L’art de célébrer selon Desiderio desideravi (48-60)

Le pape François consacre la dernière partie de Desiderio desideravi, sa lettre apostolique sur la formation liturgique du peuple de Dieu (2022), à l’ars celebrandi. À distance aussi bien du rubricisme que de la créativité débridée, l’art de célébrer permet par sa justesse de donner leur sens aux rites célébrés. Tous les participants à la célébration ont à rechercher cette justesse. En raison de leur ministère, les prêtres ont à cet égard une responsabilité particulière.

Le numéro 318 de la revue La Maison-Dieu (2024/4) propose un commentaire de Desiderio desideravi. Deux ans et demi après sa publication (29 juin 2022), la revue a souhaité présenter ce texte avec le recul que permet une première réception. Salué dès sa sortie, commenté, réfléchi, approfondi, reste encore largement à découvrir et à mettre en œuvre dans les lieux de formation (séminaires, universités, noviciats…). On trouvera ci-après des extraits du commentaire des numéros 48 à 60 portant sur l’ars celebrandi. Ce commentaire est assuré par Philippe Barras, ancien directeur de la revue Célébrer et ancien enseignant à l’Institut Supérieur de liturgie, formateur pour les diocèses de Lille, Arras et Cambrai. Il a aussi été rédacteur en chef de la revue La Maison-Dieu de 2017 à 2024. 

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Dans la dernière partie de sa lettre [apostolique sur la formation liturgique du Peuple de Dieu], le pape François reste conforme à sa méthode. Pour ne pas en rester à un discours conceptuel, il accentue l’approche concrète de la liturgie précédemment évoquée, par le réel des « choses » qui constituent la célébration : non pas comme un objet en soi, et encore moins comme un catalogue de rubriques, mais dans sa visée théologale profonde (n. 48). Puisque la liturgie est avant tout la rencontre avec le Christ (n. 10) – « une rencontre qui n’est pas le fruit d’une recherche intérieure individuelle, mais un évènement donné » (n. 24) qui suscite en nous l’émerveillement – il s’agit d’abord de vivre la célébration en se laissant interpeller par tout ce qui la compose, de « faire l’expérience de la puissance du symbole […] dans sa concrétude » (n. 26). C’est pourquoi on peut parler d’art de célébrer : un art de faire qui requiert, certes, des connaissances (n. 49) mais surtout une attention constante à la mise en œuvre rituelle et symbolique, tels des artistes qui se laissent posséder par leur art (n. 50).

Une nouvelle approche de l’art de célébrer

La notion d’art de célébrer n’est pas neuve dans les textes magistériels. Mais elle trouve, dans l’approche qu’en a donnée le pape François, un dynamisme saisissant que l’on trouvait moins chez ses prédécesseurs, reprenant à son compte l’intuition de Guardini et son développement au sein du Mouvement liturgique jusque dans les écrits du CNPL des années 1980-1990. En effet, si les papes Jean-Paul II et Benoît XVI avaient tous deux insisté sur l’importance majeure de l’art de célébrer, cela avait surtout été compris comme une insistance sur le respect des règles liturgiques […] Le pape François l’aborde autrement, à partir de sa réalité symbolique […] 

Donner vie aux symboles et aux rites

Pour le Saint-Père, il ne s’agit pas là d’une simple technique, comme celle des artisans (n. 50). Il s’agit avant tout de « prendre soin des symboles de la liturgie » et donc de faire en sorte qu’ils soient parlants, qu’ils renvoient sans confusion à la réalité du mystère qu’ils désignent. C’est toute la force du rite qui est « une norme au service d’une réalité supérieure qu’elle entend protéger » (n. 48). […] Il s’agit bien alors de donner du sens aux rites célébrés, et de le faire par la justesse et la beauté des gestes et des paroles que nous confie l’Église, et « qui mettent de l’ordre dans notre monde intérieur en nous faisant vivre certains sentiments, attitudes, comportements » (n. 51). Il s’agit d’ouvrir un espace de sens où peut advenir la relation à Dieu dans l’action commune portée par l’assemblée. Et c’est la disponibilité à l’action de l’Esprit Saint (n. 52) qui rend chaque geste, chaque parole, vraiment nouveaux, capable de nous transformer (n. 53), de former « notre conduite et notre être religieux8 », personnellement et communautairement.

Le pape n’hésite pas à donner quelques conseils pratiques

Pour mieux concrétiser ce qu’il essaie de dire, François prend quelques exemples précis. Le silence a une place prépondérante dans la célébration (n. 52) […] L’agenouillement […] Le style de présidence gagne à éviter plusieurs modèles exagérés et contestables (n. 54) : rubricisme ou créativité, mysticisme ou fonctionnalisme, précipitation ou excès de lenteur, insouciance ou perfectionnisme, impassibilité ou excès de convivialité […]

L’art de célébrer concerne toute l’assemblée

À l’instar de ses prédécesseurs, le pape François souligne que l’art de célébrer ne concerne pas seulement les ministres, mais toute l’assemblée des fidèles (n. 51). Le déploiement d’un ars celebrandi pour tous les baptisés est la condition sine qua non de la participation active de tous afin que la liturgie fasse son œuvre et soit pleinement « la source première et indispensable à laquelle les fidèles peuvent puiser l’authentique esprit chrétien » (SC 14, cité au n. 16) […]

L’art de célébrer concerne spécifiquement les prêtres

Si l’ars celebrandi est à développer pour tous les baptisés, il concerne bien sûr plus particulièrement les ministres, ceux qui accomplissent un service au sein de l’assemblée, et parmi eux les ministres ordonnés. Le pape insiste particulièrement sur l’art de célébrer pour les prêtres qui président la liturgie (n. 54-60) […].

Philippe Barras, La Maison-Dieu 318 (2024/4), 77-82

Pour feuilleter l’article complet de Philippe Barras

Extraits des n° 48-60 sur l’Ars Célebrandi dans la lettre Desiderio desideravi :

48. L’ars celebrandi, l’art de célébrer, est certainement l’une des façons de prendre soin des symboles de la liturgie et de croître dans une compréhension vitale de ceux-ci. Cette expression est également sujette à différentes interprétations. Son sens devient clair si elle est comprise en référence au sens théologique de la Liturgie décrit dans Sacrosanctum Concilium au no 7 […] L’ars celebrandi ne peut être réduit à la simple observation d’un système de rubriques, et il faut encore moins le considérer comme une créativité imaginative – parfois sauvage – sans règles. Le rite est en soi une norme, et la norme n’est jamais une fin en soi, mais elle est toujours au service d’une réalité supérieure qu’elle entend protéger.

49. Comme dans tout art, l’ars celebrandi requiert différents types de connaissances.
Tout d’abord, il faut comprendre le dynamisme qui se déploie à travers la liturgie. L’action de la célébration est le lieu où, par le biais du mémorial, le mystère pascal est rendu présent afin que les baptisés, par leur participation, puissent en faire l’expérience dans leur propre vie. Sans cette compréhension, la célébration tombe facilement dans le souci de l’extérieur (plus ou moins raffiné) ou dans le souci des seules rubriques (plus ou moins rigides).
Ensuite, il est nécessaire de savoir comment l’Esprit Saint agit dans chaque célébration. L’art de célébrer doit être en harmonie avec l’action de l’Esprit. C’est seulement ainsi qu’il sera libre des subjectivismes qui sont le fruit de la domination des goûts individuels. Ce n’est qu’ainsi qu’il sera libre de l’invasion d’éléments culturels assumés sans discernement et qui n’ont rien à voir avec une compréhension correcte de l’inculturation.
Enfin, il est nécessaire de comprendre la dynamique du langage symbolique, sa nature particulière, son efficacité.

50. De ces brèves indications, il devrait être clair que l’art de la célébration ne s’improvise pas. Comme tout art, il exige une application constante. Pour un artisan, la technique suffit. Mais pour un artiste, en plus des connaissances techniques, il faut aussi de l’inspiration, qui est une forme positive de possession. Le véritable artiste ne possède pas un art, mais il est possédé par lui. On n’apprend pas l’art de faire la fête en fréquentant un cours d’art oratoire ou de techniques de communication persuasives (je ne juge pas les intentions, je ne fais qu’observer les effets). Tout outil peut être utile, mais il doit être au service de la nature de la liturgie et de l’action de l’Esprit Saint. Il faut un dévouement assidu à la célébration, permettant à la célébration elle-même de nous transmettre son art. Guardini écrit : « Nous devons comprendre à quel point nous nous sommes profondément enlisés dans l’individualisme et le subjectivisme ; à quel point nous nous sommes maintenant affaiblis et combien étroite est devenue la dimension de notre vie religieuse. L’ardent désir de cultiver un grand style de prière doit à nouveau s’éveiller ; la volonté d’essentialité doit aussi revivre dans la prière. La voie à suivre pour y arriver est celle de la discipline ; du renoncement aux satisfactions faciles et sans effort ; du travail rigoureux, accompli dans l’obéissance à l’Église, pour notre conduite et notre être religieux. » C’est ainsi que l’on apprend l’art de célébrer.

51. En parlant de ce thème, nous sommes enclins à penser qu’il ne concerne que les ministres ordonnés qui exercent le service de la présidence. Mais en fait, il s’agit d’une attitude que tous les baptisés sont appelés à vivre. Je pense à tous les gestes et à toutes les paroles qui appartiennent à l’assemblée : se rassembler, marcher en procession, s’asseoir, se tenir debout, s’agenouiller, chanter, se taire, acclamer, regarder, écouter. Ce sont autant de façons par lesquelles l’assemblée, comme un seul homme (Ne 8, 1), participe à la célébration. Effectuer tous ensemble le même geste, parler tous d’une seule voix, cela transmet à chaque individu l’énergie de toute l’assemblée. Il s’agit d’une uniformité qui non seulement ne mortifie pas mais, au contraire, éduque le fidèle individuel à découvrir l’unicité authentique de sa personnalité, non pas dans des attitudes individualistes, mais dans la conscience d’être un seul corps (…).

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