Collection « Célébrer » : Les liturgies domestiques

Huitième volume de la Collection, « Les liturgies domestiques » est paru au mois de septembre 2023. Les auteurs partent du constat que la crise sanitaire liée au Covid-19 a obligé l’Église à redécouvrir unchemin de sanctification ordinaire. L’interdiction des cultes publics a en effet mis en lumière l’importance de disposer de liturgies pour vivre la foi en famille, dans son quartier, en aumônerie, etc. Parce que la vie liturgique ne se réduit pas à la messe – qui en est certes la source et le sommet –, d’autres formes de prière ont été déployées. Cet ouvrage invite donc les lecteurs, et tout particulièrement les laïcs, à les redécouvrir. Le concept de « liturgie domestique » constitue l’approche d’une sacramentalité renouvelée, où les membres présents à la prière exercent, en communion avec toute l’Église, leur mission de baptisés.

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Présentation

La crise sanitaire qui a frappé notre société a obligé, lors des confinements successifs, à repenser les liens sociaux et les modes d’expression de la fraternité humaine. Dans ce contexte, l’Église, peuple de Dieu, a dû, elle aussi, repenser la manière de vivre sa foi dans une vie liturgique non plus déployée au sein de la paroisse, qui est son lieu de rassemblement habituel, mais dans les maisons.

L’expression « Église domestique » a fleuri dans les médias qui essayaient de mettre des mots sur ce que vivait l’Église de manière quasi inédite, c’est-à-dire l’impossibilité de rejoindre la communauté fraternelle pour célébrer ensemble la liturgie. Parler d’« Église domestique », dans ce contexte particulier, c’était reprendre un concept ancien, celui de domus ecclesiae, avec un risque d’anachronisme.

L’ÉGLISE NÉE EN MILIEU JUIF

La foi juive et son expression liturgique forment le berceau de la prière chrétienne. Or, le judaïsme connaît deux formes du culte, celle du Temple et/ou de la synagogue, et celle pratiquée au sein de la famille. Dans le cadre familial, hommes, femmes et enfants jouent des rôles particuliers, nécessaires à la ritualité de la prière qui, fréquemment, s’intègre au repas. L’Église primitive ne s’est pas immédiate- ment coupée du rythme de la prière juive. « Chaque jour, d’un même cœur, ils [les disciples] fréquentaient assidûment le Temple, ils rompaient le pain dans les maisons, ils prenaient leurs repas avec allégresse ; ils louaient Dieu » (Ac 2, 46-47). La résurrection du Christ apportait une spécificité unique tant à la prière familiale qu’à la prière liturgique.

UNE MAISON – ÉGLISE

Mais la jeune Église évolua dans une société romanisée regroupant des domus patriciennes. La domus est d’abord la construction – ce qui est la traduction littérale – mais aussi la lignée, la descendance, au sens de « Maison » royale. La domus de pierre abrite la domus de chair et de sang, la familia. Mais cette dernière rassemble toutes les personnes unies entre elles par l’autorité du seul pater familias : de l’épouse aux esclaves en passant par les enfants, les ouvriers, etc. Au sein de la famille, le culte rendu aux Lares et autres dieux domestiques tient une place importante, et il va de soi que tout membre de la domus, du maître au dernier des esclaves, s’acquitte de la même religion domestique.

C’est à l’intérieur de ce cadre que va naître la domus ecclesiae, dont nous trouvons de nombreux témoignages dans le Nouveau Testament. Ainsi, Paul et Silas, miraculeusement délivrés, donnent le baptême au gardien de la prison et à « tous les siens » (Ac 16, 33). À Philippes, colonie romaine, Paul baptise Lydie « et tous les gens de sa maison » (Ac 16, 15). La conversion du maître de maison entraîne de facto l’adhésion de toute la domus.

La domus patricienne qui s’ouvre à la foi devient une domus ecclesiae, lieu où les croyants vont être « assidus à l’enseignement des Apôtres », puis de leurs successeurs, « à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » (Ac 2, 42). C’est au sein de la domus ecclesiae que se développe l’initiation chrétienne, que les sacrements sont reçus et partagés, que la vie apostolique se fortifie, se ressource et prend son envol. Ainsi Paul peut-il saluer l’Église qui se rassemble dans la maison de Prisca et Aquilas (voir Rm 16, 5), de Narcisse, de Philémon, etc. Cette Église, dite « domestique » au sens où elle se réunit dans la domus, va disparaître à partir de la reconnaissance officielle du culte chrétien dans l’Empire romain[1]. Dès lors, bien repérables dans l’espace urbain et rural, les églises et leurs desservants vont prendre en charge la vie liturgique et sacramentelle des chrétiens, et ce jusqu’à aujourd’hui.

UNE PRIÈRE FAMILIALE

La famille, qui, progressivement, va se réduire aux seuls membres du foyer – parents-enfants –, n’a cependant jamais cessé d’être un lieu de prière, mais d’une prière plus dévotionnelle puisque la liturgie a été transférée dans l’église paroissiale. Pensons au chapelet, aux neuvaines ou à l’Angelus qui ont marqué la vie des générations passées, mais aussi aux rites qui entourent la mort : veillée qui rassemble amis et voisins, veille du corps qui nécessite des formes de prière plus ou moins institutionnelles.

Un moment douloureux de l’histoire de l’Église a vu renaître l’antique « Église domestique ». Il s’agit de la Réforme. D’abord incompris puis persécutés, les chrétiens réformés ont reconstitué l’Église domestique pour se réunir, enseigner, prier, célébrer et se conforter dans la foi. La construction de temples visibles a mis fin, là aussi, à cette résurgence. On peut donc noter que des situations d’infériorité numérique et/ou de persécution vive engendrent un retour de l’Église à la « maison ».

L’« ÉGLISE DOMESTIQUE » AUJOURD’ HUI

La Constitution sur l’Église mentionne brièvement « cette sorte d’Église qu’est le foyer[2] ». Dans la logique de la Constitution qui pose les bases d’un changement de paradigme concernant les laïcs, il s’agit de donner ou de rendre aux parents un rôle primordial, non seulement dans la transmission de la foi, mais dans l’éducation au rôle propre que chaque baptisé doit tenir dans la vie de l’Église, y compris la liturgie, car tous « par le baptême ont reçu un caractère qui les délègue pour le culte religieux chrétien[3] ».

La pandémie a mis les croyants face à leur capacité à prier en famille, et de manière fraternelle, en dehors du cadre paroissial. Et parce que la vie liturgique ne se réduit pas à la messe, qui en est certes la source et le sommet, ils ont dû et pu en déployer d’autres formes. C’est un chemin ardu que les familles, peu habituées à une autonomie liturgique, ont commencé à emprunter, souvent sans véritable soutien pratique[4]. Par ailleurs, la pandémie a fait entrer la liturgie eucharistique dans la maison grâce à Internet et à la messe télévisée, avec le risque qu’un certain nombre de fidèles se satisfassent de cette liturgie de substitution, finalement assez commode. Sans s’arrêter aux questions anthropologiques et théologiques que posent ces pratiques, on peut avancer que la vie de prière des familles a été bousculée par l’inédit de la situation et renforcée par la découverte d’une possibilité de prier dans un format modeste et simple mais néanmoins à portée sacramentelle, car il s’agit là d’un sacramental comparable à d’autres sacramentaux.

LA PRIÈRE DE LA NOUVELLE  ÉGLISE DOMESTIQUE »

La prière chrétienne est toujours la prière du corps du Christ, c’est pourquoi elle est d’abord et avant tout communautaire. Si la famille a perdu l’habitude de prier ensemble, l’Église n’a jamais cessé d’offrir aux familles des temps particuliers dévolus à la prière. Ces prières à la maison ont le visage de liturgies de fraternité en proximité qui doivent être encouragées. Ainsi, lorsque l’on porte la communion aux personnes malades, ou lorsque l’on veille auprès d’un défunt, la famille restreinte ou élargie se tient en prière, utilise les mots que l’Église lui confie et s’ouvre à plus large qu’elle. Elle s’aventure sur un chemin de sanctification ordinaire. Le concept de « liturgie domestique » invite donc à redécouvrir les nombreuses formes de la prière qui peut nourrir la prière liturgique à la maison et constitue l’approche d’une sacramentalité nouvelle où les membres présents à la prière exercent leur mission de Christi fideles.

Bernadette Mélois, directrice du SNPLS

[1] L’édit de Milan, en 313, légalise le culte chrétien dans l’Empire romain.

[2] Vatican II, Lumen gentium, 11

[3] Ibid.

[4] Beaucoup ont suivi le schéma de la messe, déployant une sorte de liturgie de la Parole accompagnée de chants. Quelques-unes ont célébré la liturgie des Heures

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