Les cinquante jours de Pâques, « un grand dimanche »

Dans une société où tout est en accéléré, même en Église, il peut sembler étrange qu’une fête dure cinquante jours. Pourtant, comme il est écrit dans les Normes universelles de l’année liturgique, « Les cinquante jours à partir du dimanche de la résurrection jusqu’à celui de la Pentecôte sont célébrés dans la joie et l’exultation, comme si c’était un jour de fête unique, ou mieux, “un grand dimanche” » (n° 22). Dans cette optique, nous sommes invités à regarder de plus près l’idée que nous nous faisons de la signification de Pâques et des cinquante jours qui mènent à la Pentecôte.

Si « les dimanches de ce temps sont considérés comme des dimanches de Pâques et, après le dimanche de la résurrection, on les désigne comme les 2e, 3e, 4e, 5e, 6e, 7e dimanches de Pâques. Le dimanche de la Pentecôte clôt cette période sacrée de cinquante jours » (Normes universelles de l’année liturgique, n°23), il faut donc éviter de parler de dimanches après Pâques. Il s’agit plutôt de dimanches de Pâques. Nous sommes invités à reconnaître les solennités de l’Ascension et de la Pentecôte non pas comme des fêtes distinctes des grandes célébrations pascales, mais faisant partie intégrante de la cinquantaine pascale.

D’hier à aujourd’hui

« Presque aussitôt que la Pâque chrétienne entre dans l’histoire, elle apparaît comme une fête unique qui se poursuit durant cinquante jours. Tous les jours de cette cinquantaine doivent être célébrés “dans une grande allégresse” ; selon Tertullien, ils constituent un unique jour de fête qui, comme dit saint Irénée, “a la même portée que le dimanche” »(1).

Très tôt dans l’histoire de l’Église, la cinquantaine pascale est considérée comme une seule et unique fête et célébrée comme telle. En même temps que la Pentecôte « commémore un événement particulier, celui du don de l’Esprit saint aux apôtres, les origines de l’Église et le commencement de sa mission à toutes les langues, peuples et nations » (2), elle « devient, vers la fin du IVe siècle, au moins en Occident, une sorte de réitération de la solennité pascale par la célébration de l’initiation chrétienne pour ceux qui n’ont pu être baptisés dans la nuit sainte5 » (3).

Cinquante jours de fête

« Les cinquante jours à partir du dimanche de la Résurrection sont célébrés dans la joie et l’exultation, comme si c’était un jour de fête unique, ou mieux, un grand dimanche», nous disent les normes universelles de l’année liturgique. Il faut donc éviter de parler de dimanches après Pâques. Il s’agit plutôt de dimanches de Pâques.

De nos jours, le temps pascal se développe ainsi. Dans la liturgie de la Parole, deux livres tiennent une place prépondérante : les Actes des Apôtres – les dimanches et en semaine – et l’Évangile de Jean. La lecture des Actes remplace celle de l’Ancien testament et manifeste la continuité de l’histoire du salut en racontant les origines des premières communautés chrétiennes, le nouveau peuple de Dieu. Pendant tout le temps pascal, les lectures sont unifiées par le message qu’elles annoncent : Jésus Christ, le Seigneur, est mort et ressuscité pour sauver le monde. Elles exposent l’essentiel, le cœur de la foi.

Les prières d’ouverture, sur les offrandes et après la communion réfèrent au mystère pascal. Cinq préfaces sont prévues pour le temps pascal. Elles mettent chacune en lumière un aspect du mystère du Christ mort et ressuscité. Enfin, le cadre dans lequel se déroule la célébration du temps pascal est bien sûr festif : les vêtements blancs du prêtre et des ministres, l’Alléluia que nous chantons de nouveau après une longue période d’interruption, et le cierge pascal, symbole du Christ ressuscité, sont autant d’éléments qui nous invitent à la fête(4).

Célébration des mystères du Christ

« [L’Église] déploie tout le mystère du Christ pendant le cycle de l’année, de l’incarnation et la Nativité jusqu’à l’Ascension, jusqu’au jour de la Pentecôte, et jusqu’à l’attente de la bienheureuse espérance et de l’avènement du Seigneur » (Sacrosanctum concilium, n° 102).

En 1988, dans sa lettre intitulée La préparation et la célébration des fêtes pascales, la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements réitère l’importance du mystère pascal comme le sommet de l’année liturgique :

De même que le dimanche constitue le commencement et le sommet de la semaine avec toujours une note pascale, de même, le triduum pascal de la Passion et de la résurrection du seigneur brille-t-il comme le sommet de toute l’année liturgique ; préparé par le temps du Carême, il se prolonge dans la joie durant cinquante jours(5).

La Congrégation redit l’importance du temps dans lequel s’englobe et est célébré le mystère pascal. Son déploiement dépasse le seul dimanche de la résurrection et fait éclater plus pleinement la joie de Pâques sur une période de cinquante jours. Dans un article sur la publication du texte romain, Ghislain Pinckers souligne :

L’année liturgique est structurée autour d’un noyau en vagues concentriques [non pas en cercles fermés], car la Pentecôte ouvre l’espace de la foi sur l’histoire et l’avenir, tandis que la lente montée vers Pâques s’enracine dans l’histoire d’un Peuple, depuis la genèse et l’incarnation du Verbe. Cette structure permet de bien saisir le dynamisme pascal de la vie de l’Église(6).

Préparé par un temps de prière et de pénitence – le Carême –, le temps pascal nous permet l’intégration de ce que nous y avons vécu. Riches de notre réflexion, de notre prière, de nos célébrations préparatoires à la fête de Pâques, la liturgie du temps pascal nous conduit à l’engagement missionnaire à la suite des disciples. D’un dimanche de Pâques à l’autre, nous sommes invités, avec eux, à faire l’expérience du ressuscité, à franchir avec eux nos peurs et nos angoisses pour ensuite partir en mission comme ils l’ont fait au jour de la Pentecôte.

Conséquences

Beaucoup d’énergies sont investies dans la préparation du Carême, de la Semaine sainte et du Triduum pascal. Il nous arrive, cependant, comme équipes de liturgie, prêtres et assemblées d’arriver au matin de Pâques sur les rotules. Cet épuisement nous fait parfois oublier qu’il nous reste cinquante jours à fêter. Pourtant, quelle chance !

Qui peut s’enorgueillir de pouvoir célébrer pendant cinquante jours ? De pouvoir intégrer semaine après semaine le mystère qui nous est donné de célébrer ? À la suite de Ghislain Pinckers, nous pouvons dire :

Les fêtes de Pâques ne se ramènent pas simplement à une évocation ou une méditation : la liturgie rend présents et actifs les mystères du Christ qu’elle célèbre, particulièrement quand il s’agit des sacrements au sens strict, ce qui est le cas dans la célébration du mystère pascal(7).

Prendre le temps

Au moment où la société de consommation devance de plus en plus l’entrée dans les périodes de Noël et de Pâques, il peut nous apparaître difficile de vivre le moment présent. Nous arrivons à Noël ou à Pâques fatigués d’en entendre parler depuis déjà un bon moment. Chaque activité a son rythme propre. La liturgie, nous venons de le voir, a le sien, qui se répète chaque année. Elle a cette particularité de nous plonger, d’emblée, dans le temps de Dieu. Il peut donc nous arriver de nous sentir déphasés par rapport à l’année civile.

Le temps n’est pas seulement celui des saisons ou des cycles lunaires, c’est celui de l’histoire humaine dans laquelle Dieu a fait irruption. De cette histoire, Pâques est le centre. De dimanche en dimanche, nous faisons mémoire de la mort et de la résurrection du Christ. Chaque dimanche nous amène progressivement à approfondir, à partir de Pâques, le mystère toujours actuel de l’action de Dieu dans le monde.

Le Seigneur est présent à son Église et continue de l’accompagner par son Esprit. Le retour régulier des dimanches rythme notre marche et nous rappelle que l’action de Dieu est encore pour aujourd’hui : le Christ « est maintenant le salut pour tous ceux qui écoutent sa parole », note le Missel romain. Le mémorial eucharistique dominical enracine donc le temps humain dans le temps de Dieu.

Entrer dans le temps de Dieu…

Le mémorial eucharistique dominical enracine le temps humain dans le temps de Dieu.

Formation

La formation des laïcs et du clergé est plus que jamais nécessaire, d’une part pour saisir davantage la nature de la liturgie et des mystères célébrés, et d’autre part pour saisir davantage le temps dans lequel elle s’inscrit. Les revues spécialisées, les sessions de formation, les homélies et la catéchèse doivent y pourvoir.

Pour conclure, je reprendrai les mots du document romain sur La préparation des fêtes pascales concernant la formation des séminaristes : « Il convient que, pendant les années de leur préparation au séminaire, ils fassent l’expérience de célébrations plus riches et plus pleines des fêtes pascales, en particulier celles qui sont présidées par l’évêque »(8). Ainsi pourront-ils, avec les intervenants en liturgie, faire vivre plus pleinement aux communautés dont ils auront un jour la responsabilité, toute la richesse du mystère du ressuscité.

Patrick Vézina, c.s.c,
responsable de la pastorale liturgique
à l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal

(Reprise de l’article « Les cinquante jours de Pâques… sans oublier la Pentecôte » paru initialement dans la Revue de pastorale liturgique et sacramentelle Vivre et célébrer, Vol. 52, n° 231, Printemps 2018 « Florilège pascal », pp. 39-41)

 

Notes :
(1) Pierre JOUNEL, « L’année », dans Aimé Georges MARTIMORT, L’Église en prière. La liturgie et le temps, tome IV, Paris, Desclée, 1983, p. 69.
(2) CONGRÉGATION POUR LE CULTE DIVIN Et LA DISCIPLINE DES SACREMENTS, « La préparation et la célébration des fêtes pascales », dans La documentation catholique, n° 1958, mars 1988, n° 107.
(3) Pierre JOUNEL, op. cit., p. 73.
(4) Ibid., p. 74-76.
(5) CONGRÉGATION POUR LE CULTE DIVIN Et LA DISCIPLINE DES SACREMENTS, op. cit., n° 2.
(6) Ghislain PINCKERS, « La préparation et la célébration des fêtes pascales. Lettre de la Congrégation pour le culte divin », dans La Maison-Dieu, n° 176, 1989, p. 136.
(7) Ibid., p. 134-135.
(8) CONGRÉGATION POUR LE CULTE DIVIN Et LA DISCIPLINE DES SACREMENTS, op. cit., n° 43.

Vivre et célébrer est la revue de réflexion et de formation à l’expérience liturgique et sacramentelle proposée par l’Office national de liturgie de la Conférence des évêques catholiques du Canada. Elle s’adresse aux responsables, aux intervenants et intervenantes en liturgie et à toutes les personnes qui souhaitent intégrer l’expérience liturgique et sacramentelle à leur engagement ecclésial et social. Chaque numéro comporte un dossier thématique, des fiches sur des pratiques liturgiques, des chroniques, des documents et des informations émanant de diverses instances ecclésiales.