Repères historiques sur le Missel romain
Cet article est extrait de la revue de pastorale liturgique et sacramentelle Vivre et Célébrer (printemps-été 2021), publiée par la Conférence des évêques catholiques du Canada. Voici donc un regard au-delà de l’Atlantique sur le Missel romain, à l’occasion de sa nouvelle traduction !
Qui a dit que le Missel romain n’est pas un sujet d’actualité ? Le 16 juillet 2021, le pape François a publié le Motu proprio Traditionis Custodes, accompagné d’une lettre aux évêques redéfinissant les possibilités de célébrer selon la liturgie romaine antérieure à la réforme qui a suivi Vatican II[1]. En quelques heures, ces deux documents ont été présentés, commentés, louangés, vilipendés, dans toutes les langues et un peu partout sur la planète.
Cette publication survient alors que je mets la dernière main à cet article sur l’histoire du Missel romain. Je réécris donc mon introduction, car il est impossible de passer sous silence ce mini tremblement de terre dans la « cathosphère », ou monde catholique, tremblement de terre qui illustre à quel point l’histoire du Missel romain a quelque chose d’actuel. Car les raisons de la création du missel de 1570 comme de celui de 1970 ont grandement à voir avec celles qui motivent le pape François à publier ce Motu proprio aujourd’hui : liturgie et unité de l’Église sont indissociablement liées. J’ai piqué votre curiosité ? Parfait, nous y reviendrons au fil de cet article et dans celui sur la théologie du Missel romain.
D’où vient le Missel romain ?
Qu’est-ce qu’un missel ? Selon le lexique du Dictionnaire encyclopédique de liturgie, c’est le « livre liturgique plénier apparu à la fin du xe siècle et contenant l’ensemble des textes de la messe, contenus répartis auparavant entre le sacramentaire, le lectionnaire, l’antiphonaire[2] ». Cette définition nous inscrit déjà dans l’histoire et donne des pistes pour amorcer notre enquête.
Lors d’interventions sur l’année liturgique, je fais toujours la même blague : Jésus, le jour de l’Ascension, n’a pas arrêté le petit nuage qui le portait vers le Père pour tendre aux apôtres un rouleau avec le nouveau calendrier liturgique maintenant prescrit à la jeune Église. Cela serait si simple – et si loin de la réalité de l’incarnation ! – si Jésus nous avait ainsi transmis toutes les pratiques de la vie chrétienne. Il en est de même pour la liturgie. Ne vous laissez pas berner par les discours sur la « messe de toujours ». Pour reprendre le cri du cœur d’un ami prêtre du diocèse de Nicolet, « c’est la plus grande des Fake News qui soit ! » L’eucharistie et la célébration de la messe ont constamment évolué au fil des siècles, tout comme les livres qui en supportent la célébration. Et ces livres ont une histoire complexe.
De l’Église primitive au Concile de Trente – Les informations disponibles sur la célébration et la théologie de l’eucharistie des premiers siècles sont précieuses, mais limitées : les récits du dernier repas de Jésus et de ses disciples dans les textes évangéliques et dans la Première lettre aux Corinthiens de Paul ; ceux des repas de Jésus après sa résurrection, qui ont tous une forme « eucharistique », et de plusieurs épisodes de la vie publique de Jésus (par exemple, le discours sur le pain de vie en Jean 6). Puis des textes comme la Didachè à la fin du premier siècle, l’Apologie de Justin au deuxième siècle, des lettres, homélies et catéchèses mystagogiques des Pères de l’Église au deuxième, troisième et quatrième siècles qui parlent de l’importance de la fraction du pain, du repas du Seigneur. Mais aucun livre liturgique proprement dit ne s’est rendu jusqu’à nous ; à peine quelques fragments de papyrus et des manuscrits incomplets. Nous savons que les éléments fondamentaux – liturgie de la Parole, prière d’action de grâce, fraction et partage du pain – étaient en place au iie siècle. Ceux-ci étaient fixés, mais la mise en œuvre de la célébration laissait une grande place à la liberté du président d’assemblée. Un des grands liturgistes du xxe siècle décrit ainsi l’esprit de la liturgie des premiers siècles : l’unité dans l’ensemble, la liberté dans le détail[3].
La naissance des livres liturgiques proprement dits est liée à différents facteurs : la croissance de l’Église ; l’accroissement du nombre de communautés ; la présidence des eucharisties déléguées par les évêques aux presbytes ; l’appauvrissement de la culture (régulièrement dénoncé tout au long de l’histoire de l’Église) des ministres ordonnés ; la diversification culturelle et langagière dans le christianisme au fur et à mesure de son expansion.
La généalogie des premiers livres liturgiques est complexe : si on la simplifie, on trouve, au départ, des papyrus et manuscrits qui sont perdus ou incomplets ; puis, des libelli – courts manuscrits reliés – et des ordines, des hybrides avec des indications sur le « comment faire » et des textes liturgiques proprement dits. Naissent ensuite les premiers vrais livres liturgiques : les sacramentaires, rassemblant tout ce qui était nécessaire à la célébration liturgique par l’évêque. Ces livres étaient complétés par des lectionnaires, présentant ce qui revenait aux lecteurs, et des antiphonaires, avec les psaumes pour les psalmistes, et des chants. Les premiers livres liturgiques semblent donc s’être développés en fonction des différents ministères de la célébration.
Charlemagne (roi des Francs de 768 à 814 et empereur d’Occident de 800 à 814) joua un rôle important dans l’histoire de la liturgie en utilisant celle-ci comme outil d’unification de son empire ; je l’ai déjà évoqué dans deux articles publiés dans Vivre et célébrer[4]. Charlemagne est aussi incontournable lorsqu’il s’agit de l’histoire des livres liturgiques. Pour réaliser son projet d’unification, il a choisi, sur les conseils de ses conseillers ecclésiastiques, d’imposer aux divers peuples de son empire, parlant différentes langues, la liturgie de l’Église de Rome célébrée en latin. L’évêque de Rome à qui Charlemagne s’est adressé pour qu’il lui transmette les prières et usages de Rome lui a bien envoyé un livre, mais celui-ci n’était que partiel. En effet, il n’existait pas, aux viiie et ixe siècles, « une » liturgie de Rome (il y avait la liturgie célébrée par le pape, celle du Latran, celle des tituli ou paroisses romaines). Les savants et liturgistes qui entouraient l’empereur ont donc dû compléter cette liturgie romaine incomplète qui devint ainsi une liturgie romano-franque en latin.
Une autre transformation importante de la période carolingienne marquera durablement la lente marche vers la création du Missel romain : la multiplication des « messes privées » :
Marie-Josée Poiré pour Vivre et Célébrer
[1] Pour le Motu proprio en anglais et pour la lettre en anglais (consultés le 16 juillet 2021).
[2] En collaboration (s.d. D. SARTORE et A. M. TRIACCA, adaptation française s.d. H. DELHOUGNE), Dictionnaire encyclopédique de la liturgie, tome II : M-Z, Turnhout, Brepols, 2002, p. 544. L’antiphonaire est un livre liturgique contenant, en tout ou en partie, les antiennes, les psaumes et les chants, pour la messe et pour l’office.
[3] Josef Andreas JUNGMANN, La liturgie de l’Église romaine, traduit de l’allemand par Marcel GRANDLAUDON, Mulhouse, Salvator, 1957, p. 29.
[4] En collaboration avec Guy LAPOINTE, o.p., « Célébrer à l’heure des réaménagements paroissiaux et du tournant missionnaire », dans Vivre et célébrer, n° 228, vol. 51, été 2017, p. 11-14 ; « Vous avez dit participation ? », dans Vivre et célébrer, n° 234, hiver 2018, p. 4-6.