Combat spirituel et joie pascale : que nous disent les collectes de Carême ?
« Accorde-nous Seigneur de savoir commencer saintement par le jeûne l’entraînement au combat spirituel : que nos privations nous rendent plus forts pour lutter contre l’esprit du mal. »
Cette collecte du mercredi des Cendres « colore » fortement l’entrée en Carême, temps par excellence de l’entrainement au combat spirituel. La succession des collectes des dimanches de Carême permet-elle de préciser, d’enrichir ce programme ? Des harmoniques se dessinent-elles au fil des dimanches de Carême ? Une éventuelle progression est-elle décelable ? Telles sont quelques – unes des questions auxquelles tentera de répondre cette méditation.
L’approche reste partielle puisque nous avons choisi de nous restreindre à cette part très limitée du matériau liturgique des dimanches de Carême que représente le corpus des collectes. Nous espérons montrer qu’il est possible de poser des balises spirituelles et théologiques solides autour d’une réalité de la foi – ici le combat spirituel – à partir d’un corpus euchologique – celui des oraisons de collecte. Cependant, cette approche ne peut être satisfaisante que si la mise en œuvre liturgique des oraisons permet réellement d’en goûter la richesse.
Le combat spirituel : le combat du Christ
L’expression combat spirituel n’apparaît que dans la collecte du mercredi des Cendres1 mais la réalité est bien présente dans les collectes des dimanches qui suivent. La collecte du troisième dimanche revient sur les moyens que la tradition biblique, reprise et vécue par Jésus lui même, nous a laissés pour nous aider à mener ce combat : le jeûne mais aussi la prière et le partage. « Tu nous as montré comment guérir du péché par le jeûne, la prière et le partage.» Mais ces moyens traditionnels sont présentés dans le cadre d’une oraison qui fait appel à la miséricorde et à la patience de Dieu :
« Seigneur Dieu, source de toute bonté, et de toute miséricorde, tu nous as montré comment guérir du péché par le jeûne, la prière et le partage ; accueille favorablement l’aveu de notre faiblesse, et puisque nous prenons humblement conscience de nos fautes, que ta miséricorde nous relève sans cesse. »
Il y a là un enseignement majeur : ce qui est demandé aux fidèles au cours du Carême, cet accent particulier sur les œuvres traditionnelles du jeûne, de la prière et du partage, ne peuvent être dissociés du don toujours premier de Dieu et donc du combat mené et remporté en premier par le Christ. Si nous sommes invités à la charité, c’est en « marchant avec joie dans la charité du Christ qui a aimé le monde jusqu’à donner sa vie pour lui » (5e dimanche) et ceci n’est possible que par un don de la grâce de Dieu :
« Accorde-nous de marcher avec joie dans la charité de ton Fils qui a aimé le monde jusqu’à donner sa vie pour lui. »
Ces oraisons distillent une théologie très équilibrée du combat spirituel, réalité bien présente mais qui se révèle en profondeur comme une association au combat du Christ et qui n’est humainement tenable que dans une ouverture à sa grâce.
Le combat spirituel, un parcours sur lequel reflue la joie pascale
Il est toujours tentant de chercher à lire un ensemble chronologique comme un parcours, avec une progression, surtout en Carême, habitués que nous sommes aux « chemins de Carême ». Cette dimension n’est pas absente dans la succession des collectes dominicales.
Dès le mercredi des Cendres, il s’agit de « commencer saintement par le jeûne l’entraînement au combat spirituel » ; et au quatrième dimanche, le don de la foi est demandé pour le peuple chrétien afin qu’il se « hâte avec un amour généreux et une foi ardente au-devant des fêtes pascales qui approchent.»
Dès le premier dimanche, nous sommes appelés à progresser dans la connaissance du Christ, et la découverte de sa lumière est présentée comme le fruit « d’une vie qui lui corresponde ». Mais cette dynamique est indissociable de l’orientation fondamentalement pascale du parcours, sur lequel reflue la joie pascale merveilleusement présente, le dimanche de Laetare : « Accorde au peuple chrétien de se hâter avec un amour généreux et une foi ardente au-devant des fêtes pascales qui approchent » ; ou encore le cinquième dimanche : « Accorde-nous de marcher avec joie dans la charité de ton Fils qui a aimé le monde jusqu’à donner sa vie pour lui ». Dès le deuxième dimanche (évangile de la Transfiguration), la lumière pascale du Thabor illumine le regard des fidèles dont il est comme acquis, avec certitude, qu’il pourra « d’un regard purifié », avoir « la joie de contempler ta gloire ».
Ce parcours nous conduit jusqu’à la collecte du dimanche des Rameaux et de la Passion du Seigneur qui demande « d’accueillir le témoignage de sa force dans la souffrance et d’avoir part à sa résurrection. »
Guérison, purification : d’autres harmoniques du combat spirituel
La collecte du troisième dimanche, à mi-parcours, invite à nous exposer sans crainte au grand soleil de la miséricorde et de la patience de Dieu, lieu de notre guérison :
« Seigneur Dieu, source de toute bonté, et de toute miséricorde ; tu nous as montré comment guérir du péché par le jeûne, la prière et le partage ; accueille favorablement l’aveu de notre faiblesse, et puisque nous prenons humblement conscience de nos fautes, que ta miséricorde nous relève sans cesse. »
Nous avons vu (2e dimanche) que la connaissance du Christ fait partie du programme tracé par les oraisons, mais cette connaissance est existentielle plus que notionnelle. Elle se développe à mesure que s’approfondit la fidélité à l’Évangile de la vie du chrétien.
La thématique de la purification, traditionnellement associée au combat spirituel, est présente mais dans le contexte très particulier de la Transfiguration, le deuxième dimanche.
« Tu nous as dit d’écouter ton Fils bien aimé ; fais-nous trouver dans ta Parole la nourriture de notre vie spirituelle, afin que, d’un regard purifié, nous ayons la joie de contempler ta gloire. »
La purification du regard, du cœur peut-on probablement extrapoler2, est présentée comme le fruit d’une écoute assidue du Seigneur, en particulier dans sa Parole. Ainsi se nouent avec originalité trois aspects traditionnels du Carême : purification, obéissance renouvelée, et fréquentation plus assidue de la parole de Dieu, dans un combat spirituel auquel est intégré de manière discrète mais réelle le combat de la prière, condition nécessaire de la purification du cœur.
Enfin, ce combat est mené par amour, c’est par amour que le peuple croyant est invité à se hâter au devant des fêtes pascales (4e dimanche). Mais cet amour n’est possible, et nous retrouvons le thème de l’enracinement du combat des fidèles dans celui du Christ, que s’il se nourrit de l’amour source du Christ qui a donné sa vie par amour (5e dimanche) et patiemment désire nous relever avec amour. (3e dimanche).
Les mots de la liturgie : la collecte
La collecte est la première des trois oraisons de la messe, la seule qui soit reprise dans la liturgie des Heures. Elle porte ce nom parce qu’elle « collecte » et réunit les diverses demandes des fidèles dans une seule prière Le Missel romain emploie aussi le terme « prière d’ouverture » pour désigner cette prière qui conclut l’ouverture de la célébration.
Cet article est extrait de la revue Célébrer n°389 : Carême et combat spirituel.
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1. L’expression n’apparaît pas non plus dans les collectes de semaine, même si les « privations, renoncements » et autres « disciplines » sont largement présentes, en particulier les vendredis de Carême.
2. Ne serait-ce que par une mise en relation avec la Béatitude du cœur pur présente en filigrane dans cette oraison : « Heureux les cœurs purs car ils verront Dieu » Mt 5, 8, dont le futur pourrait avoir inspiré le futur de l’oraison du 2e dimanche.