Le patrimoine musical en liturgie

9 avril 2017 : Célébration de la messe des Rameaux. Eglise Saint Honoré d'Eylau. Paris (75), France.

9 avril 2017 : Célébration de la messe des Rameaux. Eglise Saint Honoré d’Eylau. Paris (75), France.

Par Joseph Thirouin, chantre-animateur en paroisse, compositeur et cofondateur du site psaumedudimanche.fr

Joseph Thirouin se penche sur la notion de patrimoine évoquée dans le discours du pape François.

Dans son discours du 4 mars 2017, prononcé à l’occasion des cinquante ans de l’instruction Musicam Sacram, le Pape François invite l’Église à assumer, dans l’expression de sa foi, les styles musicaux actuels. Dans un même mouvement, il souhaite aussi – et nous voudrions nous y arrêter – « sauvegarder et valoriser le patrimoine riche et multiforme hérité du passé, en l’utilisant de façon équilibrée dans le présent et en évitant le risque d’une vision nostalgique ou « archéologique » ». De tels propos ont une parenté frappante avec ceux que Benoît XVI prononçait dix ans auparavant, le 13 octobre 2007, dans un discours à l’Institut pontifical de musique sacrée : « L’Autorité ecclésiastique, » disait-il alors, « doit s’engager à orienter avec sagesse le développement d’un genre musical exigeant, sans en « congeler » le patrimoine, mais en tentant d’inscrire dans l’héritage du passé les nouveautés valables du présent, pour parvenir à une synthèse digne de la haute mission qui lui est réservée dans le service divin ».

On le voit, François et Benoît partagent une même préoccupation en faveur de l’« héritage », du « patrimoine » musical, hautement conscients que la genèse et le déploiement de la musique occidentale sont indissociables de l’histoire de la chrétienté : de l’apparition du chant grégorien jusqu’à notre début de siècle, un immense répertoire religieux s’est constitué, à la faveur du soutien d’une Église qui a toujours eu besoin de musique pour ses liturgies. Des centaines de créateurs, au fil des ans, ont donc écrit de la musique pour la louange de Dieu, de façon plus ou moins inspirée, plus ou moins sincère, bien sûr, et avec les moyens musicaux de leur temps : une musique d’abord essentiellement vocale, puis peu à peu plus polyphonique, plus sophistiquée, plus instrumentale ; une musique de tous les excès comme de toutes les austérités, selon les époques et les obédiences chrétiennes ; en somme, une musique où parle la voix de nos pères dans la foi.

Dans nos célébrations paroissiales d’aujourd’hui, force est de constater que ce vaste répertoire est tantôt absent, tantôt réduit à ce que l’orgue soliste peut en faire entendre. On peut avancer à cela quelques explications : tout d’abord, un manque de moyens humains. Ensuite, dans le sillage du concile Vatican II, l’appel à une liturgie qui favorise la « participation consciente, active et fructueuse des fidèles » (Sacrosanctum Concilium, n° 11) a pu être interprété de façon restrictive comme l’appel à un « agir » extériorisé de l’assemblée, alors que l’écoute (de la Parole de Dieu, de la prière eucharistique, de musique…) peut être aussi active que le chant, quoiqu’elle le soit de façon moins ostensible. Enfin, le divorce opéré au XXe siècle entre la musique savante et la musique populaire a valu à la musique des siècles passés (sacrée comme profane) de quitter la culture majoritaire, et il est devenu moins naturel, pour les chrétiens d’aujourd’hui, de se tourner vers elle.

Pourtant, patrimoine savant et liturgie auraient beaucoup à gagner à se réconcilier. La musique sacrée a perdu une part de sa pertinence et de son pouvoir d’évocation à être exécutée hors de toute sphère religieuse ; les salles de concerts « classiques » en sont conscientes, puisqu’elles cherchent à restaurer une part de sa dimension liturgique, en programmant par exemple l’Oratorio de Noël de Bach en fin d’année, ou les Sept Dernières Paroles du Christ en croix de Haydn au moment de la Semaine sainte. Parallèlement, le patrimoine si varié dont parle le pape François, en ouvrant plus largement ses trésors aux fidèles au sein même des célébrations, pourrait les inviter à un surcroît d’intériorité contemplative, et en aiguisant leur sens de la beauté, les porter à une prière de tout l’être.

Avec leurs métaphores savoureuses, cernées de gracieux guillemets, les deux papes prennent soin de prévenir une objection : ne risque-t-on pas de transformer les églises en musées, et les célébrations en concerts ? C’est bien l’enjeu de l’« équilibre » dont parle François, ou de la « synthèse » de Benoît : il ne s’agit de remettre en cause ni la participation dynamique et vivante de l’assemblée par le chant, ni la place du silence dans la liturgie, toutes deux essentielles. Remarquons que cette préoccupation de l’équilibre trouve une belle expression dans un détail architectural dont beaucoup de nos églises sont pourvues : les tribunes. Souvent délaissées de nos jours, elles ont été généralement pensées pour leurs bonnes propriétés acoustiques ; mais on peut songer que leur mérite est aussi de dissimuler les musiciens, dont la place n’est pas première dans l’action liturgique et qui font toujours partie de l’assemblée (cf. Musicam Sacram, n° 23).

Pour éviter l’écueil d’une quête exclusivement esthétique tout autant que celui d’une censure chagrine déguisée en pragmatisme, on pourrait donc imaginer que chaque paroisse, dans la mesure de ses moyens, se constitue un répertoire propre de quatre ou cinq pièces « savantes » tout au plus, que l’on réserverait à des occasions particulières (messe de rentrée, fête ou solennité), à une place bien choisie de la liturgie (pendant la présentation des dons, en action de grâce après la communion…), et qui, répétées régulièrement, à intervalles de quelques mois, entreraient peu à peu dans l’oreille des membres de l’assemblée et soutiendrait leur prière. La place inusable de Minuit, chrétiens, d’Adolphe Adam (1847), dans les célébrations de Noël semble indiquer que les assemblées paroissiales sont disposées à accueillir de la sorte un répertoire ancien, et à l’associer aux grands moments de la vie liturgique pour en approfondir le sens, et en souligner la singularité. Loin d’être irréaliste, le vœu du pape François est bien celui d’un pasteur attentif aux besoins de son peuple.

 

Cet article est extrait du dossier Le discours du pape François pour les cinquante ans de Musicam Sacram

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