Aider à « vivre pleinement la liturgie » nécessite une « profonde conscience pastorale »
Recevant le 20 janvier 2023 des acteurs diocésains de la pastorale liturgique, en session à l’Institut pontifical Saint-Anselme sur le thème « Vivre pleinement l’action liturgique », le pape François a développé certains aspects de sa Lettre apostolique Desiderio desideravi sur la formation liturgique. Commentant le rôle du « maître des cérémonies », il a notamment mis en relief que le service de la liturgie nécessite des connaissances mais aussi « une profonde conscience pastorale ». Voici les principaux extraits de son discours.
Au numéro 27 de Desiderio desideravi, sa lettre apostolique publiée le 29 juin 2022, le pape François souligne « la question fondamentale » à entendre aujourd’hui : « comment retrouver la capacité de vivre pleinement l’action liturgique ? ». Tel était à vrai dire déjà l’objectif de la réforme du Concile. Aussi, insiste-t-il au numéro 31, « la non-acceptation de la réforme, ainsi qu’une compréhension superficielle de celle-ci, nous détournent de la tâche de trouver les réponses à la question que je répète : comment pouvons‑nous grandir dans la capacité de vivre pleinement l’action liturgique ? Comment continuer à nous laisser surprendre par ce qui se passe dans la célébration sous nos yeux ? », ajoutant : « nous avons besoin d’une formation liturgique sérieuse et vitale ».
On comprend que, s’adressant le 20 janvier 2023 à des acteurs de la pastorale liturgique en formation, le pape tienne à leur exprimer d’abord sa joie de les voir continuer à se former. Puis très vite, parce que ses interlocuteurs sont habitués à préparer et guider « la prière des communautés diocésaines, en communion avec les évêques et au service des diocèses », il entre dans son sujet en les renvoyant à leur responsabilité propre : « Comme l’a dit saint Paul VI, (la liturgie) est la “source principale de cet échange divin dans lequel la vie de Dieu nous est communiquée ; c’est la première école de notre âme” (Discours de clôture de la deuxième session du Concile Vatican II, 4 décembre 1963). Par conséquent, la liturgie ne peut pas être pleinement possédée, elle n’est pas apprise comme les notions, l’artisanat, les compétences humaines » mais relève d’un art qui touche la réalité vitale de l’Église. Aussi son service « nécessite, outre des connaissances approfondies, une profonde conscience pastorale ».
Cette remarque sur l’importance de la « conscience pastorale » oriente la suite. Souhaitant proposer « quelques idées pour (leur) service, qui se situe dans le contexte de la mise en œuvre de la réforme liturgique », le pape commente le rôle emblématique du « maître des cérémonies » (Cérémonial des Évêques, n. 34‑36) pour montrer comment sa manière exemplaire de remplir pastoralement sa fonction peut aider pasteurs et fidèles à « vivre pleinement l’action liturgique ». Toute personne engagée en pastorale liturgique transposera.
Favoriser la participation fructueuse du peuple de Dieu
Selon le pape François, ce « maître des célébrations » forme en profondeur à la liturgie « lorsqu’il vous guide dans la rencontre avec le mystère pascal du Christ ; en même temps, il doit tout organiser pour que la liturgie brille de décorum, de simplicité et d’ordre (cf. Caeremoniale Episcoporum, 34) ». En ce sens, ce ministère est une vraie « diaconie » : « il collabore avec l’évêque au service de la communauté (…) ; il agit discrètement, avec diligence, ne mettant pas le rite avant ce qu’il exprime, mais en aidant à saisir son sens et son esprit, en soulignant par ses actions que le centre est le Christ crucifié et ressuscité ».
Ainsi, lorsqu’il s’emploie à coordonner – « surtout dans la cathédrale » – « tous ceux qui exercent un ministère pendant l’action liturgique », c’est « afin de favoriser la participation fructueuse du peuple de Dieu. L’un des principes cardinaux du Concile Vatican II revient ici : nous devons toujours garder le bien des communautés, le soin pastoral des fidèles (cf. ibid., 34) sous nos yeux, pour conduire le peuple au Christ et le Christ au peuple. C’est l’objectif principal, qui doit être en première place également lorsque vous préparez et guidez les célébrations. Si nous négligeons cela, nous aurons de beaux rites, mais sans force, sans saveur, sans signification, parce qu’ils ne touchent pas le cœur et l’existence du peuple de Dieu ».
Cette perte de signification se produit notamment lorsque ce n’est plus l’évêque ou le prêtre qui préside de factomais que « ce rôle se glisse vers le maître de cérémonie ». Or « plus le maître des cérémonies est caché, mieux, moins il est vu, mieux c’est ». Car « c’est le Christ qui remue le cœur ; c’est la rencontre avec Lui qui attire l’Esprit. “Une célébration qui n’évangélise pas n’est pas authentique” (Desiderio Desideravi, 37). C’est un “ballet”, un beau ballet, esthétique, beau, mais ce n’est pas une célébration authentique ».
Veiller à ce que la liturgie tourne réellement les fidèles vers la rencontre avec le Christ
Mais cette difficulté à vivre une célébration authentique découle d’un manque plus profond encore. Le pape rappelle que « l’un des objectifs du Concile était d’accompagner les fidèles dans la récupération de la capacité de vivre pleinement l’action liturgique et d’être étonnés de ce qui se passe dans la célébration sous nos yeux mêmes(cf. Desiderio Desideravi, 31). Notez qu’il ne parle pas de joie esthétique, par exemple, ou du sens esthétique, non, mais plutôt de l’émerveillement. La merveille est différente du plaisir esthétique : c’est la rencontre avec Dieu. Seule la rencontre avec le Seigneur vous fait vous émerveiller ».
« Comment atteindre cet objectif ? La réponse se trouve déjà dans Sacrosanctum Concilium. Au paragraphe 14, la formation des fidèles est recommandée, mais – dit la Constitution – “il n’y a aucun espoir d’obtenir ce résultat, si d’abord les pasteurs eux-mêmes ne sont pas profondément imprégnés de l’esprit et de la vertu de la liturgie, et ne deviennent pas capables de l’enseigner ; il est donc absolument nécessaire qu’on pourvoie en premier lieu à la formation liturgique du clergé” ». Il est donc tout naturel que le maître des cérémonies lui‑même participe à la mission pastorale de formation du clergé et des fidèles. »
Pour réfléchir à la manière d’assurer cette formation, on prendra en compte que « l’un des aspects les plus complexes de la réforme est sa mise en œuvre pratique, ou plutôt la façon dont ce qui a été établi par les Pères du Concile est traduit dans la vie quotidienne ». C’est la raison pour laquelle le maître des cérémonies, en raison de son rôle, se tient tout naturellement « aux côtés du responsable du service diocésain de pastorale liturgique (pour accompagner) les diocèses, les communautés, les prêtres et autres ministres dans la mise en œuvre de la pratique célébratoire voulue par le Concile ». Or « cela se fait principalement en célébrant ».
On se forme à la liturgie en regardant (bien) célébrer
En effet, « comment avons-nous appris à servir la messe en tant qu’enfants ? En regardant nos amis plus âgés le faire. C’est cette formation par la liturgie sur laquelle j’ai écrit dans Desiderio Desideravi. Le décorum, la simplicité et l’ordre sont atteints lorsque tout le monde, progressivement au fil des ans, assiste au rite, le célèbre, le vit, comprend ce qu’il doit faire. Bien sûr, comme dans un grand orchestre, chaque personne doit connaître sa propre part, les mouvements, les gestes, les textes qu’elle prononce ou chante ; alors la liturgie peut être une symphonie de louange, une symphonie apprise par la lex orandi de l’Église ».
Pour y parvenir, il est bon néanmoins que des « écoles » de la pratique liturgique voient le jour. Elles permettront de réfléchir « de manière mystagogique » sur ce qui est célébré. De même, on aidera « les supérieurs du séminaire à présider de la meilleure façon possible, à prendre soin de la proclamation, des gestes, des signes, afin que les futurs prêtres, ainsi que l’étude de la théologie liturgique, apprennent à bien célébrer (…) On apprend en regardant quotidiennement un prêtre qui sait comment présider, comment célébrer, parce qu’il vit la liturgie et, quand il célèbre, il prie ». Enfin cette formation par la liturgie peut consister dans les paroisses à offrir de petites sessions qui « combinent fraternité, catéchèse, mystagogie et pratique de la célébration ».
Plus largement, il importe que se développe peu à peu un style diocésain. En effet, il serait « inutile de faire un beau “défilé” lorsque l’évêque est là, puis de revenir à ce qu’il était avant ». La tâche du maître des cérémonies qui accompagne l’évêque lorsqu’il se déplace « n’est pas d’organiser le rite pour une journée, mais de proposer une liturgie imitable, avec ces adaptations que la communauté peut adopter afin de grandir dans la vie liturgique. De cette façon, progressivement, le style de célébration du diocèse grandit ». Pour cela, « ne rien dire face à des liturgies qui sont un peu bâclées, négligées, mal préparées, signifie ne pas aider les communautés, ne pas les accompagner. Au lieu de cela, délicatement, avec un esprit fraternel, il est bon d’aider les pasteurs à réfléchir à la liturgie, à les préparer avec les fidèles », voire à « suggérer aux communautés ce qui est approprié et réalisable, et quelles mesures sont nécessaires pour redécouvrir la beauté de la liturgie et de célébrer ensemble ».
Deux points de vigilance : le silence et la qualité des homélies
En complément de ces « idées » sur le service du « maitre des cérémonies », et par extension de tout responsable en liturgie, parce que la liturgie est avant tout une vie qui forme par elle-même, le pape exhorte par ailleurs ses auditeurs à « cultiver le silence », car « c’est le silence qui vous permet de vous préparer au mystère, il permet son assimilation et laisse résonner l’écho de la Parole qui est entendue ». Le motif fondamental de la vigilance est toujours le même : « La fraternité est belle ; se saluer les uns les autres est beau, mais c’est la rencontre avec Jésus qui donne un sens à notre rassemblement ». Et la vigilance vaut également pour « quelque chose qui est lié au silence, mais pour les prêtres », à savoir les homélies : « Huit, dix (minutes), pas plus ! Et toujours une pensée, un sentiment et une image. Laissez les gens ramener quelque chose à la maison avec eux ». Il faut se rappeler que « c’est un sacrement, pas une conférence. Il est préparé dans la prière, il est préparé avec un esprit apostolique ».
Le pape conclut alors son discours en exhortant ses auditeurs, et à travers eux tout responsable en pastorale liturgique, à « poursuivre le bon travail qui a été initié » depuis le Concile et, pour cela, à ne jamais oublier le cœur de la mission : aider les communautés à « vivre la liturgie, à se laisser façonner par elle, donc – comme le dit l’Écriture – “Celui qui a soif, qu’il vienne. Celui qui le désire, qu’il reçoive l’eau de la vie, gratuitement“ (Apocalypse 22, 17). Offrez à chacun l’eau douce qui découle abondamment de la liturgie de l’Église ».
Discours du pape François, 20 janvier 2023, mis en forme par le SNPLS