Sacrosanctum Concilium, quelques apports éminents

Dans un article publié en 2003 dans la revue Célébrer, Mgr Albert-Marie de Monléon s’emploie à montrer combien la Constitution sur la sainte Liturgie du Concile Vatican II est toujours pertinente quarante après. Il rappelle d’abord les « apports éminents » de la Constitution puis ajoute des « points d’attention » afin de permettre aux communautés ecclésiales de continuer de se l’approprier. Ces rappels demeurent actuels.


Voici quelques-uns des apports éminents de ce document pour la liturgie et la vie chrétienne.

1. La liturgie présence du Christ et épiphanie de l’Église
Soulignons d’abord que toute la rénovation souhaitée par le Concile pour la messe, les sacrements, les sacramentaux, l’office divin, l’année liturgique, a pour centre de gravité la mise en valeur, la proclamation du Christ Seigneur, en son mystère pascal. La centralité du Christ, présent dans la liturgie, a pour corollaire immédiat dans Sacrosanctum Concilium (SC) la manifestation de la nature authentique de l’Église, puisque « c’est du côté du Christ endormi sur la croix qu’est né l’admirable sacrement de l’Église tout entière. » . La liturgie est, indissociablement, présence du Christ et « épiphanie de l’Église » . Mais cette épiphanie de l’Église unie au Christ, célébrée par la liturgie doit retentir dans la vie des fidèles s’unissant sacramentellement au mystère pascal du Christ et très spécialement dans l’Eucharistie (cf. SC n° 10).

2. La participation active
C’est pourquoi, s’il fallait résumer l’apport majeur de Sacrosanctum Concilium, on peut dire qu’il consiste dans l’appel à la « participation active » des fidèles. Le Pape Jean-Paul II dans sa récente encyclique L’Église vit de l’eucharistie, reprenant plusieurs des termes de SC, se plaît à souligner : « Il n’y a pas de doute que la réforme liturgique du Concile a produit de grands bénéfices de participation plus consciente, plus active et plus fructueuse des fidèles au saint sacrifice de la Messe. (n° 10) » Cette « participation pleine, consciente et active » (SC n° 14) est demandée non seulement « par la nature de la liturgie elle-même », mais par le caractère baptismal du peuple chrétien et son incorporation au mystère pascal du Christ. Encore faut-il bien comprendre cette participation active, non pas comme une auto-animation ou une auto-réalisation de l’assemblée célébrante, mais comme le chemin de l’intériorisation du Mystère. En effet, lorsque le Concile invite les fidèles à une « participation active et consciente », il s’agit d’abord d’une entrée dans le mystère du Christ, d’une appropriation de son mystère pascal, d’en faire le cœur de sa vie comme il est au cœur de la vie de l’Église. Pie XII dans Mediator Dei, dont Sacrosanctum Concilium reprend plusieurs aspects, invitait déjà les fidèles « à participer au sacrifice eucharistique avec une attention et une ferveur qui les unissent étroitement au Souverain prêtre. » (Mediator Dei II, II ; SC n° 48) De son côté, Sacrosanctum Concilium se soucie que dans la célébration eucharistique « les fidèles n’assistent pas à ce mystère de la foi comme des spectateurs étrangers ou muets, mais que, le comprenant bien, dans ses rites et ses prières, ils participent consciemment, pieusement et activement à l’action sacrée. » (SC n° 48) Ceci induit d’abord la nécessité d’une formation des fidèles à l’action liturgique. En second lieu, cette compréhension doit tendre à une intériorisation à la fois personnelle et communautaire qui « enflamme les fidèles à la charité pressante du Christ. » (SC n° 10)
Par ailleurs, il convient de remarquer que la participation active unit deux dimensions qui s’appellent l’une l’autre : la première, intérieure, invisible ; la seconde, sensible, perceptible dans la célébration elle-même. Leur unité n’est d’ailleurs pas sans analogie avec le mystère de l’Incarnation. « Car il appartient en propre à l’Église d’être à la fois humaine et divine, visible et riche de réalités invisibles. » (SC n° 2) Par conséquent, la participation active comme union au Christ correspond à la nature même de l’Église. En effet, pour Sacrosanctum Concilium la participation « consciente, pieuse et active » consiste essentiellement pour les fidèles à être « absorbés (consummentur) par la médiation du Christ, dans l’unité avec Dieu et entre eux. » (SC n° 48) Or, ce fruit de la participation active n’est pas sans anticiper sur l’admirable définition de l’Église en Lumen Gentium n° 1 : « Elle est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et l’instrument, de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain. »
La participation active des fidèles n’est donc pas simplement une forme nouvelle de liturgie adaptée pour faire droit à un plus grand besoin de participation de l’homme moderne, elle est demandée par la nature même du mystère pascal et par celle de l’Église où tous les baptisés sont membres vivants du Corps du Christ. Sur ce point, l’apport de la liturgie rénovée par le Concile est décisif pour la vie de l’Église. Car « il existe un lien très étroit et organique entre le renouveau de la liturgie et le renouveau de toute la vie de l’Église. »

3. Place de la Parole de Dieu
Toujours dans la ligne des apports essentiels de Sacrosanctum Concilium que nous avons toujours à approfondir, notons encore la large place redonnée à la parole de Dieu « on ouvrira [aux fidèles] plus largement les trésors bibliques » (SC n° 51), « en une lecture de la Sainte Écriture plus abondante, plus variée et mieux adaptée. » (SC n° 35, 1) L’un des apports majeurs du Concile dans la liturgie a été en effet le redéploiement de la parole de Dieu, par exemple, en retrouvant la tradition ancienne de plusieurs lectures avant l’Évangile, tirées de l’Ancien et du Nouveau Testament.

 

4. Réintroduction de l’importance de la venue du Seigneur dans la gloire
Un autre apport essentiel pour la vie chrétienne est la réintroduction de l’invocation, chère à l’Église des origines, du Seigneur en sa venue dans la gloire, à plusieurs moments clés de la célébration . Ainsi, après la consécration, l’assemblée acclame le mystère de la foi en la personne du Christ sacramentellement présent : « Gloire à toi qui étais mort, gloire à toi qui es vivant, notre Sauveur et notre Dieu : Viens Seigneur Jésus ! » Cette attente de la venue du Seigneur, que hâte chaque eucharistie, est au cœur de la vie de l’Église et devrait être au cœur de la vie des baptisés. Sans cette attente, dont l’eucharistie est le viatique, la nourriture anticipatrice, notre vie de baptisé est amputée. La liturgie de la communion restaurée par le Concile montre à quel point l’Église – Épouse veille dans l’attente de la venue du Christ – Époux lorsqu’elle invite chacun de ceux qui vont communier par ces paroles : « Heureux les invités aux Noces de l’Agneau. »

5. La communication des fidèles
Le cinquième apport significatif est l’importance de la communion des fidèles, dans sa continuité avec l’ensemble de la célébration de la messe, et comme sommet en quelque sorte de leur participation active. C’est ainsi que la Constitution « recommande fortement cette parfaite participation à la messe qui consiste en ce que les fidèles, après la communion du prêtre, reçoivent le Corps du Seigneur avec des pains consacrés à ce même sacrifice. » (SC n° 55) Or, malheureusement, quarante ans après, cette recommandation n’est pas toujours complètement appliquée et demeure même, parfois, inconnue.

6. Revalorisation de l’Office divin
Parmi les remises en valeur opérées par le Concile concernant la liturgie est la revalorisation de l’Office divin, de sa valeur théologale et pastorale, avec notamment la recommandation de proposer aux laïcs la célébration commune des heures principales, les dimanches et jours de fête, et également, dans d’autres occasions, leur récitation en privé (cf. SC n° 100).

7. Autres apports
Il est encore bien d’autres points de renouveau advenus par la liturgie restaurée sur lesquels je ne peux m’attarder, comme la concélébration, le nombre et la qualité des nouvelles Préfaces, la simplification des rites dont les ajouts de l’histoire obscurcissaient le sens, la place reconnue de l’art sacré, etc.

POINTS D’ATTENTION POUR LES COMMUNAUTES ECCLESIALES

Pour permettre aux communautés ecclésiales de recevoir encore tous les fruits de Sacrosanctum Concilium, je proposerais volontiers quelques pistes.

  •  Entrer en profondeur dans nos célébrations, en lien avec ce qui est proposé avec le document « Allez au cœur de la foi » dans toute la dynamique du mystère pascal et spécialement de la Vigile pascale.
  • Vivre toujours mieux la profonde unité entre le mystère célébré et l’Église, Corps du Christ. Le mystère célébré se reçoit de la Tradition vivante, nul n’étant propriétaire de la liturgie. Prenons donc conscience que les adaptations personnelles, de prêtres, de laïcs, ou proposées par des revues, en croyant aller dans le sens de la participation active, en réalité, ne la favorisent pas, parce que ces adaptations sont souvent très subjectives. « Les actions liturgiques ne sont pas des actions privées… elles appartiennent au Corps tout entier de l’Église. » (SC n° 26) « Que personne ne s’arroge la liberté de se donner à soi-même des règles et de les imposer aux autres de son propre chef ! » C’est d’ailleurs ce qu’ont souligné très fermement le Concile (SC n° 22,3) et, à sa suite, le Pape Jean-Paul II . Participation active et corps ecclésial sont de fait indissociables.
  • Avoir tous à cœur, célébrants et fidèles, pour mettre en œuvre l’esprit et la lettre du Concile, de nous approprier la présence du Christ dans sa Parole : « Cela doit se voir dans la dignité du livre et du lieu de la proclamation de la parole de Dieu, dans la tenue du lecteur et la conscience qu’il a d’être le porte-parole de Dieu devant ses frères. »
  • Redonner toute sa vigueur à la proclamation de la venue du Seigneur au moment de l’anamnèse et de la prière après le Notre-Père.
  • Être attentifs, lors de la communion, à mettre en œuvre ce que nous demande la liturgie, à savoir : prendre quelques instants de silence après avoir reçu le corps du Christ, car c’est là une forme importante de la participation consciente et active dans l’union au Christ et les uns avec les autres.

CONCLUSION
Le synode des évêques en 1985, à Rome, a souligné que l’une des caractéristiques essentielles et fondamentales du concile Vatican II est de considérer l’Église comme mystère de communion c’est-à-dire comme l’unité vivante et mystérieuse des fidèles saisis dans le Christ. De ce point de vue, l’apport du Concile et de la liturgie rénovée est décisif pour la vie de l’Église, notamment par la participation active des fidèles et c’est notre devoir de nous l’approprier sans cesse. Ainsi, en continuant de mettre en œuvre les orientations de Sacrosanctum Concilium nous découvrirons combien « le zèle pour l’avancement et la restauration de la liturgie est tenu à juste titre… comme un passage du Saint Esprit dans son Église. » (SC n° 43)

Mgr Albert-Marie de Monléon
(reprise d’un article de la revue Célébrer n°324, p.21-24, éd. du Cerf, 2003)