Les scrutins, soutiens spirituels aux catéchumènes
Par Roland Lacroix, Enseignant à l’Institut supérieur de pastorale catéchétique (ISPC – ICParis), responsable du catéchuménat dans le diocèse d’Annecy.
Le Guide pastoral du Rituel de l’initiation chrétienne des adultes demande que l’on veille « à bien marquer la particularité du temps du carême par rapport à la formation précédente, afin que les catéchumènes n’arrivent pas au jour du baptême sans s’en rendre compte ». Il n’y a en fait aucun risque que les catéchumènes s’approchent du baptême sans s’en apercevoir ! Au contraire, ils vivent les dernières semaines qui les séparent de la vigile pascale de manière plutôt intense.
D’une part, le baptême qu’ils s’apprêtent à recevoir est pour eux l’aboutissement d’un long cheminement et d’un désir qui date souvent de plusieurs années. D’autre part, tout s’est enchaîné dans les derniers mois : les rencontres avec les accompagnateurs et les autres catéchumènes, les étapes liturgiques, les assemblées catéchuménales. Or se profile, au moment du Carême, une vie chrétienne « ordinaire » qu’ils redoutent un peu, comme ils redoutent le vide qu’ils ressentiront sans doute après Pâques.
A la joie de voir approcher la date de leur baptême peut s’ajouter aussi chez certains catéchumènes une interrogation sur la « qualité » de leur conversion, avec la crainte de ne pas être à la hauteur de tout ce qu’ils ont reçu, avec la découverte que le baptême tant désiré ne fera pas tout et qu’ils n’ont peut-être pas pris la mesure de ce que cela implique de devenir chrétiens. Ils viennent d’inscrire leur nom auprès de l’évêque lors de l’appel décisif – ce qui représente un engagement plus marquant qu’on ne l’imagine – et ressentent alors une tension intérieure, puisque percevant mieux les appels du Christ à le suivre, ils ont davantage conscience des résistances que cela génère en eux. C’est un véritable combat spirituel, même si celui-ci n’est pas exprimé et toujours reconnu comme tel. De plus, beaucoup ne peuvent pas partager leurs appréhensions avec des proches pas toujours favorables.
Des appelés « appelants »
Il s’agit donc, durant le Carême, de se faire proche des catéchumènes, de les soutenir dans la dernière « ligne droite » de leur cheminement, dans leur ultime démarche, car ils en ont besoin. Le RICA a raison de considérer ce temps comme un temps de « préparation intense qui tient plus de la retraite spirituelle que de la catéchèse ». La meilleure manière de les soutenir, c’est de se mettre à leur rythme. L’appel décisif pourrait ainsi prendre une plus grande place dans les diocèses comme entrée en Carême aux côtés des catéchumènes appelés.
Ceux-ci, par leur démarche, par le « travail » de conversion qui est en train de s’opérer en eux – le RICA les nomme les illuminandi, « ceux qui sont en cours d’illumination », en train de recevoir la lumière – deviennent ceux vers lesquels toute la communauté diocèsaine peut se tourner. Sur le chemin catéchuménal du Carême, les catéchumènes sont au cœur de la communauté diocésaine, celles et ceux vers lesquels regarder – le RICA les nomme les electi, les élus, les choisis – puisqu’ils vivent ces quarante jours en éprouvant la vérité de leur démarche, en faisant l’expérience, notamment liturgique, du lâcher-prise sous le regard du Christ. Le Carême est donc à vivre comme un temps de grâce permettant à tous, par la présence des catéchumènes, de retrouver le rythme des commencements de la foi, rythme propre à la conversion.
Dans la perspective de l’initiation chrétienne, le Carême propose donc un renversement : les « appelés » peuvent être considérés comme eux-mêmes « appelants » autour des rites qui « leur sont offerts » – selon la belle expression du RICA. Les accompagnés deviennent les accompagnants d’une Eglise diocésaine en marche vers Pâques – le RICA les nomme competentes, « ceux qui se dirigent ensemble » vers les sacrements d’initiation, vers le don de l’Esprit. A l’expérience, ce renversement ne va pas de soi. Il sollicite non seulement les accompagnateurs, mais aussi toute la communauté chrétienne. Ce que dit le Directoire général pour la catéchèse trouve ainsi tout son sens pendant le Carême :
« Le catéchuménat baptismal est une responsabilité de toute la communauté chrétienne (…) L’institution catéchuménale accroît ainsi dans l’Eglise la conscience de la maternité spirituelle qu’elle exerce dans toute forme d’éducation à la foi. »
Tout le cheminement catéchuménal, mais particulièrement le Carême, insiste ainsi sur la fonction maternelle de l’Eglise. Un parrainage de la communauté pourrait alors davantage prendre forme durant cette dernière période, en prévision aussi de l’après-baptême.
Au cœur du Carême, les scrutins
Les catéchumènes, approchant du point d’orgue de leur initiation chrétienne, la vigile pascale, ont donc besoin d’une proximité spécifique durant les dernières semaines de leur cheminement catéchuménal. La dynamique liturgique inscrite dans le RICA, toute tendue vers les sacrements du Christ et le don de l’Esprit, vers la renaissance des catéchumènes comme « êtres nouveaux » dans le Christ, est d’ailleurs bien signifiée par l’intitulé de cette période : « le temps de la purification et de l’illumination et ses rites ». « Illumination » et « purification », deux mots forts dont les scrutins sont les rites principaux, rites permettant aux catéchumènes de se préparer et de s’ajuster intérieurement à la plongée dans la mort et la résurrection du Christ et à la réception de la lumière lors de la vigile pascale.
L’importance de ces étapes liturgiques et de ce qu’elles proposent n’est pas toujours bien perçue. Le mot « scrutin » lui-même rebute parfois les accompagnateurs et les membres des communautés chrétiennes. Le mot « scrutin » vient du latin scrutinium qui a comme sens « action de fouiller », « action de visiter ». Le verbe « scruter » a quelques occurrences dans la Bible. Par exemple :
« Scrute-moi, mon Dieu, tu sauras ma pensée ; éprouve-moi, tu connaîtras mon cœur. » (Ps 138, 23).
« Moi, le Seigneur, qui pénètre les cœurs et qui scrute les reins, afin de rendre à chacun selon ses actes, selon les fruits qu’il porte. » (Jr 17, 10).
La visée du scrutin est ainsi de mettre à jour, « ce qu’il y a de faible, de malade et de mauvais, pour le guérir, et ce qu’il y a de bien, de bon et de saint, pour l’affermir » dans le cœur des catéchumènes. L’intimité prend alors une grande place :
« Il est demandé aux futurs baptisés d’avoir le désir de parvenir à une connaissance intime du Christ et de l’Eglise et (…) de ce qu’ils sont devant Dieu. »
Une initiative par la liturgie à la dimension pénitentielle du baptême et de la vie chrétienne
Les scrutins sont au cœur de la démarche des futurs baptisés, à ce moment favorable de leur cheminement, parce qu’ils leur permettent de se placer en vérité devant le Christ. Mais cette mise en questionnement de l’intime n’est pas pure introspection. S’il s’agit de « creuser » en soi-même, de se laisser « fouiller » par la parole de Dieu et par le Christ, c’est pour « faire sortir » ce qui empêche de laisser place en soi aux autres et à l’Autre. La prière est ainsi une prière d’exorcisme. « Exorcisme », un mot qui n’a plus bonne presse. L’exorcisme est en fait un rite très ancien « destiné à délivrer la personne de l’influence du Mauvais et à l’ouvrir à la grâce du Christ ». Certaines paroles des prières d’exorcisme passent difficilement aujourd’hui. Or, s’il s’agit d’être arraché à « toute erreur », à l' »esclavage par le père du mensonge », des « pièges du démon », de la « puissance du Mauvais », c’est pour mieux « convertir son cœur », « s’enraciner dans la vérité », « jouir de la lumière de Dieu », « rester toujours fils de lumière », participer à la gloire de la Résurrection, aller vers « le festin de la vie ».
Les futurs baptisés, eux, ne sont pas gênés par ces évocations. Ils comprennent de manière presque intuitive ce que représente la figure énigmatique du mal que ces prières suggèrent car ils savent ce que représentent comme résistance à la lumière certaines illusions, tentations, séductions … Les prières d’exorcisme les rejoignent davantage qu’on ne penserait spontanément car, si elles n’hésitent pas à les mettre en face du mal, c’est pour les encourager à faire appel à Dieu qui peut les en libérer. Les mots « purification » et « illumination » prennent alors tout leur sens, puisqu’il s’agit de passer des ténèbres à la lumière. Le rôle des scrutins ne doit donc pas être négligé comme préparation pénitentielle au baptême et comme soutien spirituel aux catéchumènes.
Les scrutins mettent en œuvre une liturgie simple et dépouillée où la prière prend la première place. D’abord une prière silencieuse de l’assemblée et des catéchumènes qui se sont inclinés ou agenouillés. Suit une prière litanique, les parrains et marraines posant la main droite sur l’épaule de leurs filleuls. Puis une prière d’exorcisme, lors de laquelle les gestes du célébrant sont signifiants : mains jointes pendant la prière à Dieu, puis imposition de la main en silence sur chaque catéchumène, puis les mains étendues sur tous les catéchumènes pendant la prière d’exorcisme adressée à Jésus avec invocation de l’Esprit Saint. La force de ces gestes et de cette prière au Dieu trinitaire -au nom duquel les catéchumènes seront bientôt baptisés -, leur fait prendre conscience que, malgré toutes les inquiétudes et leurs appréhensions, avancer sera toujours possible car ce n’est pas à la force du poignet qu’ils deviennent chrétiens, mais par la force de l’Esprit Saint. Les accompagnateurs et l’assemblée ne restent pas spectateurs, ils sont alors eux-mêmes initiés, se préparant à l’aspersion de Pâques. Notons enfin que le rite du renvoi trouve une vraie pertinence après un rite de scrutin. Venant de vivre une étape liturgique essentielle dont les gestes et les paroles les ont fortement marqués et touchés, les catéchumènes ont besoin que ce qui vient de se passer puisse se déployer dans un court passage.
Trois rencontres « salutaires »
Le RICA propose de célébrer trois scrutins les troisième, quatrième et cinquième dimanches de Carême. Les rites des scrutins sont ainsi articulés aux trois évangiles correspondants de l’année A : la rencontre de Jésus avec une Samaritaine (Jn 4, 1 – 42), la guérison d’un aveugle-né (Jn 9, 1 – 41), la résurrection de Lazare (Jn 11, 1 – 44). Ces évangiles font l’objet de partages avec les accompagnateurs – et, pourquoi pas, de rencontres communautaires. Mais on se heurte, du côté des catéchumènes, à des emplois du temps parfois très « serrés » ; conjuguer vie de travail, vie de famille, cheminement … n’est pas toujours simple.
Ces trois textes d’Évangile racontent trois rencontres avec Jésus qui se révèlent « salutaires » pour la Samaritaine, l’aveugle-né et Lazare. Ils sont fortement consonants avec ce que sont en train de vivre les catéchumènes. Ils leur révèlent leur propre chemin de foi comme un chemin de vérité, un chemin de parole et un chemin de liberté.
– Un chemin de vérité, car c’est lorsqu’elle fait la vérité sur elle-même que la Samaritaine, de malentendante de la parole de Jésus qu’elle était, en devient une auditrice attentive. Le premier scrutin signifie ainsi aux catéchumènes qu’ils ne peuvent accéder à l’eau vive du baptême et accueillir le regard d’amour du Christ sans faire la vérité sur eux-mêmes.
– Un chemin de liberté, car Jésus est porteur d’une Parole de vie qui fait sortir Lazare de l’ombre. Lazare était tout entier entravé, la Parole l’invite à se laisser délier pour une liberté nouvelle : « Laissez-le aller ». La vie est re-suscitée par celui qui ouvrira bientôt un autre passage : celui de la mort à la vie. Le troisième scrutin signifie aux catéchumènes qu’être baptisé c’est se laisser tout entier envahir par une vie nouvelle, se laisser re-susciter par la parole de Dieu et se laisser ainsi dépouiller des bandelettes qui entravent souvent notre liberté.
Les scrutins sont eux-mêmes trois rencontres « salutaires » pour les catéchumènes. Un moment privilégié pour eux de rencontre avec le Christ, un moment unique d’initiation chrétienne. Car la force qu’ils puisent grâce à ces trois évangiles et aux rites vécus en communauté les aide, n’en doutons pas, à oser devenir chrétiens.
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