Homélie et musique
Par Michel Steinmetz
On pourrait, d’emblée, et légitimement, se demander ce que l’homélie entretient comme rapport avec la musique. N’est-t-elle pas le lieu du discours parlé par excellence ? Ce temps où le ministre explicite et commente la parole de Dieu, l’actualise … La prédication rejoint le mouvement de la Révélation en étant un événement de communication ; elle est parole ecclésiale dont la mission est de faire advenir l’Évangile dans le quotidien de ceux qui se laissent toucher par cette Parole. L’homélie, enfin, ne saurait se passer d’outils intellectuels, exégétiques et théologiques, pour garantir une juste interprétation du texte biblique. Et la musique dans tout cela ? Elle n’est pas si loin !
L’homélie fait, généralement, appel au discours oral, qui est lui-même une catégorie du langage. Et le langage prend place dans tout un processus complexe de communication. N’oublions pas que la musique est, elle aussi, un langage : on parle ainsi volontiers du langage musical… La musique s’insère, quoique différemment, certes, dans un acte de communication entre le compositeur, l’interprète et l’auditeur. Musique et homélie participent donc d’une même réalité de communication. Concrètement, qu’est-ce que cela peut donner ?
La musique comme soutien de la méditation
Enchaîner homélie et profession de foi, au cours de la célébration de l’eucharistie, sans laisser un temps de méditation serait inadéquat et, pour une part, priverait l’homélie d’une indispensable intériorisation. Pourquoi ne pas introduire, et cela se fait déjà beaucoup, un moment de musique ? Un chant pourrait être repris par l’assemblée (le chant d’entrée, par exemple, que le prédicateur aurait repris dans son propos…) ; l’orgue pourrait reprendre le thème d’un chant lancé par le prédicateur au cours de l’homélie ; l’organiste pourrait improviser sur un thème liturgique approprié, jouer un choral ou, mieux encore, ré-exposer musicalement l’homélie avec sa sensibilité… Une bonne raison pour lui d’écouter ce qui se dit ! Et je parle par expérience.
La musique comme ponctuation de l’homélie
Plus encore que précédemment, il s’agirait ici d’intégrer, un peu plus, la musique, comme langage, à celui de l’homélie. Le prédicateur se tairait alors (belle leçon de modestie) pour faire un peu de place à la musique. Cela demande quelques efforts : La musique ne devrait pas rallonger excessivement la durée de l’homélie. Notre civilisation médiatique a fait évolué les lois de l’oral, la prédication se doit d’être plus courte qu’autrefois. L’homélie devrait être rigoureusement préparée sur le plan formel (« ce qui se conçoit bien s’énonce clairement »).
Un exemple : à Saverne (Bas-Rhin), pour le dimanche du Christ-Roi, et celui de la sainte Cécile, patronne de la chorale paroissiale, le prédicateur ‑ qui n’est autre que l’auteur de ces lignes ‑ avait proposé aux organistes de ponctuer son homélie en introduisant chacune des parties. Cela a provoqué l’enthousiasme des musiciens au point que deux d’entre eux ont composé des interludes sur le chant Quand le Seigneur se montrera qui accompagnait l’entrée des célébrations dominicales des trois derniers dimanches de l’année liturgique, ceux dont l’Évangile nous parle du retour glorieux du Christ à la fin des temps.
L’homélie était composée de trois parties :
- Ce dimanche est le dernier de l’année liturgique.
2. Ce dimanche est celui du Christ, Roi de l’univers.
3. Ce dimanche est non jour de crainte et de tremblement, mais jour de louange.
Le prédicateur annonçait la partie, puis l’orgue intervenait, avec notamment un grand plein jeu pour la deuxième partie, des rythmes dactyles pour la dernière… Après cette intervention, le prédicateur reprenait les paroles d’une strophe du chant pour commencer l’exposé de sa partie. Peut-être l’assemblée aurait-elle pu chanter cela ?
Un dialogue entre prédicateur et musicien ?
Et si nous allions encore un peu plus loin ? Cette dernière proposition constitue sans doute matière à réflexion. Si nous posons que le discours oral et le langage musical participent tous deux d’un même processus de communication, alors pourquoi ne pas réserver une place encore plus large à la musique dans l’art homilétique ? Il faut néanmoins préciser – et c’est là, à mon sens, que se trouve tout l’intérêt de la proposition – que si énoncé verbal et langage musical sont des actes de communication, le discours du prédicateur s’adresse plus à l’intellect de l’auditoire, même si, bien sûr, il peut jouer sur les intonations, les gestes, alors que la musique a une action plus directement « charnelle ». Elle laisse une part plus grande à l’interprétation personnelle d’un chacun ; elle fait advenir les profondeurs de l’affect. À l’intérieur du langage musical, le chant tient une place éminente puisque les paroles accèdent à un niveau d’expression inégalée : le verbe s’incarne dans toutes les dimensions de l’humain, à la fois physiques, sentimentales et intellectuelles. L’homélie, mieux encore que d’être ponctuée par la musique ou le chant, pourrait alterner entre ces diverses modes de communication, chacun se situant comme un discours autonome et suffisant. Cela demande, sûrement, un « feeling » et un savoir-faire parfaitement maîtrisé. Ici pourrait sans doute se déployer à merveille le jeu de l’improvisation. L’homélie serait un dialogue entre prédicateur et musicien, dialogue jamais fermé mais toujours ouvert où l’assemblée aurait toute sa place.
Les mises en œuvre sont assurément possibles. Et il ne s’agit probablement pas que d’un vœu pieux. Admettons que le défi en vaut la chandelle ! L’incarnation de la Parole proclamée pourrait y trouver un terreau propice afin de porter par la suite de beaux fruits… Rappelons que, pour garder toute leur force, des mises en œuvre quelque peu inhabituelles comme celles-ci se devront d’être réservées à des occasions judicieusement choisies.