La prière des Heures : service de l’union avec Dieu et de l’unité du genre humain

Dans le monde contemporain, la célébration de la Liturgie des Heures, appuyée sur la prière des psaumes, offre un chemin privilégié pour réaliser la définition du mystère de l’Église qui se trouve au début de la Constitution Lumen Gentium : « En annonçant l’Évangile à toute créature (cf. Mc 16, 15), le saint Concile (…) désire ardemment illuminer tous les hommes de la lumière du Christ qui resplendit sur le visage de l’Église. Celle-ci, pour sa part, est dans le Christ comme un sacrement (veluti sacramentum) ou, si l’on veut, le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (LG 1). Telle est l’hypothèse de travail de cet article.

En effet, la Prière des Heures n’est pas seulement une forme particulière de prière, qui serait hautement recommandable en raison de sa longue tradition ou à cause de la richesse spirituelle qu’elle apporte à ceux qui la pratiquent. Parce qu’elle est non seulement la prière des clercs et religieux, mais la prière du peuple de Dieu tout entier, elle est la prière de l’Église pour tous les hommes, prière catholique et universelle, prière par laquelle l’Église accomplit son ministère de signe et d’instrument de l’union avec Dieu et de l’unité du genre humain. C’est bien d’ailleurs ce qu’exprimait Paul VI au début de Laudis Canticum, la Constitution Apostolique qui, le 1er novembre 1970, promulguait « l’office divin restauré » :

“ Le livre de la Liturgie des heures (…) est destiné à soutenir continuellement et à aider cette prière qui manifeste la vraie nature de l’Église priante et en est le signe merveilleux, spécialement lorsqu’une communauté se réunit à cet effet. ”

Dès lors la Prière des Heures constitue le chemin privilégié par lequel les chrétiens actualisent la vocation de l’Église, sacrement de l’union avec Dieu. En même temps, par cette prière, l’Église rejoint en profondeur l’homme contemporain. C’est la raison pour laquelle, on pourrait soutenir, pour le dire à la manière dont Henri de Lubac parlait à propos de l’Eucharistie, que « la prière des psaumes fait l’Église sacrement de l’union intime avec Dieu et de l’unité du genre humain ».

Pour développer cette hypothèse, il convient d’abord de se rappeler que cette vision s’enracine dans une réflexion bien antérieure au Concile Vatican II. On peut dire que c’est l’un des plus beaux fruits du Mouvement Liturgique et de la réforme de Vatican II, même si aux impatients, ce fruit semble tarder à parvenir à maturité. En second lieu, il s’agirait de voir comment la Liturgie des Heures manifeste cette sacramentalité de l’Église (…). Par et dans l’office divin, l’Église, à la fois corps du Christ mais aussi épouse du Christ, rejoint toute l’humanité – non seulement les croyants (…) mais aussi ceux qui ne croient pas – dans le désir d’une communion de la famille humaine qui ferait reculer vraiment l’emprise sur notre monde du malheur et de la division. Enfin, sous forme conclusive, nous voudrions dire pourquoi ces cent cinquante poèmes qui viennent du vieux fond de l’expérience religieuse d’Israël, et même sans doute en partie, des peuples du Moyen Orient ancien, proposent un chemin d’humanité pour notre temps.

Une intuition essentielle du Mouvement Liturgique : le rapport entre vie liturgique et édification du corps ecclésial

L’intuition fondamentale du Mouvement Liturgique est peut-être moins l’idée, certes centrale, de la « participation active » que celle de la relation entre vie liturgique et édification du corps ecclésial. Le Mouvement Liturgique a ainsi ramené la liturgie de la périphérie vers le centre. Il a fait passer d’une approche cultuelle de la liturgie à une conception unifiée de la vie de l’Église dans laquelle la liturgie occupe une place centrale, celle de la fontaine au milieu du village pour reprendre la belle image du Bienheureux Jean XXIII. Alors que la liturgie était considérée jusque là comme l’exercice de la vertu de religion, et on sait que pour l’École, la vertu de religion est une part spécifique de la vertu de justice, le texte de Sacrosanctum Concilium adopte une autre perspective en développant l’idée que la liturgie est le cœur de la vie de l’Église. De ce point de vue, le n. 2 de la Constitution sur la liturgie pose un geste dont on est encore loin d’avoir perçu toute la portée. En donnant une sorte de définition de la liturgie, il exprime au mieux ce déplacement décisif qui ramène la liturgie au centre : « En effet, la liturgie, par laquelle, surtout dans le divin sacrifice de l’Eucharistie, « s’exerce l’œuvre de notre rédemption », contribue au plus haut point à ce que les fidèles, par leur vie, expriment et manifestent aux autres le mystère du Christ et la nature authentique de la véritable Église » (SC 2).

Il y a donc une relation essentielle entre la liturgie, le mystère du Christ et la nature de l’Église. La liturgie n’est pas un aspect particulier de l’action de l’Église, la part cultuelle qui viendrait à côté d’autres aspects comme la mission ou le service du prochain et qui pourrait être confiée à un corps spécialisé de moines ou de chanoines. Mais selon le n. 10 de Sacrosanctum Concilium, elle en est le sommet et la source, car vers elle « tend l’action de l’Église, et en même temps, la source d’où découle toute sa vertu ».

Or cette option soutient l’ensemble du Mouvement Liturgique du XXe siècle, ce mouvement spirituel que Pie XII, dans son grand discours d’Assise en septembre 1956, a salué comme un « signe des dispositions providentielles de Dieu sur le temps présent », le « passage du Saint-Esprit dans son Église » qui tend à « rapprocher davantage les hommes des mystères de la foi et des richesses de la grâce, qui découlent de la participation active des fidèles à la vie liturgique ». Dans ce grand œuvre, on peut évoquer rapidement trois figures parmi beaucoup d’autres.

Celle bien sûr de Dom Lambert Beauduin qui apparaît souvent comme le fondateur de ce Mouvement. Le manifeste de 1914 qu’il publie pour diffuser son combat dans le grand public porte le titre significatif « la piété de l’Église » et on sait que la célèbre phrase de Pie X sur la participation active qui figure en exergue de l’opuscule deviendra une sorte de leitmotiv au risque parfois de se transformer en slogan : « Notre plus vif désir étant que le véritable esprit chrétien refleurisse de multiples façons et se maintienne chez tous les fidèles, il est nécessaire de pourvoir avant tout à la sainteté et à la dignité du temple où les fidèles se réunissent, pré­cisément pour puiser cet esprit à la source première et indis­pensable : la participation active aux mystères sacro-saints et à la prière publique et solennelle de l’Église » [Motu proprio Tra le sollecitudini sur la musique liturgique du 23 novembre 1903]. On notera que dans ce texte, Pie X, qui avait opéré une réforme liturgique d’ampleur concernant le bréviaire romain, mentionne une double source : les mystères sacro-saints, d’une part, et on peut penser qu’il s’agit des sacrements et de l’Eucharistie en particulier, et la « prière publique et solennelle » de l’Église, et là, on peut estimer que cela vise la célébration de l’office divin.

Mais la forte impulsion du fondateur de Chevetogne avait été précédée, dès la première moitié du XIXe siècle, par l’œuvre d’un précurseur en la personne de Dom Guéranger. C’est en effet dans la Préface de l’Année liturgique, un texte de 1841 qui demeure l’un des écrits les plus inspirés de l’Abbé de Solesmes, qu’il développe l’idée que la « prière de l’Église » est « la plus agréable à l’oreille et au cœur de Dieu, et, partant, la plus puissante » ce qui semble une manière d’exprimer l’idée que la liturgie est sommet de la vie de l’Église. Appuyé sur cette conviction, il développe un propos qui peut servir encore de référence à toute recherche pastorale concernant l’office divin :

“ Mais cette prière liturgique deviendrait bientôt impuissante, si les fidèles la laissaient retentir sans s’y joindre de cœur, quand ils ne peuvent y prendre une part extérieure. Elle ne vaut pour le salut des nations qu’autant qu’elle est comprise. Dilatez donc vos cœurs, enfants de l’Église catholique, et venez prier de la prière de votre mère. Venez par votre adhésion compléter cette harmonie qui charme l’oreille de Dieu. Que l’esprit de prière se ranime à sa source naturelle. Laissez-nous vous rappeler cette exhortation de l’Apôtre aux premiers fidèles : Que la paix du Christ tressaille dans vos cœurs : que le Verbe du Christ habite en vous en toute sagesse ; et vous-mêmes instruisez-vous et exhortez-vous mutuellement dans les Psaumes, les Hymnes et les Cantiques spirituels, chantant à Dieu dans vos cœurs, par sa grâce (Col 3, 15-16). ”

Il semble donc erroné de dire que Dom Lambert Beauduin aurait gauchi l’intuition guérangérienne en la coulant dans une vision didactique de la liturgie impliquant son asservissement à des fins pastorales. L’un et l’autre, Dom Guéranger comme Dom Lambert Beauduin, ont eu le souci de redonner au peuple chrétien la liturgie comme source. Leur différence tient à l’évolution de la société au cours du XIXe siècle et à la distance grandissante entre culte et culture. Dès lors Dom Lambert avait une conscience plus vive de l’écart entre le peuple et la liturgie. Il percevait cet écart comme une question de fond alors que pour Dom Guéranger, qui appartient à un temps de restauration, cet écart pouvait sembler essentiellement d’ordre conjoncturel.

On sait que l’Année liturgique sera un prodigieux instrument pour mettre à la disposition du grand nombre, le trésor de la prière de l’Église et notamment de la Liturgie des Heures. Étonnante vision guérangérienne dans un temps où bien des églises monastiques – celles des trappistes notamment – sont en clôture, et donc inaccessibles au public. Intuition prophétique sans doute, mais, il est vrai, un peu irréaliste, dans la mesure où elle ne prenait pas la mesure d’habitudes bien ancrées mais aussi des difficultés concrètes pour atteindre sa visée.

On peut cependant souligner combien le propos guérangérien – et plus généralement celui du Mouvement Liturgique – manifeste une vraie estime pour le peuple chrétien. Contre des conceptions élitistes, pour lesquelles la Liturgie des Heures serait réservée aux sages et aux savants, tandis qu’on laisserait au peuple les exercices de piété, Dom Guéranger fait le pari d’ouvrir tout grand le trésor de la liturgie pour qu’elle soit la source fondamentale de toute vie chrétienne. Son enthousiasme est tel que prenant appui sur une vision assez romantique de l’âge patristique, il voit dans la liturgie le moyen suffisant pour former les prêtres et même les évêques ! Si la Présentation Générale de la Liturgie des Heures affirme avec force l’importance de l’office divin comme « prière publique et commune du peuple de Dieu », c’est parce qu’elle la considère « comme l’une des fonctions principales de l’Église », une manifestation de l’Église qui célèbre de mystère du Christ [cf. PGLH 22, se référant à SC 26 et 84]. Une telle affirmation s’inscrit dans la droite ligne du Mouvement Liturgique. Mais on ne saurait passer sous silence la difficulté d’une telle vision : certes la Liturgie des Heures est un vrai trésor, mais on ne saurait oublier que l’éloignement du peuple dont témoigne l’histoire des pratiques manifeste combien ce trésor est difficile d’accès. Et aucune forme ne pourra jamais en garantir un accès facile à tous. La Liturgie des Heures exige une pastorale adaptée : il ne suffit pas d’en rendre possible la célébration sous une forme ou sous une autre pour que les fidèles (mais aussi les clercs et même les moines) puissent la vivre et surtout puissent en vivre. Les hommes du Mouvement Liturgique ont permis une redécouverte majeure que l’on peut applaudir. Mais ce faisant, ils ont ouvert la porte à une exigence spirituelle difficile à tenir.

Les fondateurs du Centre de Pastorale Liturgique créé en 1943 à l’initiative des dominicains Roguet et Duployé, vont reprendre et prolonger ces intuitions. Dans les années qui suivent la fin de la deuxième guerre mondiale, ces pionniers préparent déjà l’œuvre d’aggiornamento conciliaire à laquelle ils apporteront une contribution de grande importance et dont ils influenceront la réception en France.

Le rapport fondateur du CPL, intitulé « Pour un Mouvement liturgique pastoral » et prononcé par l’oratorien Gaston Morin aux premières journées de Vanves en janvier 1944, indique comme « première tâche » d’un mouvement liturgique pastoral, celle qui consiste à « rendre à notre peuple l’intelligence de la liturgie, et tout d’abord du texte liturgique ». Et le P. Morin précise alors que ce travail est déjà commencé grâce aux nombreux missels latin-français à l’usage des fidèles qui sont le fer de lance de l’apostolat liturgique depuis la fin du XIXe siècle et surtout dans la période de l’entre-deux-guerres. Mais il note que cette œuvre de traduction ne suffit pas : il faut redonner au peuple chrétien le « monde spirituel » qui porte les notions liturgiques devenues étrangères à la culture contemporaine. Or ce monde est biblique, d’où l’importance d’une connaissance spirituelle des écritures pour entrer dans une véritable intelligence de la Liturgie des Heures.

Ces intuitions sur l’importance d’une initiation biblique conduiront les acteurs du CPL dès le début des années 50, et parmi eux notamment le P. Gelineau, à fournir des traductions en français du psautier, mais bien plus à mettre les psaumes dans la bouche chantante des chrétiens. On ne saurait sous-estimer l’immense opération effectuée dans les années 50 en vue de mettre le psautier sur les lèvres des fidèles. Ce travail était difficile car la psalmodie en français est un acte qui a ses propres exigences. La langue latine et le français n’obéissent pas aux mêmes règles d’accentuation. Plus encore, le fait de psalmodier dans sa propre langue transforme en profondeur le rapport au texte même des psaumes. Paul VI en eut une vive conscience et c’est pourquoi il opta pour la solution consistant à ne pas chanter les versets imprécatoires dans la Liturgie des Heures. On sait que la vie monastique a globalement résisté à cette perspective, en gardant le texte intégral du psautier, par respect pour la Parole de Dieu sans doute, mais aussi par conviction proprement monastique : en chantant les psaumes, spécialement les versets difficiles, c’est-à-dire ces mots qui crient et rappellent l’humanité dans ce qu’elle a parfois de sauvage, le moine travaille à chercher l’humilité, une recherche inséparable de celle de la vérité.

Que retenir de ces brefs rappels historiques ? À un moment où nous pouvons entendre à l’égard du Mouvement Liturgique et de l’œuvre de Vatican II, des critiques parfois rapides et superficielles, il est important d’enraciner à nouveau nos réflexions dans cette histoire. Plus encore, le désir de redonner au peuple de Dieu la liturgie comme source, désir qui s’est incarné dans la notion de « pastorale liturgique », ne peut être pensé en dehors de son enracinement dans la redécouverte de la « nature » profonde de la liturgie. La pastorale liturgique n’est pas une sorte de technique d’animation spécialisée pour les choses cultuelles, et dont certains pourraient récuser par conséquent la démarche et les options. Elle est bien plutôt une dimension essentielle de la vie de l’Église car il en va de la nature même de la vie liturgique et non de ses modalités. Évidemment, ceci invite tous les acteurs à se demander en quoi leurs projets prennent vraiment la mesure de cette redécouverte ?

La Liturgie des Heures, service de l’union avec Dieu et de l’unité du genre humain

Comment la Liturgie des Heures participe-t-elle à la sacramentalité de l’Église qui est service de l’union avec Dieu et de l’unité du genre humain ? Cette question est évidemment trop vaste […] Nous nous contenterons de trois remarques.

C’est encore le texte de la Constitution Laudis Canticum de Paul VI qui fournit ici le meilleur de l’horizon de la réflexion. En effet dans un paragraphe intitulé « l’Église en prière », ce document capital note que la « prière chrétienne est avant tout la prière de toute la communauté humaine que le Christ rassemble ». Et il ajoute aussitôt : « Chacun participe à cette prière, qui est la prière propre d’un corps unique, car en elle s’unissent les prières qui expriment la voix de l’épouse bien-aimée du Christ, les désirs et les vœux de tout le peuple chrétien, les supplications pour les besoins de tous les hommes ».

Il semble que l’on puisse inférer de ces considérations, qui pourraient sans doute être étayées par bien d’autres, que la Liturgie des Heures est par nature, orientée vers l’universel : parce qu’elle est la prière du Christ époux unie à l’Église épouse, elle entre dans le projet divin qui veut que tous les hommes soient sauvés dans la Pâque du Fils, par le don de l’Esprit Saint, cet Esprit de Pentecôte appelé à être répandu sur toute chair. Voix de l’épouse et de l’époux, elle tourne vers Dieu le cœur de toute l’humanité.

Dès lors, la Liturgie des Heures comporte si l’on peut dire, une sorte de vocation œcuménique : si l’Eucharistie est un lieu qui « fait la différence » entre les églises et communautés chrétiennes et même à l’intérieur de chaque confession, l’Office divin propose un chemin de prière qui appelle tous et chacun à un vivre ensemble devant Dieu. Et sans doute, la place qu’y tiennent les psaumes n’est pas pour rien dans cette vocation.

Mais on peut aller plus loin encore : à l’horizon des grandes impulsions données au dialogue inter-religieux par le Pape Jean-Paul II, la Liturgie des Heures apparaît comme l’une des formes de prière la plus apte à faire entrer dans ce que l’on nomme « l’esprit d’Assise ». Avant tout parce que cette forme de prière est sans doute celle qui nous relie le plus à la prière d’Israël, le « premier peuple de l’Alliance » pour reprendre la belle formule de la prière du vendredi saint. Sans entrer dans une posture de type syncrétiste, on peut remarquer que certains psaumes rejoignent tout homme dans ses aspirations religieuses les plus profondes, celles qui sont notamment liées à l’émerveillement devant la création : il suffit d’évoquer ici l’hymne à la création qu’est le psaume 103.

En définitive, la Liturgie des Heures, et la prière des psaumes qui en constitue la part essentielle, sont bien des chemins ecclésiaux pour assumer le service de l’union avec Dieu et de l’unité du genre humain qui définit la vocation de l’Église du Christ. On pourrait tirer de multiples conséquences pratiques d’un tel constat par exemple sur la place de la Liturgie des Heures dans les rencontres œcuméniques, sur l’étude des psaumes comme trésor de prière de l’humanité en quête de sens, ou enfin sur le chant des psaumes comme chemin de dépassement de nos repliements identitaires.

Service de l’unité du genre humain à travers l’édification de l’homme

On a souvent souligné combien les psaumes étaient une sorte de résumé de toute la Bible mais aussi une véritable synthèse de la condition humaine. Si l’on ose dire, c’est à l’homme dans tous ses états, que le psautier nous confronte : l’exultation et le désespoir, la peur et la confiance, la douleur et le repos, la louange et l’imploration et encore beaucoup d’autres choses.

C’est pourquoi la prière des psaumes est si riche pour l’édification de l’humanité : en assumant la totalité de l’expérience humaine, elle délivre de la tentation catarrhe qui semble revenir en force en notre temps et qui affecte parfois les croyants de toutes obédiences, les catholiques y compris. C’est la récurrente tentation des purs qui se croient au-dessus de la mêlée et qui risquent de réduire la prière à un miroir de leurs propres désirs de pureté. Les psaumes nous interdisent d’appartenir à ce groupe de bien-pensants dont Péguy disait : « ils croient avoir les mains pures parce qu’ils n’ont plus de mains ».

Les psaumes nous ramènent constamment sur le chemin de la conversion chrétienne : loin de nous conduire à la désespérance que pourrait provoquer notre médiocrité voire parfois notre capacité à pactiser avec le mal, la prière des psaumes nous enracine dans la conviction que le salut ne peut être pensé comme un itinéraire privatisé. Parce qu’elle est don de l’Esprit Saint à l’Église, notre itinéraire vers la sainteté n’est pas une prouesse personnelle mais une marche à la manière de la sortie d’Égypte : le caravansérail d’un peuple choisi par Dieu, et dans lequel chacun est solidaire parce que nous sommes tous frères du Christ et fils de ce Père que nous évoquons chaque jour dans la prière du Seigneur qui est, à sa manière, la plus belle synthèse des psaumes.

“ Que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. ”

Fr. Patrick Prétot, osb
Institut Supérieur de Liturgie
Institut Catholique de Paris

Ce qui précède est la version sans notes et remaniée (notamment pour l’introduction et les sous-titres) d’un article initialement publié sous le titre « La prière des psaumes : service de l’union avec Dieu et de l’unité du genre humain » dans la revue La Maison-Dieu 259, 2009/3, 135-149. Il est recommandé de se rapporter à cet article original pour approfondir la réflexion.