Mystagogie et service de l’autel (2) : préparer une catéchèse mystagogique

24 mars 2014 : Personne lisant la Bible sur une tablette numérique, Paris (75), France. March 24, 2014: Reading of the Bible on a digital tablet. Paris (75), France.

24 mars 2014 : Personne lisant la Bible sur une tablette numérique, Paris (75), France.

Par le père Laurent Tournier, prêtre eudiste, ancien directeur adjoint du service national de la catéchèse et du catéchuménat

Le père Laurent Tournier est intervenu sur ce thème lors de journée nationale organisée par le SNPLS pour les référents diocésains Servants d’autel le mardi 6 juin 2017.

Lire le début de l’intervention :

1. Qu’est-ce qu’une catéchèse mystagogique et qu’apporte-t-elle ?

 

2. Comment prépare-t-on une catéchèse mystagogique ?

À partir de ce que nous avons vu sur le rapport à dévoiler entre le croire, le célébrer et le vivre, nous sommes maintenant conscients du rapport entre le rite et la vie. « Pour entrer dans l’intelligence de l’Eucharistie, nous disposons du rite et de notre expérience. Sans le rite, nous n’aurions pas accès au mystère. Mais si le mystère n’était pas inscrit dans l’existence, à quoi nous servirait le rite ? Le rite et la vie s’appellent l’un l’autre, ils se conjuguent. Le rite permet de comprendre la vie. La vie permet de comprendre le rite. Si tu t’arrêtes au rite et si tu ne l’écoutes pas avec ta vie, tu perds le sens du rite. Alors ou tu abandonnes la pratique du rite ou tu t’enfonces dans la religiosité. Dans les deux cas tu as perdu le rite ! Si tu perds le rite, ou que tu l’abandonnes ou le sacralises, tu perds le goût de la vie ; peut-être pas tout son goût, mais la vie n’a plus toute sa saveur, son goût d’éternité ! ».  [Christian Salenson, Catéchèses mystagogiques pour aujourd’hui, sous la direction de Jean-Claude Reichert, Ed. Bayard, 2008, p. 18-19]

Mais nous devons être bien conscients que la catéchèse ne doit pas pour autant démystifier le rite. Entrer dans le mystère ce n’est pas le réduire ou le résoudre. C’est chercher à y communier. Il faut donc être attentifs à l’avertissement méthodologique que nous adresse le père Gy, un liturge qui nous met en garde : « on est parfois tenté, dans le commentaire pastoral du rite, de faire passer celui-ci du registre symbolique à celui de l’explication ou du moralisme » [la liturgie entre la fonction dialectique et la mystagogie, Revue La Maison Dieu, n° 177, p.16]. Et le père Christian Salenson de développer : « chacun connaît ces deux ces deux dangers. Le premier est celui d’expliquer les rites et les symboles. L’écueil est fréquent en catéchèse. Il est tellement plus fécond de donner la parole aux enfants et de les laisser parler de ce qu’ils en comprennent et de leur expérience, même si cela appelle des compléments parfois ! Mais cela demande de renoncer à l’explication et à la maîtrise du sujet ! L’autre difficulté est fréquente chez les prédicateurs qui n’ont pas préparé suffisamment leur homélie ou qui n’ont pas médité le texte. Au lieu d’introduire dans le mystère, ils utilisent les Écritures pour faire du moralisme ! Ils se réfugient dans l’exhortation morale pour trouver un rapport avec la vie ! » [Christian Salenson, Catéchèses mystagogiques pour aujourd’hui, sous la direction de Jean-Claude Reichert, Ed. Bayard, 2008, p. 78-79].

L’objectif de la catéchèse mystagogique est donc autre. Il faut éveiller au sens du rite, le mettre en rapport avec la vie, conduire au seuil pour encourager la personne à entrer dans le mystère avec sa vie. Alors le rite devient parlant et la personne se met d’elle-même à dialoguer avec. Elle en fait l’expérience. C’est le contenu de cette expérience qui compte. C’est pourquoi il faut en parler. Alors le rite parle de nouveau !

« Les rites ne s’expliquent pas, ils parlent. Les rites, avec les symboles, les gestes, les paroles et les objets qui les constituent, sont ressentis par ceux qui les célèbrent. Ils leur parlent. Ils parlent d’ailleurs de manière assez différente à chacun selon son expérience, sa disponibilité, son état d’esprit… Il faut donc faire très attention de ne pas abimer les symboles en voulant les expliquer. Ils ont une grande richesse de signification, plus grande que ce que des mots sont capables de dire.

Aussi la mystagogie ne consiste pas à expliquer les rites après les avoir vécus comme on les aurait expliqués avant. La méthode elle-même change. Il s’agit de demander à ceux qui les ont vécus de dire comment ils les ont vécus et de dégager avec eux et à partir de leur expérience la signification des gestes et des symboles. Car les rites ne sont pas un prétexte pour enseigner. Ils sont eux-mêmes un enseignement. Il faut permettre à ceux qui ont vécu cet enseignement expérimental de recueillir « l’expérience et les fruits des sacrements reçus et entrent plus profondément, dès le Temps pascal, dans la vie et la mission de la communauté des fidèles » (RICA n°42). [Christian Salenson, Catéchèses mystagogiques pour aujourd’hui, sous la direction de Jean-Claude Reichert, Ed. Bayard, 2008, p. 86-87].

Ainsi la méthode mystagogique, qui fait appel aux événements salvifiques rendus présents à travers les rites, permet aux baptisés de faire une expérience vitale du mystère du Christ et rappelle que Dieu est à l’œuvre en chacun d’eux, lui qui se fait compagnon du voyage de nos vies, selon la merveilleuse icône des disciples d’Emmaüs.

« Ici se tient l’actualité de la mystagogie pour notre Église, pour l’annonce de l’Évangile aujourd’hui ; en tant que telle, la mystagogie n’est pas une méthode parmi des possibles, ni un simple choix pastoral parmi d’autres, mais c’est comprendre ce que le Christ accomplit dans la liturgie pour son Église aujourd’hui. De même que l’exégèse spirituelle des Écritures est connaissance du Christ, ainsi la mystagogie, en tant qu’exégèse spirituelle de la liturgie est aussi connaissance du Christ » [G. Bosselli, la mystagogia per entrare nel mistero, in Liturgi epifania del mistero, Ed. Liturgiche, Roma, 2003, p. 100-101]

Et à travers les exemples cités des catéchèses mystagogiques du père Salenson, vous avez noté que pour respecter l’expérience, son caractère propre et personnel, il est bon d’éveiller le destinataire par des séquences en TU. En effet, l’emploi du TU ravive la marque personnelle déposée en chacun en fonction de son histoire et de sa culture. « C’est ce qui distingue radicalement la catéchèse mystagogique d’un discours explicatif. Quand on explique une liturgie, on cherche à dévoiler le sens des rites avant même que ceux-ci aient pu faire leur œuvre à l’intérieur des personnes. Celui qui fait une mystagogie approfondit au contraire ce qui s’est passé durant la célébration chez les personnes qui l’écoutent ». [Père Jean-Claude Reichert, note 9 page 13 de la préface in Christian Salenson, Catéchèses mystagogiques pour aujourd’hui, sous la direction de Jean-Claude Reichert, Ed. Bayard, 2008].

Après avoir compris que la catéchèse mystagogique ne doit pas chosifier le rite mais lui donner son épaisseur qui met en lien avec l’agir contemporain du Christ, et également que cette catéchèse est délicate car elle renvoie à une expérience personnelle, il nous faut prendre encore un autre élément méthodologique. Il ne faut pas isoler le rite de l’ensemble de la célébration dont la cohérence est à préserver.

Oui, il est important de toujours se souvenir que la liturgique est une action. Un rite n’est pas isolé. En quelque sorte la liturgie assure sa propre mystagogie du fait de son agencement. Les divers rites sont proposés pour faire entrer les participants dans la signification profonde des actes qui créent la communion des participants entre eux et avec le Christ. Il ne faut donc pas que la catéchèse mystagogique écrase le rite, l’explicite, mais qu’elle en dévoile son épaisseur.

Il ne faut donc pas rester dans une approche de type ponctualiste. Cela vaut pour un temps liturgique ou pour une célébration. Il est toujours plus fécond de travailler de manière transversale, soulignant comment la liturgie est un itinéraire, un chemin à parcourir. La mystagogie permet alors d’aller plus loin dans cette démarche qui permet d’encourager à entrer dans le mystère du Christ mort et ressuscité [cf. Patrick Prétot, Des temps de catéchèse communautaires pour l’année liturgique, sous la direction de Jean-Claude Reichert, Ed. Bayard, 2006, p.27-28 et 31-32]. C’est un travail catéchétique qui permet un accueil en meilleure conscience du don de Dieu.

Et bien sûr un temps de catéchèse ne peut rendre compte de la totalité du mystère. C’est pour cela qu’il s’agit de favoriser une entrée, juste une entrée. À cette fin, il est bon d’avoir conscience que comme dans la Jérusalem céleste, il y a plusieurs portes, et que les portes ne sont pas l’Agneau qui est au centre, le Christ.

Alors, ainsi avertis, comment faire ?

La catéchèse mystagogique veut aider à vivre plusieurs passages : du visible à l’invisible, du signifiant au signifié, du célébré au vécu, des sacrements au mystère.

On peut sans systématiser retenir le schéma suivant :

  • Préciser le rite qui va être approfondi en le décrivant : c’est l’occasion de redire comment il doit être mis en œuvre.
  • Remonter au récit ou à la parole biblique qui le fonde : cela permet de donner la source du sens du rite.
  • Dégager la valeur salvifique dans cette association de la Parole de Dieu et du rite : c’est le temps de la compréhension de la signification qui dépasse une action et permet de saisir comment Dieu s’implique.
  • Quand c’est possible dégager un éclairage croisé avec des appuis dans l’Ancien et le Nouveau Testament : ainsi il est possible d’inscrire la signification du rite dans une histoire plus large du salut.
  • Redescendre du rite au vécu quotidien : en mettant en valeur leur lien, cela ouvre le champ de la transformation de la vie.

Avec le recours à la Parole, nous voyons que l’enjeu de cette catéchèse mystagogique est de mettre en récit [Cf. Patrick Prétot, Des temps de catéchèse communautaires pour l’année liturgique, sous la direction de Jean-Claude Reichert, Ed. Bayard, 2006, p.46]. Un récit qui partira de la Parole de Dieu, s’inscrira dans une action divine dans la liturgie et s’inscrira au final dans la vie du participant. En se référant à la Parole de Dieu, il est possible de raconter non pas le rite, ou pas seulement le rite, mais surtout le lien du rite et de la vie du croyant. C’est ce lien entre rite et vie qui est l’entrée dans le mystère et permet alors que la vie chrétienne soit communion à la vie du ressuscité.

Vivre une catéchèse avec des servants de l’Eucharistie, c’est les catéchiser pour leur vie propre, mais aussi pour les éveiller également à ce que leur service serve également le lien entre rite et vie des autres participants.

Pour moi la mystagogie, c’est ce que le Christ opère à la Cène : Jn 13,12-15 :

12 Quand il leur eut lavé les pieds, il reprit son vêtement, se remit à table et leur dit : « Comprenez-vous (a.) ce que je viens de faire pour vous ?

13 Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis.

14 Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds (b.), vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres.

15 C’est un exemple (c.) que je vous ai donné afin que vous fassiez (d.), vous aussi, comme j’ai fait pour vous.

Nous retrouvons là la structure en quatre étapes (il n’y a pas celle du lien à l’Ancien Testament) :

  1. Le rite : Comprenez-vous ? : besoin de catéchèse, d’une mystagogie pour entrer
  2. Temps du discours : ici en style direct puisque le Christ est le Verbe : versets 13 et 14 : « … Je vous ai lavé les pieds » : qui suis-je et comment je le révèle à travers ce que je fais
  3. Le temps du passage rite au sens : « c’est un exemple que je vous ai donné » : il convient que vous vivez comme je vis
  4. Déploiement dans la vie de tous les jours : « afin que vous fassiez » : saut de la liturgie, du rite, à la vie quotidienne qui devient chrétienne.

En résumé, il serait possible de structurer ainsi une catéchèse mystagogique :

  • Ce que j’ai vu et ce que j’ai entendu,
  • Ce que le Christ a dit,
  • Ce que le Christ a fait,
  • Quand c’est possible : comment c’est éclairé par l’Ancien Testament
  • Ce que je vis par ce rite et qui éclaire et oriente ma vie

 

Lire la suite de l’intervention :

3. La catéchèse mystagogique en pratique

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