L’Agneau de Dieu et la fraction du pain
Par Serge Kerrien, Diacre permanent du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier et conseiller pastoral du SNPLS
« La fraction de pain commence après le rite de paix […] L’invocation « Agneau de Dieu » est ordinairement chantée par la chorale ou le chantre et le peuple y répond ou bien elle est dite à haute voix. Cette invocation accompagne la fraction du pain et peut donc être répétée autant de fois qu’il est nécessaire jusqu’à ce que le rite soit achevé. La dernière fois, elle est conclue par les mots : « Donne-nous la paix ». » (PGMR n°83)
Le chant de l’Agneau de Dieu est au départ une petite litanie introduite dans la liturgie à l’époque du pape Serge 1er (687 – 701). On la chantait pendant la fraction du pain dont la durée pouvait être importante puisque les ministres rompaient les pains consacrés destinés à la communion des fidèles. La litanie avait pour but de rappeler que le Christ était la Victime qui, par son sacrifice, purifiait le monde du péché. Progressivement, surtout à partir du moment où on a utilisé des hosties déjà fractionnées, la litanie chantée s’est réduite au point qu’il n’en reste aujourd’hui que trois courtes invocations.
Son sens
L’expression même, Agneau de Dieu, peut paraître obscure et poser des questions. Certains pensent même, un peu vite, qu’elle est incompréhensible pour nos contemporains, et ne correspond plus à la culture d’aujourd’hui. Alors, on remplace l’Agneau de Dieu par un autre chant. En agissant ainsi, on élimine la question, et donc la chance de pouvoir expliquer un élément de la liturgie.
Pour en saisir le sens, il nous faut revenir à l’histoire du peuple de Dieu et à la sortie d’Égypte (Exode 12, 21 – 27). Ce soir-là, l’agneau de la libération de l’esclavage est mis à mort dans chaque maison et démembrée. Son sang marque les maisons des esclaves enfin libérés. Plus tard, dans le désert, en mémoire de cette nuit, Moïse rassemble le peuple pour écouter la parole de Dieu et lui offrir, en sacrifice d’expiation pour les péchés, un bouc dont le sang répandu signifie le pardon des péchés et le rétablissement de l’Alliance (Lévitique 16, 15 -19).
Mourant sur la croix pour nos péchés, le Christ est le nouvel agneau de la nouvelle Alliance dont le sang est versé pour nous : « Ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour la multitude, en rémission des péchés » (prière eucharistique n° 2). Désormais, parce que l’unique sacrifice du Christ est parfait, tous les autres sacrifices n’ont plus lieu d’être : plus une goutte de sang ne sera versée. Il ne peut plus y avoir d’autre agneau pascal que celui qui mourut sur la croix et rend présent son sacrifice sous la forme du pain et du vin dont il nous fait son corps et son sang. C’est la raison pour laquelle nous chantons l’Agneau de Dieu pendant que le prêtre rompt le pain.
La réalisation
Redécouvrir la valeur significative du geste de la fraction du pain ne règle pas tout. En effet, de nombreux « Agneau de Dieu » sont très brefs et écrits sous la forme ternaire héritée de ce qui restait de la litanie primitive. Ces mélodies courtes sont parfaitement adaptées si elles accompagnent le geste de fraction dans toute sa durée. D’autres formes sont disponibles. Elles comprennent souvent des tropes (versets qui précèdent l’invocation) qui mettent en évidence un des aspects du mystère plus particulièrement célébré.
Si l’on sait que la fraction du pain sera rapide, on retient une formule qui fera chanter deux ou trois invocations simples. Si l’on sait que la fraction prendra du temps, par exemple lors d’une concélébration, on retient une formule plus longue qui permettra d’accompagner le geste de fraction et la distribution du pain aux concélébrants. Le chef de chœur ou l’animateur du chant ont alors à appréhender la durée du rite pour s’y caler.
Mais nous pouvons aller plus loin dans la réalisation. En effet, la qualité musicale et donc l’enrichissement du rite demandent que les chanteurs s’impliquent dans l’action. De quelle manière ? D’abord en ayant conscience des paroles chantées et de leur rapport au rite ; ensuite, en regardant ce qui se passe à l’autel pour que le geste du prêtre donne sens au chant. On peut encore retrouver une pratique qui a existé : deux chanteurs s’avancent ; il se placent de part et d’autre de l’autel avant le geste de fraction, ce qui focalise le regard de tous les fidèles sur l’acte de la fraction. Leur regard contemple le mystère du Corps du Christ, « Agneau de Dieu ». On voit comment cette manière de faire peut renouveler le regard d’une assemblée sur le geste où Jésus se donne à reconnaître : « Quand il fut à table avec eux, il prit le pain, dit la bénédiction, le rompit et le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent. » (Luc 24, 30 – 31)