L’architecture de l’église, le chemin chrétien
Par Bernard Châtaignier, Prêtre du diocèse de Poitiers
Quand nous entrons dans une église, nous faisons un parcours qui rappelle le chemin que la liturgie nous fait vivre. Réciproquement la célébration nous fait visiter l’église où nous prions et reprend le cheminement du chrétien : tout d’abord passer la porte et décider (à nouveau) d’entrer, s’asseoir dans la nef pour se laisser instruire par la Parole et y répondre, avancer dans le chœur jusqu’à l’autel pour célébrer les sacrements et contempler le mystère du Christ, être envoyé dehors en mission dans le monde.
L’édifice comme parcours
Chaque lieu est plus qu’un moment et peut être considéré comme une étape, un événement. Il arrive en effet qu’une célébration soit un bout d’histoire dans notre histoire et la jalonne. Ainsi l’église propose parfois autour de chaque lieu des liturgies spécifiques, c’est par exemple le cas pour l’entrée en catéchuménat où le rite s’organise autour du franchissement du seuil ou pour des célébrations de la Parole qui marquent nos journées et nous rassemblent dans la nef.
Un voyage intérieur correspond aussi à chaque moment du parcours ; c’est en chacun de nous qu’il y a des portes à ouvrir, qu’il y a des paroles à accueillir et à donner, qu’il y a ouvrir sa vie à plus grand qu’elle-même, à servir les autres et le monde qui nous entoure.
Passer la porte
L’entrée et le passage de la porte tout d’abord correspondent au rite d’ouverture et d’accueil. Entrer dans la prière se conjugue avec le fait d’entrer dans un espace. Les catéchistes d’enfants l’expérimentent souvent : en leur apprenant à entrer dans une église et à franchir la porte, ils les initient à la prière.
Le passage de la porte a une grande portée symbolique. Il est repris dans de nombreuses célébrations.
Quand la porte s’ouvre, elle devient invitation à entrer, et en même temps, elle prophétise qu’il faudra sortir.
La porte s’ouvre pour accueillir le futur baptisé, elle s’ouvre encore pour accueillir un défunt. Pour le croyant, elle représente alors la porte du ciel. Nos rites d’entrée marquent notre espérance de parvenir un jour à la porte de la demeure éternelle. La prière de bénédiction des rameaux qui précède la procession qui solennise ce jour-là l’entrée dans l’église le dit explicitement : « accorde-nous d’entrer avec lui dans la Jérusalem éternelle. » L’exemple est intéressant, parce que le seuil que nous franchissons alors s’enracine dans la vie de Jésus avec un récit biblique, se vit aujourd’hui dans la célébration et annonce notre avenir.
Très souvent, les églises sont orientées, c’est-à-dire tournées vers l’est, vers le soleil levant si bien que pour entrer, il faut décider de tourner le dos à l’ouest, au soleil couchant, renoncer aux ténèbres.
Il m’est arrivé de proposer de vivre cette décision comme action liturgique :
Une voix :
Nous voici devant la porte, à l’heure du choix.
Nos pas peuvent nous guider à l’ouest, vers le soleil couchant, et consentir à la nuit qui vient et à la mort qui nous attend.
Nos pas peuvent nous entraîner au midi, vers le soleil du Sud si réchauffant. Nous pouvons rêver en cette vie de beaux étés, de belles moissons et de fruits savoureux.
Nos pas peuvent nous guider au Nord, vers la transaction et les échanges, à la recherche d’enrichissements éphémères et peut-être compromettants.
La porte s’ouvre vers l’Orient. Elle nous présente le Christ ressuscité comme le soleil levant,
comme la lumière possible de nos vies.
Nous voici à l’heure du choix, la porte est ouverte. Que voulons-nous vivre ?
Le célébrant :
Voulez-vous passer la porte, découvrir le Christ et le suivre ?
Tous :
Oui, nous le voulons.
Et alors se vit l’entrée en musique ou en chantant.
La nef
La nef ensuite représente le lieu où l’on peut s’asseoir et se lever pour prendre le temps d’entendre et d’écouter la Parole. Il me semble que la liturgie établit un lien entre les deux moments, celui du passage de la porte et celui de la proclamation de la Parole. En effet, quand nous franchissons le seuil qui nous fait pénétrer dans l’église, notre oreille est sollicitée. A vrai dire, elle l’était déjà dehors par la sonnerie des cloches, et elle l’est à nouveau dedans par la musique de l’orgue. Le message est clair : il s’agit d’ouvrir l’oreille parce que l’évangile est parole est à entendre.
La nef est aussi l’espace où se déploient les processions et les cheminements. A mon sens, il y a un rapport entre la Parole et la marche. Pour parler il faut mettre un mot après l’autre, pour marcher il faut faire un pas après l’autre. On ne peut pas tout dire en même temps : parler c’est donc accepter la succession des mots et des phrases, du temps, c’est entrer dans l’histoire. Parler et écouter demande du temps : il faut donc un lieu pour s’installer, se poser et s’asseoir. La nef offre cette possibilité.
Si parler suppose une énonciation succession des mots, marcher demande que l’on fasse un enchaînement de pas et la nef qui est le lieu où la Parole s’entend est aussi le lieu où l’on marche, où l’on avance en procession. J’aime faire remarquer que c’est précisément la peuple qui a marché pendant 40 ans dans le désert qui a ensuite mis des mots par écrit pour raconter que Dieu parle et propose son alliance au long de l’histoire du peuple, mais aussi au long de son itinéraire.
Mais il y a plus. Un jour, dans la cathédrale de Poitiers, un moine venu pour la sépulture d’un membre de sa famille me fit remarquer deux niveaux : un premier niveau aveugle, sans ouverture, avec des portes pleines et se terminant par une ligne de modillons représentant les plaisirs, les métiers et les vices de ce monde et un deuxième niveau éclairé par la lumière des vitraux qui racontent l’histoire sainte.
L’homme peut donc accéder à la lumière de la foi, sa vie peut être éclairée par le récit biblique. C’est pourquoi on se lève, me suis-je dis, la Parole nous met debout pour que la lumière puisse nous rejoindre et nous éclairer. La hauteur et le volume devient un appel à agrandir l’espace de sa vie et la déployer au maximum.
L’aménagement des chapelles monastiques nous montre encore les nefs des églises comme lieu du dialogue. Les moines et moniales, lorsqu’ils chantent les psaumes, prient en deux chœurs. Leur prière ne se limite pas à vivre un dialogue avec le Seigneur, elle devient dialogue interne. Quand nous nous arrêtons pour entendre par le Fils la Parole qui vient du Père, dans l’Esprit nous sommes transformés et nous entrons dans une forme de colloque spirituel. L’objet de cet article n’est pas de développer cet aspect, en effet le dialogue est aussi dialogue entre célébrant et assemblée, chorale et assemblée, soliste et chorale, instrument de musique et chanteurs, orgue de chœur et orgue de tribune, et dans l’orgue lui-même qui fait dialoguer positif et Grand Orgue… Soulignons seulement que la nef et parfois les transepts positionnent les différents acteurs d’une célébration pour qu’ils vivent le dialogue.
Le chœur et l’autel
Si l’on suit le déroulement habituel d’une liturgie, après le temps de l’accueil avec l’ouverture de la porte et le temps de la parole, l’assemblée se tourne vers l’autel dans le chœur où le célébrant vient de s’avancer.
De ce point de vue, l’édifice raconte non seulement le cheminement, mais dit la finalité : si nous entrons, si nous écoutons la Parole, si nous y répondons, si nous nous mettons en route, c’est pour célébrer les mystères, pour les vivre aujourd’hui.
L’autel symbolise le Christ. De plus en plus je pense qu’il symbolise aussi le chrétien. En effet l’autel est recouvert d’une nappe blanche qui évoque les vêtements blancs des baptisés, et comme eux il porte les cierges allumés. Le rite de consécration d’un autel reprend d’ailleurs les symboles baptismaux : bénédiction avec l’eau, onctions avec le Saint Chrême, déploiement de la nappe blanche et des cierges.
Nos célébrations associent le Christ et le chrétien, le mystère du Christ Sauveur et le mystère du chrétien sauvé. Quand nous sommes à l’autel, nous apprenons à vivre selon Dieu et à pratiquer les gestes que nous voudrions vivre dans notre vie de baptisés. A l’intérieur de l’autel, on dépose d’ailleurs des reliques de saints, de chrétiens qui ont vraiment mis en œuvre dans leur vie ce que nous célébrons.
Dans les églises anciennes, l’autel est souvent placé dans un espace surmonté d’une voûte qui figure le ciel. Parfois, il s’agit même d’une coupole décorée d’étoiles. Les actes qui se vivent à l’autel sont situés dans l’axe qui relie le ciel et la terre, ce sont des gestes et des paroles d’alliance qui sont actualisés, qui unissent la vie du ciel et la vie de la terre.
S’approcher de l’autel nous approche du mystère de Jésus le Christ, vrai Dieu et vrai homme.
Les sacrements nous rendent participants, membres de ce corps et nous découvrons que devenir chrétien nous fait anticiper sur la terre la vie du ciel et nous ouvre le chemin qui nous conduit de la terre à la joie du ciel.
Le vitrail axial
Il arrive que le vitrail axial situé derrière l’autel nous révèle ce qui est à contempler. C’est en regardant le grand vitrail de la crucifixion de la cathédrale de Poitiers que j’ai fait cette découverte. Nous entrons, nous écoutons, nous célébrons, et nos yeux s’ouvrent sur le mystère du Christ qui mort sur la croix monte au ciel, si bien que lorsque le diacre nous envoie et que nous ressortons pour vivre notre mission dans le monde, nous sommes marqués de la vie d’en-haut et porteurs d’un mystère qui nous dépasse.
Le parcours intérieur
Le schéma classique d’une église (entrée, nef, chœur et transept) fait penser à une croix, mais aussi à un être humain qui se déploie. Ce que l’édifice pose dans l’espace est comme un homme déployé qui inscrit sa présence dans le monde.
La visite de l’édifice et la liturgie qui s’y déploie donnent parfois à l’humain qui les expérimente de vivre un itinéraire spirituel, un cheminement intérieur. J’entre par la porte, j’écoute et je réponds quand je suis dans la nef, je participe aux joies du ciel en avançant jusqu’à l’autel et je découvre que je suis devenu autre, différent et renouvelé. Si l’édifice fait à la fois penser au Christ en croix et à l’homme que je suis, si l’autel représente à la fois le Christ et le chrétien sauvé, voici que lorsque je repasse la porte dans l’autre sens pour sortir, je suis devenu envoyé, pour être comme l’édifice que j’ai visité, comme l’église où j’ai célébré, présence réelle et concrète dans l’espace où je vis.
Article extrait de la revue Célébrer n°370, L’espace liturgique