Rendre hommage au défunt ou le recommander à Dieu ?
L’habitude prise aujourd’hui de présenter les défunts au début de la célébration des funérailles et la place donnée à leurs proches peuvent amener à poser la question qui fait l’objet de cette réflexion.
La valorisation de ce qu’il y a eu de meilleur dans leur vie, qui constitue l’essentiel de bien des mots d’accueil, interroge : les défunts ont-ils vraiment besoin de prière ? Que demande l’Église à Dieu pour eux ? Alors que l’évocation des défunts privilégie ce qui est motif d’action de grâce, y a-t-il encore place pour l’intercession ?
La réponse du Rituel
La réponse est à chercher dans le rituel de l’Église[1], qui précise dès le début des orientations pastorales (Préliminaires 1, DEC, p.230-231) :
« C’est le mystère pascal du Christ que l’Église célèbre, avec foi, dans les funérailles de ses enfants, pour que, étant devenus par le baptême membres du Christ mort et ressuscité, ils passent avec lui à la vie en traversant la mort : ils doivent être purifiés dans leur âme pour rejoindre au ciel les saints et les élus, tandis que dans leur corps ils attendent l’avènement bienheureux du Christ et la résurrection des morts.
Aussi l’Église offre-t-elle pour les défunts le sacrifice eucharistique de la Pâque du Christ ; pour eux, elle fait des prières et des intercessions afin que, « en raison de la communion qui unit tous les membres du Christ, ce qui obtient une aide spirituelle pour les uns apporte aux autres la consolation de l’espérance. »
Cette conviction de l’importance de la prière et de l’intercession est confirmée un peu plus loin dans ces mêmes Préliminaires :
« En outre, dans les oraisons, la communauté chrétienne professe sa foi et intercède avec affection pour les défunts adultes, afin qu’ils obtiennent auprès de Dieu la béatitude éternelle. L’Église croit que sont déjà parvenus à cette béatitude les petits enfants défunts que le baptême a faits enfants d’adoption de Dieu. On prie aussi pour les parents de ces enfants, comme pour tous les proches des défunts, afin que, dans leur douleur, ils soient consolés par la foi » (Préliminaires 13, DEC, p. 234).
L’expression de cette prière
On prie pour le défunt et avec les vivants à qui est apportée l’espérance. Le principe théologique en jeu est celui de l’intercession efficace de l’Église pour les défunts. Cette conviction, très ancienne, remonte même avant la naissance de l’Église, puisque nous en avons déjà le témoignage dans les derniers livres de l’Ancien Testament, par exemple à l’occasion d’une collecte organisée pour offrir un sacrifice pour les combattants morts :
« C’était un fort beau geste, plein de délicatesse, inspiré par la pensée de la résurrection. Car, s’il n’avait pas espéré que ceux qui avaient succombé ressusciteraient, la prière pour les morts était superflue et absurde… Voilà pourquoi il fit ce sacrifice d’expiation, afin que les morts soient délivrés de leurs péchés » (2 M 12, 43-45).
La prière de l’Église pour les morts est donc fondée, utile, efficace (principe rappelé dès le premier numéro des Préliminaires du Rituel des funérailles). Et cette prière s’exprime de trois façons.
– D’une part, on demande que le défunt passe de la mort à la vie, qu’il partage la victoire du Christ sur la mort, soit associé à sa vie de ressuscité, passe de ce monde vers Dieu, que Dieu l’accueille près de lui (oraison d’ouverture, DEC 189) :
« Seigneur, Dieu des vivants,
toi qui appelles à la vie les corps soumis à la mort,
accueille aujourd’hui l’âme de (ton serviteur/ta servante) N.
Pardonne-lui, dans ta miséricorde,
ce qu’il/elle a pu faire de mal ici-bas :
qu’il/elle connaisse près de toi la joie véritable
et ressuscite pour la vie éternelle,
quand le Christ Jésus viendra juger le monde. »
– D’autre part, et c’est quelque chose qu’on a du mal à réaliser dans nos célébrations (à cause de notre habitude de glorification du défunt), l’Église demande la purification du défunt, c’est-à-dire que ses péchés soient pardonnés. Demande de purification qui passe par des expressions de même sens : «Libère-le du péché» (oraison d’ouverture, DEC 421) :
« Dieu d’amour, source de tout amour,
l’affection que tu as mise en nos cœurs
pour (ton serviteur) N.
nous invite à te prier avec confiance,
toi qui aimes pardonner aux pécheurs
et faire vivre ceux que tu as sanctifiés.
Accorde à notre ami
le bonheur que tu réserves à tes fidèles :
délivre-le de ce qui le sépare encore de toi
et donne-lui de se tenir devant ta face
au jour de la résurrection. »
– Cette prière s’appuie sur une attitude fondamentale d’espérance qui imprègne l’ensemble du Rituel renouvelé après Vatican II (oraison d’ouverture, DEC 191) :
« Dieu, notre Père,
tu as tellement aimé le monde
que tu lui as envoyé ton propre Fils :
il a vécu sur cette terre,
il est mort et ressuscité
pour que tout homme ait la vie en abondance.
En cette heure de peine
où N. (notre ami/amie) vient de nous quitter,
nous te supplions instamment :
augmente notre amour, avive notre espérance,
donne-nous de croire vraiment
que le Christ est la résurrection et la vie … »
Un équilibre à trouver
En fait, il s’agit de trouver un équilibre entre l’hommage au défunt qui a plutôt sa place au début de la célébration (dans le mot d’accueil, mais aussi plus loin lors du dernier adieu avec l’aspersion, l’encensement et le défilé devant le cercueil) et, la recommandation à Dieu qui va progressivement envahir l’horizon des participants, avec la liturgie de la Parole, la prière universelle, la prière de louange (ou le sacrifice eucharistique) et, la dernière remise à Dieu dans la confiance.
La pédagogie induite par le Rituel est pour nous maîtresse de vérité : elle amène progressivement à considérer la vie du défunt comme le lieu de l’action salvifique de Dieu dans notre monde, et à en découvrir la mystérieuse fécondité : loin de s’opposer, l’hommage au défunt et la recommandation à Dieu constituent une sorte de chemin pascal sur lequel la liturgie nous conduit. «À la suite du Christ, l’Église reconnaît que toute vie vient de Dieu, que toute vie va à Dieu et que la mort n’est pas la fin de tout, mais un passage…» (DEC, p. 230).
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[1] Les références renvoient au livre Dans l’espérance chrétienne, Desclée-Mame 2008, désormais cité DEC.