion.

Nouvelle traduction du Missel romain

Le sacrifice de toute l’Église. Avatars et interprétations de l’Orate fratres en vue d’un discernement théologique et pastoral, Christophe Lazowski

Introduction. Histoire et avatars d’un apport gallican à la messe romaine (un usage inconnu à Rome ; en Gaule franque : le témoignage des Ordines romani de la messe ; le témoignage des commentaires de la liturgie ; une perspective pénitentielle ; un foisonnement de formulaires dans les sacramentaires au tournant du millénaire ; une diversité le long du IIe millénaire). Pourquoi demander la prière des fratres ? (dégager une dynamique ; qui sont les fratres ? qui offre le sacrifice ? une offrande diversifiée ; pourquoi offre-t-on ?). Pour une réception sereine d’une double traduction.

Note de lecture

Hommage à Jean-Yves Hameline : « Sur le culte divin et la musique. Écrits rassemblés », André Haquin

Les livres

 Abstracts

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