Accompagner des catéchumènes dans la découverte des rites : prier, ça s’apprend ?
Par Joël Sérard, Diacre permanent et responsable de Pastorale liturgique et sacramentelle du diocèse de Coutances et Avranches
« Un de ses disciples lui dit « Seigneur, apprends-nous à prier … » » (Luc 11,1). Le Notre Père reçu de Jésus s’est transmis aux fidèles. Mais prier s’apprend-il ? La prière n’est-elle pas d’abord un élan spontané, un cri du cœur ? Les rites ne risquent-ils pas d’enfermer la relation avec Dieu dans le formalisme ? La question vaut pour tout chrétien, mais elle se déplace pour le catéchuménat : est-il nécessaire qu’un catéchumène découvre les rites ? Faut-il des règles, pour donner goût à la prière ? L’enjeu est ici de préciser à la frontière entre catéchèse et liturgie, comment initier le catéchumène à la vie liturgique de la communauté ?
Un double défi
« Les pasteurs d’âmes poursuivront avec zèle et patience la formation liturgique et aussi la participation active des fidèles, intérieure et extérieure, proportionnée à leur âge, leur condition, leur genre de vie et à leur degré de culture religieuse … » La Constitution du concile Vatican II sur la sainte liturgie rappelle la tâche pastorale d’éduquer le peuple de Dieu pour qu’il prenne part à l’action liturgique. Cette participation est à la fois « intérieure et extérieure ».
Participation extérieure
Extérieurement, parce que la liturgie, c’est la mise en oeuvre de rites, de gestes ou de paroles, de postures codifiées : les fidèles font le signe de la croix. Ils se lèvent oui s’assoient, lèvent les yeux ou baissent leur front. Ils répondent d’une même voix aux paroles du président : « Le Seigneur soit avec vous … Et avec votre esprit ». Pour un non-initié ces habitudes paraissent toujours bizarres. Pour le catéchumène qui risque ses premiers pas dans la communauté, ces rites sont étranges. Il entre dans la famille, mais il n’en connaît pas les codes secrets. Il aspire à faire comme tout le monde pour ne plus se sentir étranger.
Participation intérieure
Mais la participation est aussi « intérieure ». Les gestes ou les paroles ne sont pas seulement des codes vides de sens. Ils sont les médiations de la prière. Celle-ci n’est pas seulement un élan spontané et désincarné du cœur. Elle s’inscrit dans le corps et passe par les sens. Le corps et le cœur tracent ensemble la voie de la prière personnelle inscrite dans l’action commune.
Le rituel, pour les catéchumènes – pour tous les fidèles ! – est d’abord une ressource, une terre neuve à explorer. Comme la vie sociale a besoin de règles de la morale et de la loi, la prière communautaire s’appuie sur le rituel. La règle est libératrice et vitale. Dans la belle tâche d’accompagner, on oublie que nous avons à guider le catéchumène dans l’apprentissage tout simple des gestes, des paroles, des attitudes qui fondent la prière de l’assemblée.
Le rituel, une source
Mais le rituel est aussi une source pour la vie spirituelle : le chant du kyrie révèle l’amour de Dieu qui pardonne. le Gloria introduit la louange dans la prière. La proclamation codifiée de la Parole invite l’auditeur à se mettre en écoute de Dieu qui se révèle. le chant des psaumes dévoile les multiples voix de la prière, à la fois louange, supplication jusqu’au scandale de l’imprécation. Chaque geste, chaque parole vécue dans la liturgie enracine la vie spirituelle à sa source, le Christ. Accompagner un catéchumène requiert alors d’ouvrir peu à peu tous ces chemins de la prière.
Entrer dans la ritualité de l’Eglise suppose de tenir ensemble ce double défi d’une initiation à la fois « intérieure et extérieure ». Le catéchumène apprend peu à peu à s’intégrer dans l’assemblée tout en faisant pour lui-même l’expérience d’une rencontre personnelle avec le Seigneur.
Donner goût
Les catéchumènes participent peu aux assemblées dominicales. Il faut du temps pour qu’ils découvrent que la liturgie est « un droit et un devoir pour le peuple chrétien ». L’urgence est d’abord de leur en donner le goût. La symbolique du repas peut éclairer les passages où catéchèse et liturgie jouent ensemble pour éclairer l’expérience. Distinguons les trois phases classiques de l’initiation.
« Ouvrir l’appétit ! »
Pour se mettre à table chez des amis, encore faut-il être invité ! A nous d’inviter le catéchumène à venir rejoindre la communauté. Mais cette invitation devrait s’accompagner d’une catéchèse apéritive qui rende attentif le catéchumène aux rites à découvrir. Ceci est particulièrement vrai de la parole de Dieu. Pour bien recevoir cette Parole dans la liturgie, encore faut-il se mettre en désir d’écoute. Il s’agit ici de donner goût sans tout dévoiler : trop souvent la catéchèse veut avoir tout expliqué de la liturgie avant d’en vivre. Au risque de couper l’appétit !
« A table ! »
L’essentiel est là. La liturgie, action du peuple, est d’abord une expérience à vivre. Une plongée dans le bain ecclésial. C’est en vivant les rites dans l’assemblée en prière que le catéchumène prend sa place dans l’assemblée. Encore faut-il l’épauler, le rassurer, faire corps avec lui. La peur de la solitude n’est-elle pas ce qui tient les catéchumènes à distance de la communauté ? Mais la liturgie est aussi un temps d’épreuves au sens où « l’apprenti » mesure ce qui lui reste de chemin à parcourir pour prendre sa place dans le corps ecclésial.
Le temps de « la digestion »
L’image paraît triviale, mais elle dit bien la nécessité de revenir sur l’expérience. Ici, la catéchèse reprend le pas sur la liturgie. Il s’agit moins d’expliquer a posteriori les rites que d’aider le catéchumène à relire ce que la liturgie lui a permis de vivre : comment a-t-elle nourri ou non la prière ? Tout au long de l’accompagnement, la « mystagogie » mesure le chemin parcouru. Le catéchumène qui raconte ses découvertes ou ses difficultés, creuse aussi en lui le désir de renouveler l’expérience.
Prendre le temps
Achevons de filer la métaphore ! Le chemin catéchuménal est progressif. Il comporte des étages balisées par le Rituel de l’initiation chrétienne des adultes: entrée en Eglise, appel décisif, baptême. Entre ces grands rendez-vous, l’accompagnement adapte la catéchèse à la maturité spirituelle du candidat au baptême. Il ne faut pas aller trop vite. Saint Paul le rappelle à sa manière : « Pour moi, frères, je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais…comme à des petits enfants en Christ. C’est du lait que je vous ai fait boire, non de la nourriture solide : vous ne l’auriez pas suppportée. »(1ère lettre aux Corinthiens 3,1 – 2) Comme quoi il ne faut pas tout vouloir transmettre ni trop vite. A chaque temps du catéchuménat ses ouvertures liturgiques. L’un des signes de cette progressivité, c’est le renvoi des catéchumènes que demande le Rituel. Normalement, les catéchumènes quittent l’assemblée après la liturgie de la Parole. Ce n’est que dans la nuit du baptême qu’ils participent à la liturgie eucharistique, apportant l’offrande du pain et du vin pour communier au corps et au sang du Christ. Le plus souvent, on hésite à les renvoyer par peur de les frustrer ou d’être incompris de la communauté.
Pourtant le renvoi des catéchumènes nous fait percevoir la nécessité de prendre son temps. Le temps de l’eucharistie ne devrait se dévoiler qu’à partir de leur baptême. Du manque peut grandir le désir et la catéchèse demeure vide tant qu’elle n’accompagne pas l’expérience. De fait, à chacune des quatre étapes du catéchuménat correspond une entrée progressive dans les rites liturgiques.
La première annonce
Le catéchumène vient d’exprimer sa demande. Il fait ses premières découvertes de la foi chrétienne. Dans ce premier temps, il n’a pas encore sa place dans la communauté. On peut commencer peu à peu à prier avec lui dans l’équipe d’accompagnement sans dévoiler encore nos manières de prier ensemble. Il est trop tôt !
La catéchèse
Dès que l’entrée en Eglise a été vécue, le catéchumène a sa place parmi nous. On peut l’inviter à rejoindre peu à peu l’assemblée dominicale. Il y découvre la liturgie de la Parole, apprend les gestes (signe de croix), les paroles, les chants de l’assemblée. Il participe aux fêtes chrétiennes de l’année liturgique. la liturgie permet de saisir que la Parole, socle de la catéchèse, est proclamée et écoutée en Eglise et non pas seulement lue seul ou dans une petite équipe chaleureuse.
Le temps de la purification
Les quarante jours du carême conduisent les catéchumènes de l’accueil décisif à la nuit pascale où ils seront baptisés. Cette dernière période accentue l’appel à la conversion. Le rituel qui propose les trois scrutins fait un lien fort entre liturgie et catéchèse, en s’appuyant sur les grands récits de l’Évangile selon saint Jean : Samaritaine, aveugle-né, Lazare. Dans ce temps-là, le catéchumène continue d’approfondir sa vie spirituelle en découvrant plus vivement encore qu’elle prend sa source dans la communauté rassemblée. Peut-être est-ce dans ces dernières semaines que les catéchumènes peuvent s’astreindre au rythme hebdomadaire de nos rassemblements.
Le temps de la mystagogie
Ce temps de catéchèse après le baptême prend sa source dans la liturgie pascale. Il s’agit ici d’accompagner le retour du catéchumène à la vie ordinaire. Le temps de l’émotion est passé et la vie spirituelle retrouve l’aridité et les difficultés de la fidélité dans la durée. N’est-ce pas dans ce temps que doit se proposer une catéchèse sur l’eucharistie pour que le nouveau baptisé puise à la source liturgique la nourriture consistante dont il a maintenant besoin ?
Nécessaires médiations
La parole de Dieu est au cœur de l’accompagnement. Le signe en est donné à l’entrée en Eglise : la Bible est offerte au catéchumène pour qu’il apprenne à y chercher la source de la foi. Le livre offert n’est pas la Parole : la parole de Dieu, c’est le Christ lui-même. Mais le livre est ici signe et médiation. S’il n’est pas la Parole, il lui donne accès et, en ce sens, il n’y a pas de Parole sans le livre.
Or cette parole de Dieu s’écoute et se reçoit dans une communauté en prière. Elle est faite pour être proclamée et reçue en assemblée. La proclamation s’inscrit dans un rituel dont, peut-être, nous avons fermé l’accès aux fidèles, à tout le moins aux non-initiés : où les catéchumènes peuvent-ils trouver le support qui leur ouvrira le porte des rites, les mots des prêtres, le texte de la Parole proclamée chaque dimanche ? Comment favoriser mieux l’éducation des fidèles et leur participation active, si on ne leur donne pas la médiation pratique où ils apprendront à prier au cœur à cœur avec l’assemblée ?
A côté de la Bible, ne faut-il pas retrouver surtout pour la période transitoire du catéchuménat, l’usage du missel ? L’élite des pratiquants habituels a trouvé ses propres outils qui favorisent leur « participation consciente et active ». Le missel est avec la Bible, l’autre outil qui doit permettre au catéchumène d’avancer sur le chemin de la foi.
Article extrait de la revue Célébrer n°358
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Joël Sérard – Prier, ça s’apprend – Accompagner des catéchumènes dans la découverte des rites