Eglise et art contemporain : la Commission diocésaine d’art sacré de Besançon, 1945-1955
Par Françoise Caussé
A Besançon1, après la dernière guerre, la réussite de la commission diocésaine d’art sacré reste un exemple à méditer.
Quelques-unes des œuvres d’art religieux moderne du diocèse de Besançon sont restées célèbres. On connaît moins les circonstances dans lesquelles ont été réalisées. Les CDAS existent depuis l’entre-deux-guerres mais c’est après les lois de 1942 qui modifièrent le financement des associations diocésaines que l’on put envisager des travaux. Après la guerre les CDAS se structurèrent mieux mais à Besançon furent réunies les conditions d’une réussite.
Une commission « éclairée »
La CDAS[2] qui fut constituée en 1945 se composa de douze personnes : six ecclésiastiques et six laïcs. L’archevêque était Mgr Maurice Dubourg (1878-1954), prélat lucide et courageux et son audience était grande. Ce qu’il écrivit en 1952 dans L’Art Sacré à propos de sa CDAS le dépeint : « Autre chose est d’autoriser l’exécution d’un travail, autre chose l’approuver comme œuvre parfaite. Si j’avais cru que le rôle de président fût de faire valoir ses préférences personnelles, j’aurais tranché dans le vif. Telle ne m’a pas paru être ma mission. » Sa mort fut soudaine, et c’est son auxiliaire Mgr Georges Béjot (1896-1987) qui cautionna le début de Ronchamp, un acte sur lequel le Saint-Office lui demanda des comptes.
C’est François Mathey (1917-1993) qui poussa l’archevêque à recréer la CDAS et qui lui donna l’impulsion majeure, avec la complicité de son ami Lucien Ledeur (1911-1975). Inspecteur des Monuments historiques mais mal à l’aise avec son passéisme, Mathey était navré par le manque d’intérêt du clergé pour l’art. Il pesa de tout son poids dans la commission, laissant le premier rôle au chanoine Ledeur, secrétaire de la CDAS, qu’il avait lui-même initié à l’art durant deux années que Ledeur passa à Paris pour des études. Mgr Dubourg avait grande confiance en Ledeur, directeur du petit séminaire de la maîtrise, connu et estimé dans le diocèse.
Parmi ceux de la CDAS qui aidèrent à adopter les projets novateurs, il y avait Marie-Lucie Cornillot (1905-2003), conservatrice des musées ; Jean Garneret (1907-2002), curé de Lantenne, artiste et grand ethnographe ; Marcel Ferry (1914-1992), prêtre animateur de la « Paroisse Universitaire » et conservateur des objets classés de la Haute Saône ; le chanoine Joseph Quinnez (1882-1965), conservateur des objets classés du Doubs, spécialisé dans le passé artistique régional.
Les références artistiques
Habitant à Paris, Mathey faisait le lien entre le diocèse et la scène artistique parisienne. Il connaissait bien des artistes d’art religieux chrétien, il était en rapport avec les dominicains, en particulier Pie-Raymond Régamey (1900-1996) et Marie-Alain Couturier (1897-1954) directeurs de la revue L’Art Sacré[3] qui fut une grande référence pour la CDAS. A cela s’ajoutait l’apport important de Maurice Morel (1908-1991), prêtre de Besançon venu vivre à Paris avec les artistes. Intime de Rouault et acteur du renouveau de l’art d’église, Morel était très écouté par ses amis de la CDAS.
A Besançon même, le travail de M-L Cornillot au musée aida considérablement à sensibiliser le public à l’art du XXe siècle. Parmi les expositions qu’elle organisa, deux furent directement liées à l’action de la CDAS : « Rouault » en 1950 et « L’Art sacré moderne » en 1951.
Une mission d’Eglise
En 1952 (AS 11-12), Ledeur précisa l’orientation de la CDAS. Sans parti pris artistique, sans prendre la place du prêtre ou de l’artiste, la commission cherchait à ouvrir l’Eglise à l’art de son temps. Elle aidait donc les prêtres à rechercher l’artiste « apte à sentir et à réaliser un programme donné » – l’essentiel étant de « discerner, dans le moderne comme dans l’ancien, l’œuvre authentique, humble peut-être, mais sincère, de qualité vivante et durable, susceptible de transmettre aux fidèles le message évangélique ».
Réalisations
Dans les travaux plus modestes mais fort intéressants de la CDAS il faut signaler la trentaine d’églises pour lesquelles elle invita Jacques Bony, Janik Rozo ou Jean Olin à refaire le décor, le précédent ayant disparu (décapé ou recouvert).
Les vitraux des Bréseux
Dans ce petit village du Doubs le curé de l’église, Alphonse Comment (1903-1986) commanda en 1948 deux vitraux à une grosse entreprise. La CDAS s’interposa et on pressentit Alfred Manessier, surpris mais intéressé. C’était la première œuvre non-figurative demandée pour une église. Les vitraux installés à la fin de 1948 suscitèrent l’intérêt médiatique. Sur place, on chercha à arrêter la suite du programme, mais armé de la défense que présenta M-L Cornillot (République de l’Est du 2 mai 1949), Mgr Dubourg donna l’autorisation de continuer. L’histoire illustre bien le cas d’une réussite essentiellement due aux relations de confiance et d’amitié installées entre les membres de la CDAS, le curé, Manessier et les villageois tout à fait conquis.
Le Sacré-Coeur d’Audincourt
On construisit dans le diocèse beaucoup d’églises pour lesquelles la CDAS pressentit plusieurs architectes. A Audincourt, pour l’église de la nouvelle paroisse du Sacré-cœur (1949-1951) Louis Prenel (1911-1978) son curé avait pressenti l’architecte Maurice Novarina. La CDAS s’interposa pour le décor de l’église et invita Jean Bazaine et Fernand Léger. La « querelle de l’art sacré » nationale battait son plein mais à Audincourt les paroissiens, impliqués à fond dans la construction de leur église, adoptèrent le décor (complété par la suite par les mêmes artistes) sans problème majeur.
La chapelle de Ronchamp
Sur la colline de Ronchamp (Haute-Saône), lieu d’un ancien pèlerinage à la Vierge, on voulut remplacer la chapelle partiellement détruite. La CDAS chercha longtemps un architecte et finalement, Mathey et Ledeur proposèrent Le Corbusier ; ils furent suivis. Les plans furent présentés en même temps que les esquisses pour Audincourt, à la réunion du 20 janvier 1951. Le projet fur connu avant le début de la construction et engendra une très violente polémique ; mais Mgr Béjot bénit la première pierre en avril 1954. La chapelle fut consacrée le 25 juin 1955 par Mgr Marcel Dubois. Indépendamment de sa beauté, sa qualité religieuse est due au fait que Ledeur durant plusieurs mois, alla chez Le Corbusier pour l’initier à la fonction liturgique de l’église et à la spiritualité mariale.
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Il faut réfléchir au fait qu’après 1955, la CDAS n’a plus conduit de si grands projets. La raison est sans nul doute la mort de Mgr Dubourg et les départs de Mathey en 1953, de Mgr Béjot (1955). L’élan créateur fut freiné également par l’Eglise hiérarchique.
De nos jours nous avons trop d’églises ! Et souvent les paroisses sont tentées de passer la main à l’Etat ou aux collectivités pour une mise en valeur uniquement patrimoniale de l’art qu’elles contiennent. Mais l’œuvre insérée dans une église ne se justifie que pour son apport spirituel : accueillir de l’art contemporain – adapté – est un gage de vitalité et un témoignage. A Besançon, Mathey et Ledeur s’adressèrent aux « grands », non pour faire un geste artistique, mais parce qu’ils « pensaient en leur âme » que ces artistes seraient « les plus aptes à comprendre rationnellement et dans leur cœur le mystère de la création[4] ».
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Bibliographie
Articles (revues, catalogues, dictionnaires)
L’Art Sacré n°11-12, nov.-déc. 1952. « Une commission d’art sacré au travail : Besançon ».
Mémoires de la Société d’émulation du Doubs n° 10, 1968. Ledeur Lucien : « Vitraux modernes en Franche-Comté et querelle de l’art sacré »
Signes du sacré au XXe siècle. Saint-Philibert de Dijon, 3-27 juin 1977. Catalogue de l’exposition : « Un artisan de l’art sacré : le chanoine Lucien Ledeur de Besançon. »
Vitrea n°4, 2ème sem. 1989. Ferry Marcel : « Vitraux modernes en Franche-Comté ».
Histoire de l’Art n° 28, déc. 1994, spécial L’Art et le sacré. Caussé Françoise, « La commande des vitraux de l’église des Bréseux à Manessier ».
Ronchamp. L’exigence d’une rencontre. Actes du cinquantenaire, Fage éditions, Lyon 2007. Caussé Françoise, « Ronchamp et la Commission d’art sacré de Besançon ».
Architecture religieuse au XXe siècle. Quel patrimoine ? (colloque de 2002). INHA, P. Univ. Rennes, 2007. Caussé Françoise, « A propos de l’église du Sacré-Cœur d’Audincourt. »
Dictionnaire en ligne des frères Prêcheurs (Dominicains des provinces françaises des XIXe et XXe siècles). Caussé Françoise, notices biographiques de Pie-Raymond Régamey et de Marie-Alain Couturier, https://dominicains.revues.org/
Ouvrages et travaux universitaires
Régamey Pie-Raymond, op. : Art sacré au XXe siècle ? Ed. du Cerf, 1952.
Couturier M-A, op. : Art et liberté spirituelle. Ed. du Cerf, 1958. Rééd. 2008.
Lhôte Jean-Marie : François Mathey, écrits, RMN (diffusion Seuil), 1993.
Flicoteaux Annick : « Le chanoine Lucien Ledeur et la Commission d’art sacré du diocèse de Besançon de 1945 à 1955 ». Mémoire de fin d’études, Institut des arts sacrés, Institut Catholique de Paris, 1998.
Caussé Françoise : La revue l’Art sacré. Le débat en France sur l’art et la religion (1945-1954). Editions du Cerf (Histoire), 2010.
Crippa Maria-Antonietta –Caussé Françoise : Le Corbusier. Ronchamp, la chapelle de Notre-Dame-du-Haut. Jaca Book, Milan. Distr. éd. Hazan, 2014.
Gilardet Brigitte : Réinventer le musée – François Mathey, un précurseur méconnu (1953-1985). Les Presses du réel, 2015.
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[1] Dans le texte « CDAS » ; le diocèse englobait alors toute la Franche-Comté.
[2] Présentations détaillées dans A. Flicoteaux, « Le chanoine Lucien Ledeur et la CDAS…» ; dans AS 11-12, 1952, cf. bibliographie
[3] Sur cette grande revue d’art et de spiritualité, cf. bibliographie, travaux de F. Caussé.
[4] René Bolle-Reddat, Journal de N-D-du-Haut.
Extrait du dossier L’Église et l’art contemporain, un dialogue fécond
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