L’hymne, une parole d’aujourd’hui
L’hymne assure au sein de la prière des Heures un rôle introductif. Porte d’entrée de la prière, elle contribue à créer un climat où le dialogue entre Dieu et son peuple va pouvoir se déployer et prendre sa mesure à l’aune de mots humains.
Pratique rituelle, l’hymne se présente sous quatre aspects tout aussi importants les uns que les autres : une fonction liturgique, un texte poétique, une pièce musicale, et une œuvre canonique c’est-à-dire reconnue par l’Église comme élément essentiel à la prière de l’office.
Texte poétique, œuvre musicale, l’hymne est avant tout une parole qui invoque en évoquant : « elle évoque pour invoquer ce qui se donne dans “une brise de fin silence” (1 Rois 19, 12). »[1] Elle suggère. Au travers des sens, du rythme des mots, de la tonalité, elle laisse deviner la voix du Seigneur. Les mots s’effacent, la musique murmure… afin de laisser entendre la Parole du mystère célébré.
Père du premier mot
Jailli dans le premier silence
Où l’homme a commencé,
Entends monter vers toi,
Comme en écho,
Nos voix
Mêlées aux chants que lance
Ton Bien-Aimé.[2]
Jour après jour, semaine après semaine les hymnes se répètent, jusqu’à parfois peut-être une certaine lassitude. Cependant cette fréquence du retour des hymnes a pour effet, grâce à la musique, de favoriser la mémoire des textes. En atteignant le cœur du priant, la musique des hymnes permette de façonner la mémoire vive du croyant, « une mémoire qui se souvient de la parole comme une présence qui chante. »[3] Modelant ainsi son cœur, l’hymne lui permet d’habiter le mystère célébré, de le goûter, de le redire avec ses mots propres… C’est une longue et lente rumination, à l’image d’Ézéchiel mangeant le livre.
Témoin du dialogue entre Dieu et son peuple, l’hymne tient une place essentielle dans la prière de l’Église car elle permet d’actualiser ce dialogue comme signe des temps. L’hymne veut en effet s’inscrire dans l’actualité de la vie de l’homme. Elle veut exprimer la permanente nouveauté du dialogue entre Dieu et son peuple. Elle tente à chaque fois de le reprendre à frais nouveaux et témoigne ainsi de l’incarnation de la prière au cœur du temps présent. Redire avec des mots d’aujourd’hui – sans pour autant succomber à l’usure de la répétition – l’actualité du salut, la condition de l’homme comme fils de Dieu, la fidélité toujours renouvelée de l’amour du Père. Telle est la mission des hymnes de l’office !
Ainsi en témoigne cette hymne[4] du mardi de l’office de vêpres de la semaine II :
Seigneur, au seuil de cette nuit
Nous venons te rendre l’esprit
Et la confiance.
Bientôt nous ne pourrons plus rien,
Nous les mettons entre tes mains
Afin qu’en toi nos vies, demain,
Prennent naissance.
Ce jour en train de décliner,
Tu nous donnes de le tourner
Vers le mystère
Que fit le premier soir, avant
La première aube sur les temps
Et chaque soir au soir suivant
Dit ta lumière.
Rappelle-toi lorsque tu vins
Dans le vent de nuit au jardin
De la genèse,
Afin que l’homme trouve au cœur
Un nouveau jour plus intérieur,
Qui le rappelle à son Seigneur,
Quand l’autre baisse.
Tu ne l’as pas abandonné ;
Ton esprit de feu dans la nuée
Resta fidèle.
Et puis le ciel s’est découvert,
Quand tu pris chair de notre chair,
Quand tu donnas à l’univers
Sa nuit nouvelle.
Surtout, Jésus, rappelle-toi,
Descendant encore plus bas
A la mort même :
Puisque tout est renouvelé,
Laisse ce soir nos cœurs aller
Dans cette paix que tu promets
A ceux qui t’aiment.
La première strophe de cette hymne reprend le thème traditionnel de l’office de vêpres : la nuit tombant, l’homme remet, avec confiance, son esprit entre les mains de Dieu, afin que veillant sur lui durant la nuit, il l’achemine vers le jour naissant.
Au fil des strophes se dessine ce long chemin où l’homme, à pas trébuchants, marche à la suite de son Seigneur. Par le jeu des mots la seconde strophe rappelle combien « ce jour en train de décliner » fait écho au « premier soir », à la première aube de Genèse 1, 5.
Né au jardin de la genèse, l’homme contemple cette terre où Dieu « fit germer du sol tout arbre d’aspect attrayant et bon à manger, l’arbre de la vie au milieu du jardin et l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais. » (Genèse 3, 8) Fils d’Israël, il se laisse guider au désert par l’Esprit de Dieu afin de sceller encore une fois l’alliance avec l’Éternel ; une alliance qui vient à sa plénitude le soir où le Christ prit chair de notre chair. Cette nuit nouvelle laisse déjà préfigurer la nuit de la croix où le Christ, pour faire de chacun des fils adoptifs, affronte l’angoisse et la mort.
Rappelant ainsi l’alliance entre Dieu et l’homme, cette hymne – à l’image d’autres hymnes de l’office – plonge le croyant au cœur du mystère : le mystère d’un Dieu qui n’a pas abandonné son peuple au désert, le conduisant depuis la nuée, le mystère d’un Dieu s’est fait homme afin que naisse « une nuit nouvelle », « un nouveau jour plus intérieur ».
CNPL, Article extrait de la revue Célébrer n° 312
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1. Patrick Prétot, « L’hymne liturgique : pour une approche compréhensive d’une réalité complexe », dans Liturgie Cistercienne, n° 100, p. 121.
2. Hymne laudes jeudi semaine II (Prière du Temps présent, éd. Cerf – Desclée – Desclée de Brouwer – Mame, Paris, 1980, p. 809).
3. Patrick Prétot, référence ci-dessus p. 131.
[4] Dans Prière du Temps présent, p. 781.