La liturgie des Heures, prière trinitaire
De Jean-Claude Hugues, prêtre, ancien secrétaire de la CELPS et directeur du CNPL
Comme toutes célébrations liturgiques, la liturgie des Heures met en lumière l’union intime qui existe entre l’Église en prière et le Christ en prière. Dans la constitution Laudis canticum, promulguant l’Office divin restauré par décision du concile Vatican II, Paul VI le soulignait : « La prière chrétienne est avant tout la prière de toute la communauté humaine que le Christ rassemble […]. La prière de l’Église est en même temps “la prière du Christ que celui-ci, avec son Corps, présente au Père”.1 »
Dans cette union intime, un double écho est à percevoir : « Il est donc nécessaire que, lorsque nous célébrons l’Office, nous reconnaissions l’écho de nos voix dans le Christ et l’écho de la voix du Christ en nous.[2] »
Prière de l’Église, la liturgie des Heures est donc aussi, et avant tout, prière du Christ s’adressant à son Père dans la mouvance de l’Esprit Saint. Elle est donc prière trinitaire accomplie « au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. »
Ainsi comprise, la liturgie des Heures peut être abordée sous trois angles qui permettent de comprendre l’action trinitaire :
- la prière du Christ adressée au Père (Qui prie dans la liturgie des Heures ?)
- la prière de l’Église adressée au Père et au Fils (Qui est prié dans la liturgie des Heures ?),
- le rôle de l’Esprit Saint dans la prière de l’Église (Qui inspire et porte la prière dans la liturgie des Heures ?)
Qui prie dans la liturgie des Heures ? Jésus-Christ, Fils de Dieu
La source première et essentielle, qui donne la réponse à cette question, est le Nouveau Testament. En effet, « le Fils de Dieu lui-même […] a bien voulu nous laisser divers témoignages sur sa prière » ; « son activité de tous les jours était intimement liée avec sa prière, si tant est qu’elle n’en découlait pas en quelque sorte » ; « jusqu’à la fin de sa vie… le divin Maître a montré que la prière était l’âme de son ministère messianique et l’aboutissement pascal de celui-ci…” ; “enfin, ressuscité des morts, il est vivant pour toujours et prie pour nous[3]. » La PGLH, aux numéros 3 et 4, livre une synthèse vivante de ce qu’est la prière du Christ à son Père en notre faveur. Toutes les prières, dont toutes formes d’exression se retrouvent dans la Liturgie des Heures, sont présentées « à Dieu par le chef de l’humanité nouvelle, médiateur entre Dieu et les hommes, au nom et pour le bien de tous[4]. »
Pour exprimer ce que peut être la prière du Christ et celle de son corps, saint Augustin a une formule synthétique : le Christ « à la fois prie pour nous, prie en nous, et est prié par nous. Il prie pour nous comme notre prêtre, il prie en nous comme notre chef, il est prié par nous comme notre Dieu. Reconnaissons donc nos paroles en lui et ses paroles en nous[5]. »
Le Christ « prie pour nous »
Le Christ est le seul médiateur par qui nous ayions accès auprès de Dieu[6]. Grand prêtre dont le sacerdoce ne passe pas, il est toujours vivant pour intercéder en notre faveur (cf. He 7, 22-28), ainsi, présente-t-il à Dieu son Père nos prières, et il intercède pour toute la communauté humaine et pour tous ceux qui « par le sacrement de la nouvelle naissance » ont avec lui « un lien essentiel spécial et très étroit[7]. » Ainsi lorsque l’Église – c’est-à-dire chacun d’entre nous – rend gloire au Père et intercède pour les vivants et pour les défunts, elle participe à la prière même du Christ.
Le Christ « prie en nous »
Le Christ est la tête de son corps qui est l’Église. Le corps mystique de Jésus Christ ne fait qu’un, de sorte que la tête et les membres sont unis dans une commune prière. « Tout le corps de l’Église participe au sacerdoce du Christ[8] », aussi lorsque l’Église prie, à travers chacun de ses membres, c’est le Christ qui loue sans cesse, rend grâce et intercède pour le salut du monde entier. « En effet, [le Christ] continue cette fonction sacerdotale par son Église elle-même[9]. » La difficulté et l’aridité de la prière ne sont pas pour autant supprimées, mais dans la perspective d’une action commune avec le Christ, elles sont appelées à s’effacer devant l’œuvre qui s’accomplit : le Christ, Fils de Dieu, en nous, prie Dieu le Père.
Qui est prié dans la liturgie des Heures ? Le Père et le Fils
Le Père est prié par le Fils
Il est celui qui, de toute éternité, fait monter vers le Père « cet hymne qui se chante éternellement dans les demeures célestes[10] ». Durant sa vie terrestre, Jésus, Fils de Dieu, dévoile l’intimité qui le lie au Père. Il est sans cesse tourné vers son Père. Le témoignage central de cette communion n’est-il pas le Notre-Père ? et comme le dit la lettre aux Hébreux : Ressuscité d’entre les morts et siégeant à la droite du Père, il est toujours vivant pour intercéder en notre faveur (He 7, 25).
Le Père est prié par l’Église
Grâce à l’adoption filiale conférée par le baptême, tous les membres du corps du Christ sont habilités à prier Dieu, leur Père. La prière du Christ se poursuit donc par la bouche de l’Église, puisque le Fils « prie en nous ». C’est pourquoi, en toute confiance, nous osons dire « la prière que nous avons reçu du Sauveur », le Notre-Père. « C’est en cela que réside la prière chrétienne : elle participe de la piété du Fils unique envers le Père et de la prière que, durant, sa vie sur terre, il a exprimée par la parole et qui, à présent, se perpétue sans interruption dans toute l’Église et en tous ses membres, au nom et pour le salut de tout le genre humain[11]. »
Cependant, le Fils, lui-même, est prié dans la liturgie. Une vraie prière chrétienne ne peut évacuer la prière adressée au Christ, tant dans la dévotion privée que dans la liturgie qui en est le fondement. Les prières d’intercession des prières du matin et du soir sont bien souvent adressées au Christ. De même que dans l’eucharistie, diverses prières sont présentées au « Seigneur Jésus ». La prière adressée au Christ exprime le cœur de la foi : celui qui a pris la condition de serviteur en devenant semblable aux hommes (Ph 2, 7) est le Fils de Dieu exalté à la droite du Père devant qui tout genou fléchit et que toute langue proclame « Jésus Christ est Seigneur », en grec Kyrios. Saint Augustin poursuivant son commentaire du psaume 85 disait : Jésus Christ « est prié par nous comme notre Dieu. »
Tout comme dans la célébration eucharistique, la prière au Père est première. Mais la doxologie des prières eucharistiques exprime le mouvement de la prière chrétienne : « Par lui – le Christ –, avec lui et en lui, à toi, Dieu le Père tout-puissant, dans l’unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles. Amen. »
Qui inspire et porte la prière dans la liturgie des Heures ? L’Esprit Saint
Personne n’est capable de dire : « Jésus est Seigneur » sinon dans l’Esprit Saint, dit saint Paul aux Corinthiens (12, 3), aussi nul ne peut-il prier Dieu et son Fils Jésus Christ, si l’Esprit ne vient à son secours. « Aucune prière chrétienne ne peut donc exister sans l’action de l’Esprit Saint qui, en assurant l’unité de toute l’Église, conduit au Père par le Fils[12]. » L’Esprit Saint est celui qui transfigure notre prière et la rend digne d’être unie à celle du Christ qui se tient en présence du Père et le glorifie.
Lorsque nous prions les mots que l’Église nous confie, l’Esprit, qui est présent dès que nous prononçons la formule d’ouverture, « Seigneur, ouvre mes lèvres » ou « Dieu, viens à mon aide », agit en nous. Il nous donne d’entrer dans l’intelligence de l’Écriture que nous chantons, écoutons et prions. Il habite les silences de la prière pour y faire résonner, intérioriser et savourer plus intensément la Parole entendue. C’est encore lui qui vient à notre secours pour que nous puissions donner une réponse qui jaillit du plus profond de l’âme.
Jésus exulta de joie sous l’action de l’Esprit Saint et il dit « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange[13]. » Dans la liturgie, l’Esprit nous prend dans ce mouvement de louange qui fait des mots, que nous professons dans la faiblesse du jour, les paroles paroles mêmes que l’Église, Épouse du Christ adresse à son Époux, « mieux encore, c’est la prière même du Christ que celui-ci, uni à son Corps, présente au Père » dans le souffle de l’Esprit Saint.
L’Esprit, qui repose sur le Fils lui-même et porte sa prière vers son Père, prie en nous et nous met en communion avec le Fils de Dieu. Sans l’action de l’Esprit Saint, la prière du corps du Christ ne pourrait exister : « L’unité de l’Église en prière est l’œuvre de l’Esprit Saint : c’est le même Esprit qui est dans le Christ, dans l’Église tout entière et en chacun des baptisés[14]. »
Nous ne sommes pas abandonnés à nos seules forces humaines, faillibles et inconstantes. L’Esprit du Christ prie en nous selon un double mouvement qui descend du Père et nous rejoint pour nous transformer, puis remonte par le Christ vers le Père en saisissant notre prière la féconder et lui faire porter du fruit dans nos vies et dans le monde.
Article extrait de la revue Célébrer n°276
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[1]. Présentation générale de la Liturgie des Heures (PGLH), Cerf-Desclée-Desclée de Brouwer-Mame, 1991, p. 5. Ce document se trouve également au début du tome I de La Liturgie des Heures.
[2]. Idem.
[3]. PGLH, n° 4.
[4]. PGLH, n. 3.
[5]. Commentaire du Psaume 85, cité dans PGLH, n. 7.
[6]. PGLH, n. 6 citant 1 Tim 2, 5 ; He 8, 6 ; 9, 15 ; 12, 24 ; Rm 5, 2 ; Ep 2, 18 ; 3, 12.
[7]. PGLH, n. 7.
[8]. PGLH, n. 6.
[9]. Constitution sur la liturgie, n. 83.
[10]. Constitution sur la liturgie, n° 83.
[11]. PGLH, n. 6.
[12]. PGLH, n. 8.
[13]. Lc 10, 21.
[14]. PGLH, n. 8.
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P. Jean-Claude Hugues – Liturgie des Heures, prière trinitaire