Les invitations de Sacrosanctum Concilium

La Constitution Sacrosanctum Concilium a été promulguée par le Concile Vatican II le 4 décembre 1963. En 2013, PASTORALIA, la revue de l’archidiocèse de Malines-Bruxelles, avait consacré son numéro 10 à la portée de cette constitution cinquante ans après. Parmi les auteurs ou les témoins rencontrés, l’abbé Paul De Clerck, prêtre bruxellois, ancien directeur de l’Institut Supérieur de Liturgie à Paris. Alors que l’on fête le soixantième anniversaire de Sacrosanctum Concilium, cette interview continue à offrir une bonne introduction aux changements auxquels la Constitution invite.

Dans quels contexte et circonstances cette Constitution émerge-t-elle ?
Les racines de cette constitution remontent à la fin du XIXème siècle. À l’époque, les chrétiens ne commu- nient qu’à Pâques, avant qu’un mouvement en faveur de la communion fréquente apparaisse en 1905, sous l’impulsion du pape Pie X. D’autres évolutions font leur entrée sur la scène pastorale et liturgique : la ‘première communion’ des enfants est instaurée en 1910. Ce sont là quelques indices du déclenchement du Mouvement liturgique, qui a commencé en Belgique, au cœur de quelques abbayes… Quelques dizaines d’années plus tard, Pie XII poursuivra cet élan, avec quelques adaptations comme la rénovation de la Vigile pascale. Jusqu’alors, le carême se terminait le samedi saint à midi, et la Vigile avait lieu à cinq heures du matin ! Le Concile a montré qu’une dynamique était déjà amorcée depuis une cinquantaine d’années concernant les questions liturgiques. C’est d’ailleurs la première Constitution à avoir été votée.

La Constitution souhaite le progrès et la restauration de la liturgie : comment comprendre cette double ambition ?
Imaginez ! Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les chrétiens assistent à la messe, en latin. Ils y prient, y récitent leur chapelet. Quelques initiés au Mouvement liturgique (5 à 10% des fidèles ?) se servent d’un Missel des fidèles en latin et français. Un élément liturgique typique de l’époque reste le jubé, mur de bois ou de pierre qui, en certaines églises, sépare littéralement les fidèles des clercs réunis au fond du chœur. En somme, on assiste à la messe ; d’où l’efflorescence de dévotions personnelles et particulières, qui viennent contrebalancer cette lacune. Le progrès souhaité consiste donc à faire entendre, comprendre et vivre la liturgie par l’ensemble de ceux qui, ensemble, y participent. L’Église va chercher à restaurer pour les fidèles ce qui était réservé aux prêtres. Et pour y arriver, va proposer des réformes pour que la liturgie soit davantage accessible, audible, compréhensible.

Un grand pan de Sacroanctum Concilium est consacré à la liturgie eucharistique : quelles adaptations va-t-elle induire ?
L’élément le plus fondamental ou en tout cas le plus frappant est naturellement l’usage des langues courantes. Visiblement, les jubés vont peu à peu disparaître, les autels changer de place, etc. Plus en profondeur, il faut souligner que de nombreux textes liturgiques vont être révisés, que le lectionnaire va être amplifié. Un mouvement architectural important témoignera de ces évolutions : tout sera fait pour favoriser la participation des fidèles. La communion sous les deux espèces sera par ailleurs répandue… pas encore partout.

N’a-t-on pas ‘réduit’ la Constitution à ce seul volet ? C’est peut-être en effet une partie de la Constitution qui a été plus facilement et plus rapidement reçue par les communautés locales. Les autres sacrements ont également été sujets à une certaine rénovation. Comme jeune prêtre, mon premier baptême a duré 15 minutes : mais on m’a bien fait comprendre que la moyenne se situait autour des 7 ! Le rituel a été revu. De même pour les ordinations : j’ai fait partie de la première génération de prêtres à avoir bénéficié de la ‘nouvelle formule’, en étant ordonné à la cathédrale de Bruxelles. Avant cela, tous les prêtres étaient ordonnés, en même temps, à la cathédrale de Malines. Il fallait s’y rendre à 5 heures du matin ; c’est dire l’affluence de l’assistance (!), et donc l’image de l’Église jusqu’alors véhiculée. Là aussi, le rituel a été adapté. Les rituels du mariage et des funérailles aussi ont été revus, proposant un choix de prières et de lectures bibliques. Et on a permis que des célébrations puissent être ‘évolutives’ en fonction des cultures. La cohérence de tous ces amendements est que la liturgie, puisqu’elle passe par des actes concrets, soit célébrée au mieux.

Peut-on dire que la Constitution va provoquer un nouveau rapport des fidèles aux Ecritures ?
Absolument, et à deux points de vue. Tout d’abord, nous avons parlé des langues vivantes utilisées lors des célébrations. Mais l’augmentation notable du nombre de textes proclamés représente par ailleurs une nette évolution. Auparavant, les mêmes Épitres et Évangiles étaient lus chaque année. Aujourd’hui, et grâce à la Constitution, un choix de trois lectures est proposé (Ancien testament, Épitre de Paul, Évangile), et celles-ci sont réparties sur trois ans ! Un agencement qui a eu son petit succès ; même les Anglicans s’en sont beaucoup inspiré pour leur propre lectionnaire.

Les textes de cette Constitution sont explicites. On y parle de fidèles bien vivants lors des liturgies, d’expression corporelle, de culture des divers dons des peuples qui composent l’assemblée, de la formation musicale des clercs… A-t-on selon vous pris la pleine mesure de ces invitations ?
Le préambule à toute compréhension de la portée de cette Constitution est le fait que ces réformes n’ont eu qu’un but : encourager la participation des fidèles. Et cela fonctionne : en Afrique, vous pouvez participer à des célébrations plus solennelles, plus festives aussi, dans lesquelles les chants sont omniprésents, dans lesquelles on respire, on bouge, on vit, mais qui respectent le même missel que tous les autres catholiques. La Constitution a en effet suscité une multitude de compositions littéraires et musicales. Cependant, la réception de ces invitations reste dans les mains du peuple chrétien ! Il n’y a rien d’acquis à jamais, il s’agit d’une perpétuelle redécouverte, presque d’un perpétuel défi.

Plus précisément, que souhaiteriez-vous dire à vos confères ? Peut-être qu’ils croient davantage à ce qu’ils font ! Par exemple dans la manière de proclamer : ‘Le Seigneur soit avec vous !’ : même si les ‘formules’ de la liturgie sont répétitives, il s’agit de les faire respirer l’accueil, la bienvenue, la vie, l’amour. Au début de la préface, dans la manière de donner ou de faire communion, la voix, le geste, le regard sont tout aussi importants. Il s’agit de toujours faire correspondre intérieurement et spirituellement ce que nous avons ‘ministériellement’ reçu la charge d’accomplir. La liturgie s’ancre toujours sur du concret, sur du vécu ; c’est ce que nous rappelle cette Constitution. Elle nous invite sans cesse à célébrer ces liturgies de manière à ce qu’elles s’adaptent aux cultures, aux tailles des assemblées et à leur vécu. On ne cessera jamais de sensibiliser les fidèles comme les prêtres à cette dimension. Que l’on soit dans la chorale, lecteur ou lectrice, célébrant, organiste, nous avons tous à faire en sorte que notre agir commun soit porteur de sens. Une célébration est comme un repas : si le plat est une des composantes de sa réussite, tout le reste tient à la table, au sourire des hôtes, au fond musical… Une Constitution comme celle-ci n’est pas là pour nous dire ce qu’il faut apprendre ou appliquer, mais d’abord pour faire entrer en résonance un donné théologique avec un acte pratique.
Bref, la liturgie est une action ; l’étymologie du terme l’indique d’ailleurs ; le mot vient du grec leit-urgia [1] , qui signifie action du peuple !

 

[1] Comme dans chir-urgie, action de la main, ou métal-urgie, action sur du fer…
Les invitations de Sacrosanctum Concilium | Liturgie & Sacrements (catholique.fr)

 

Par le père Olivier de Cagny, alors curé de la paroisse Saint-Louis en l’île à Paris et responsable de la Commission diocésaine de pastorale sacramentelle et liturgique du diocèse de Paris, devenu depuis évêque du diocèse d’Evreux.