La vigile pascale, point d’orgue de l’initiation chrétienne

30 mars 2013 : Vigile pascale. Paroisse Saint-Ambroise, Paris (75) France.

30 mars 2013 : Vigile pascale. Paroisse Saint-Ambroise, Paris (75) France.

Par Roland LacroixEnseignant à l’Institut supérieur de pastorale catéchétique (ISPC – ICParis), responsable du catéchuménat dans le diocèse d’Annecy.

Dans les années cinquante, la renaissance du catéchuménat est allée de pair avec la restauration de la vigile pascale. Celle-ci n’est pas isolable en effet de l’ensemble du processus liturgique et catéchétique de l’initiation chrétienne. Le Directoire Général pour la Catéchèse[1] évoque ainsi le lien étroit entre mystère pascal, catéchuménat et vigile pascale :

« Le catéchuménat baptismal est tout imprégné du mystère de la Pâque du Christ. C’est pourquoi « toute l’initiation doit révéler clairement son caractère pascal ». La Veillée pascale, centre de la liturgie chrétienne, et sa spiritualité baptismale, sont une source d’inspiration pour toute la catéchèse » (§ 90).

La vigile pascale est donc intimement liée à tout l’itinéraire catéchuménal. La triple immersion du catéchumène au nom du Père, du Fils et du saint Esprit fait écho au signe de croix qu’il a reçu sur tout le corps lors de la première étape du baptême, l’entrée en Eglise. L’appel décisif, deuxième étape, est tout tendu vers la vigile pascale : les illuminandi – « en train d’être illuminés », terme qui désigne les catéchumènes appelés – deviendront les « illuminés » de la nuit de Pâques. Si la pédagogie d’initiation regarde « toujours la personne avec le souhait actif de rendre possible chez elle une ouverture spirituelle », si « son fruit est la réalisation en chaque personne de l’acte même de Dieu qui attire à lui »[2], le Rituel de l’initiation chrétienne des adultes[3] en est le lieu privilégié. Par son articulation entre étapes liturgiques et périodes de catéchèse – que le RICA appelle « périodes de recherche et de maturation » (§ 42) – le processus catéchuménal est en effet tout entier passage. Le bain baptismal vient après plusieurs mois de « bain ecclésial »[4] dans lequel les catéchumènes ont été plongés : rencontres avec les accompagnateurs, étapes liturgiques, assemblées catéchuménales, se sont succédées à un rythme régulier et soutenu.

L’initiation chrétienne favorise ainsi l’engendrement des catéchumènes à la vie de Dieu par l’ensemble de son itinéraire mais aussi par chacun de ses moments. Si la vigile pascale initie les catéchumènes par les derniers rites de l’initiation – baptême, confirmation, eucharistie -, ces sacrements n’en sont pas pour autant le but que les catéchumènes et leurs accompagnateurs auraient enfin atteint. Les catéchumènes sortent pourtant d’une longue période d’attente et ils ressentent souvent la troisième étape de l’initiation chrétienne comme un aboutissement. C’est pourquoi ils vivent de manière spécifique la vigile pascale. Leur cheminement catéchuménal se termine alors et ce qui va se passer après reste flou. C’est une rupture. Les néophytes ne retrouveront jamais les sensations du chemin qu’ils viennent de parcourir. Le paradoxe, c’est qu’ils sentent bien que quelque chose prend fin alors que la liturgie de la vigile pascale leur dit que tout commence, une vie nouvelle dont ils porteront désormais la marque, par la chrismation, signe du don de l’Esprit saint.

L’une des richesses de l’initiation chrétienne, c’est de s’adresser à des personnes pour lesquelles 

« le fait d’avoir à attendre le baptême, les difficultés avec leur entourage qu’entraîne parfois leur démarche, les résistances qu’ils éprouvent à l’égard de l’Évangile ou de l’Église, la fatigue ou la déception, le combat spirituel qu’ils mènent vis-à-vis de ce qui les désoriente ou les arrête, [sont] des épreuves réelles et en même temps expressives d’une Pâque mystérieuse en train de s’accomplir »[5].

Mais les épreuves sont aussi liturgiques. Lors de la vigile pascale, il s’agit de plonger dans la mort et la résurrection du Christ. L’épreuve devient physique, par le baptême dans l’eau, jusqu’à perdre souffle. Ce beau geste est d’une grande force symbolique, d’où l’importance de le marquer au moins par la plongée de la tête du catéchumène dans la cuve baptismale[6]. Thomas l’évoque ainsi : « Je n’ai jamais senti Dieu aussi présent qu’à cet instant où l’on m’a plongé la tête dans l’eau ». Et Séverine : « Ce jour-là, je suis éclose, aujourd’hui je mûris ».

Dans le processus de l’initiation chrétienne, la vigile pascale peut donc être considérée comme le point d’orgue d’une longue partition dont la première note appartient à l’histoire personnelle de chaque catéchumène. La vie chrétienne consistera désormais à laisser se déployer les sacrements d’initiation dans le quotidien de l’existence, au rythme de l’année liturgique. Ce sera encore, pour les nouveaux chrétiens, participation au mystère célébré à Pâques. Car

« l’année liturgique est le déploiement dans le temps de tout le mystère contenu à Pâques. La veillée pascale est la matrice de toutes les veillées, dans le mystère pascal est concentrée toute la foi qui ne demande qu’à se développer »[7].

La première eucharistie des nouveaux baptisés, dernier geste liturgique de l’initiation chrétienne, leur rappelle ainsi – comme il rappelle à toute l’assemblée – qu’ils n’en ont pas fini d’être initiés par le Christ. Le mystère pascal est loin d’avoir dit son dernier mot le soir de Pâques.

En fait, la vigile pascale opère une sorte de renversement. Jusque-là, la communauté accompagnait le catéchumène. Parvenu en « fin » de parcours, le nouveau baptisé, vêtu de blanc, porteur de lumière, désigne lui-même à l’assemblée réunie le chemin de la foi, chemin vers l’aube de la résurrection, vers le matin de Pâques. Sans ce matin-là, « vide est notre message, vide aussi notre foi » (1 Cor 15, 14). Par le rite de l’aspersion, chaque membre de l’assemblée fait alors mémoire de son propre baptême, de son propre commencement, malgré les années de vie chrétienne déjà parcourues. Dans les premiers siècles, pour marquer l’importance de ce véritable rôle liturgique des néophytes, on leur demandait, lors des prières de l’Octave de Pâques, d’être revêtus de leur vêtement blanc. Ils le déposaient solennellement lors de la messe du dimanche in albis, dimanche blanc. Quittant leur manteau de lumière reçu à Pâques, ils signifiaient que le temps était venu pour eux de rendre lumineuse leur vie quotidienne et de communiquer autour d’eux cette lumière de la résurrection. Les nouveaux venus, à l’aube de leur vie chrétienne, disaient ainsi la descente nécessaire des « sommets » de la foi pour endosser l’habit du croyant ordinaire de chaque jour.

La vigile pascale, dans son déploiement liturgique, fait donc vivre comme un retour à la source de la foi. Cyrille de Jérusalem, dans ses Catéchèses mystagogiques, s’adressait ainsi aux néophytes : « Et dans un même moment vous mourriez (immersion) et vous naissiez (émersion) : cette eau salutaire fut et votre tombeau et votre mère ». Mais ce passage des ténèbres à la lumière, de la mort à la vie, ne se limite pas à la plongée dans la cuve baptismale. Toute la liturgie de la vigile pascale en est porteuse. Les catéchumènes entrent sans lumière dans l’église sombre. Ils entendent, dans les Écritures proclamées, la manière dont le mystère pascal se déploie depuis le commencement, depuis la création. Ils ne sont initiés, et avec eux toute l’assemblée, qu’en traversant les Écritures qui leur signifie que le dessein bienveillant de Dieu ne se limite pas à l’événement de leur conversion, mais se déploie tout au long de l’histoire du salut. Au tout début du rite baptismal, la litanie des saints leur rappelle qu’ils ne sont pas les premiers à répondre de tout leur être à l’appel de Dieu.

Par les sacrements d’initiation, les catéchumènes deviennent néophytes, c’est-à-dire « nouvelles plantes ». Ayant reçu un bain de lumière, ils ont été huilés, pour grandir encore et s’assouplir. Ils ont communié au pain et au vin, dont ils ont éprouvé le manque durant tout le temps de leur initiation chrétienne. Ils s’aperçoivent alors que la plénitude ressentie ne comble pas entièrement leur désir. Leur corps reste lourd et attaché à la terre. Mais ils n’auront plus le sentiment d’être un corps « étranger » dans la communauté. Le samedi saint au matin, le rite de l’Effétah (« Ouvre-toi !) les avait invités à s’ouvrir pour entendre et témoigner de la parole de Dieu. Lors de la vigile pascale, ils invitent à leur tour la communauté chrétienne à s’ouvrir à la nouveauté chrétienne, c’est-à-dire d’abord à leur présence. Car ils auront encore besoin de son soutien fraternel, notamment durant le temps pascal, temps privilégié de la mystagogie.

[1] Congrégation pour le clergé, Directoire général pour la catéchèse (DGC), Centurion, Cerf, Lumen Vitae, 1997.
[2] Conférence des évêque de France, Texte national pour l’orientation de la catéchèse en France et principes d’organisation, Bayard/Cerf/Fleurus-Mame, 2006, p. 65.
[3] Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, Rituel de l’Initiation Chrétienne des Adultes (RICA), Desclée/Mame, Paris, 1997.
[4] Conférence des évêque de France, Texte national…, p. 32.
[5] Henri Bourgeois, Théologie catéchuménale, Le Cerf, 2007, p. 142.
[6] Voir RICA § 221.
[7] Joël Molinario, « Le mystère pascal : du schéma anthropologique au schéma initiatique », dans Vers de nouveaux visages d’Eglise, Service national du catéchuménat, Université d’été du catéchuménat 2005,  p. 79. 

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