Une journée de formation autour du livre « Protection, délivrance, guérison »

Père Emmanuel CoquetPar le père Emmanuel Coquet, prêtre du diocèse de Paris, secrétaire général-adjoint à la Conférence des évêques de France, en charge notamment du Service national de liturgie et de la pastorale sacramentelle et du Bureau national des exorcismes.

Synthèse conclusive et retour sur les interventions de la journée dédiée à la présentation du livre : « Protection, Délivrance, Guérison : Célébrations et prières ».

Nous voilà pratiquement parvenus au terme de notre journée de présentation de l’ouvrage Protection, Délivrance, Guérison et je voudrais, en ces dernières minutes, tout en revenant sur la pertinence de cet ouvrage, reprendre quelques aspects qui ont pu être évoqués et peut-être pointer d’éventuels chantiers particuliers qui mériteraient d’être menés au-delà de cette rencontre.

Un fruit de l’année de la Miséricorde

Dans un premier temps, je souligne très simplement que cet ouvrage nous est donné comme un fruit de l’année de la Miséricorde. En effet, je crois profondément qu’il s’agit là d’un heureux déploiement de ce que cette année sainte nous a invité à réaliser.

Permettez-moi de vous relire ici quelques lignes de la bulle d’indiction du Jubilé de la Miséricorde :

« Face à la multitude qui le suivait, Jésus, voyant qu’ils étaient fatigués et épuisés, égarés et sans berger, éprouva au plus profond de son cœur, une grande compassion pour eux (cf. Mt 9, 36). En raison de cet amour de compassion, il guérit les malades qu’on lui présentait (cf. Mt 14, 14), et il rassasia une grande foule avec peu de pains et de poissons (cf. Mt 15, 37). Ce qui animait Jésus en toute circonstance n’était rien d’autre que la miséricorde avec laquelle il lisait dans le cœur de ses interlocuteurs et répondait à leurs besoins les plus profonds. » (Misericordiae Vultus n° 8).

C’est un fruit singulier de l’année de la Miséricorde que de pouvoir, avec l’outil dont nous disposons désormais, mieux aller à la rencontre des fatigués, des « sans berger » pour, à la manière du Christ, lire dans leur cœur et leur porter les bienfaits mêmes de Dieu à travers sa Parole qui rassasie et manifester l’espérance qui habite les enfants du Père à l’ombre de la Croix.

Dimension ecclésiale

Il m’apparaît très important de prendre la mesure de la nouveauté que représente la publication de notre livre et d’en mesurer les implications ecclésiales.

En effet, ce livre est une première. On pourrait objecter que la matière est largement inspirée – quasi exclusivement – de différents ouvrages déjà existants. Mais, et c’est bien là son originalité, Protection Délivrance Guérison (désormais noté : PDG) ne peut pas être réduit à une subtile compilation plus ou moins savante d’éléments épars. Résolument, ce livre trace une voie nouvelle (ou déblaie une voie qui n’était plus trop empruntée) afin que nous prenions davantage au sérieux l’invitation du Christ qui nous propose de refaire nos forces (cf. Mt 11, 28-30).

Par son existence même, PDG signifie aux pasteurs de communauté, quelle qu’en soit leur forme, qu’il est dans leur mission commune de porter ce trésor pour rejoindre un peuple en attente.

De plus, cet ouvrage remet la communauté au cœur de ces prières de demandes. Qu’elle soit diocésaine comme nous l’avons vu avec Mgr Aupetit, paroissiale, ou rattachée à un sanctuaire, à une communauté religieuse, à une aumônerie, la communauté priante est mise au cœur des différents schémas que vous avez pu quelque peu éprouver dans les ateliers cet après-midi. Ces propositions de célébrations veulent redonner à la communauté rassemblée, au Corps du Christ tout entier qui célèbre les bienfaits de Dieu, toute sa place. Nous savons combien toute souffrance est une souffrance portée par l’ensemble du corps ecclésial ; alors ne nous privons pas de faire des lieux où nous appelons l’action de l’Esprit Saint, des occasions de manifester jusqu’où s’étend la tendresse de Dieu qui s’offre à chacun.

Toujours dans ce sens de l’ecclésialité, nous avons relevé combien PDG offre une base de communion afin que les propositions qui peuvent être faites dans ce domaine particulier ne relèvent ni de la subjectivité ni de la seule sensibilité des « célébrants » au sens large.

Le père Toury nous a également rendus attentifs à la solidarité qui s’exerce dans la souffrance comme dans son apaisement, et il est heureux de manifester concrètement cette dimension.

Sans sensationnalisme ni banalisation : l’ordinaire de la vie de l’Église

Si au point de départ du chantier qui a abouti à la production de ce livre il y a bien le désir de « mettre un peu d’ordre » parmi des pratiques diverses et pas toujours équilibrées, nous recevons aujourd’hui un appui clair. Au-delà de savoir si nous délaissons le champ des prières de guérisons à certains groupes qui nous apparaîtraient spécialisés, nous entendons une invitation à puiser dans le trésor sans fond de la Tradition de la vie de l’Église pour nous réapproprier un élan qui déborde les charismes personnels mais appartient à l’Église tout entière. Il n’y aurait rien d’inconvenant, vous le comprenez bien, que chaque année, une paroisse, une communauté organise de manière tout à fait naturelle et ordinaire l’une ou l’autre soirée de prières pour demander protection, délivrance ou guérison… et ce jusque dans les cathédrales comme nous l’avons vu à Nanterre pour signifier qu’il s’agit là du soin ordinaire qu’un évêque doit au peuple qui lui est confié. Partout où une communauté chrétienne paroissiale ou autre se réunit, elle doit être à même de mettre en œuvre ces célébrations. Il est souhaitable de remettre dans l’ordinaire, dans l’ordre de la vie de l’Église, ces propositions. Certainement convient-il d’accompagner les diocèses, les paroisses, les groupes, les aumôneries, et leur permettre de se saisir positivement de ces propositions de célébrations.

Une exigence de formation ; une aide au discernement

Avec la réception de ce livre, nous avons également une opportunité qui s’offre à nous. J’évoquais à l’instant des groupes de prières particuliers. S’il faut se réjouir de ces groupes qui participent à l’élan missionnaire de l’Église, il n’est en même temps pas rare que nous connaissions tel ou tel groupe pratiquant des prières de protection, de délivrance ou de guérison sans que ces pratiques soient véritablement discernées et souvent moins encore évaluées et relues. Nous avons là un livre qui nous permet de le faire, ou du moins qui fournit la matière pour le faire.

Ce livre peut être un outil de formation avec les responsables de ces groupes, des communautés. Il permet d’engager une réflexion sur une base claire et commune dans l’Église qui est en France. La catéchèse que nous appelons lors du déploiement des schémas de célébrations peut être dispensée avec profit en amont avec tous ceux qui revendiquent prendre part à l’animation de prières pour demander protection, délivrance ou guérison. C’est là encore une chance.

Car – peut-être faut-il le dire -, ce livre n’est pas si « clef en main » qu’il pourrait le laisser paraître à une première lecture. PDG est un outil, il met à disposition des ressources. Et du même coup il requiert une préparation soigneuse pour que la proposition qui sera faite le soit dans un cadre propice et permette aux différents acteurs de ces liturgies d’être dans les dispositions intérieures les plus fructueuses possible. Il faudra prendre le temps de s’approprier le déroulement, peut-être de le préparer en équipe. On a déjà repéré ce matin des lieux à investir (l’œcuménisme notamment).
Les schémas de célébrations sont également à « inculturer » bien évidemment dans le contexte où vous aurez à le mettre en œuvre en prison, en paroisse, auprès des migrants,…

PDG peut être mis entre toutes les mains… mais pas seul ! Les fiches pratiques peuvent sembler des évidences mais nous savons combien il est nécessaire de rappeler régulièrement ce qui semble acquis. On se réjouira de ce que PDG permette de faire sortir d’une logique d’ « efficacité » de différentes prières comme on l’entend parfois, pour introduire dans l’ordre de la relation de foi.

Je crois que l’on peut sans grande réticence faire nôtre l’invitation du pape François dans son exhortation apostolique Amoris Laetitia pour entrer dans cette valse à quatre temps qu’il nous propose : « Accueillir, Accompagner, Discerner, Intégrer ». Au-delà de l’accueil des situations rencontrées lors de la préparation au mariage, cette invite recouvre la proposition faite ce matin de « Accueil, écoute, discernement, itinéraire ». Cette dynamique n’est pas nouvelle mais elle permet de formuler plus clairement peut-être ce qui oriente l’itinéraire qui mène à la communion au cœur de l’Église quelles que soient les fragilités ou les blessures que nous portons. Si la dynamique n’est pas nouvelle, la mettre en œuvre relève bien du défi auquel nous confronte ce livre pour le bien de toute l’Église.

Un livre qui s’insère dans une pastorale plus large

Ce livre est une proposition qui n’est pas une contrainte. Je veux dire par là que, bien que n’étant pas un rituel au sens strict comme le rappelle Mgr Aubertin dans sa présentation de l’ouvrage, il permet de se saisir de ces éléments présentés de manière équilibrée et cohérente.

C’est cet équilibre qui oblige à situer la proposition d’une célébration dans un ensemble plus vaste, dans une approche globale de l’économie sacramentelle et vous en avez des rappels tout au long du livre, attirant notamment notre attention sur les liens et les résonances à établir avec les sacrements de guérison, l’eucharistie et la confirmation. Ce livre ne fait pas de ces prières pour demander la protection, la délivrance ou la guérison un processus hermétique, mais bien au contraire il veut inscrire les personnes qui ont recours à ces célébrations dans un dynamisme catéchuménal (et les références au Rituel d’initiation chrétienne des adultes qui jalonnent le livre le vérifient amplement).

Une phase nécessaire de réception et d’évaluation à venir

Tout n’est pas dit à ce stade. Il faudra éprouver ces célébrations et recueillir le rejaillissement sur les personnes, les communautés. Il nous appartiendra de réfléchir à la manière dont peuvent se prolonger ou se réitérer ces célébrations. Il nous reviendra de voir comment la communauté ecclésiale reçoit la mission de porter dans la prière ceux et celles qui sont venus chercher un soutien et un réconfort auprès de l’Église.

Certainement des « flous » demeurent :

  • Comment travailler l’articulation entre des célébrations individuelles et communautaires ?
  • Comment assurer un suivi des personnes (même si ce n’est pas spécifique à la réflexion de ce jour) ?

Une exigence personnelle

Par ailleurs, la sortie de PDG nous renvoie à une exigence pour nous-mêmes. Aux déséquilibres que nous constatons chez ceux qui s’adressent à nous, nous n’aurons jamais qu’à opposer l’équilibre que nous confèrent la foi et son organicité. Dans ce vaste équilibre je mentionne particulièrement pour nous ici l’exigence qui consiste à inlassablement resituer la guérison sur un chemin de Salut. Il y a un enjeu personnel qui consiste également à raviver notre propre foi en l’action de l’Esprit Saint dans ce temps pascal où nous relisons les Actes des apôtres. Nous voyons comment depuis la Pentecôte l’œuvre de l’Esprit se fait toujours plus intérieure. C’est toujours sous la motion de l’Esprit Saint que nous suscitons des prières pour demander la protection, la délivrance, la guérison, et que nous les reconnaissons d’abord comme une œuvre de la grâce.

Enfin, je perçois également une invitation à approfondir notre anthropologie, à être rigoureux dans ce que nous nommons, à être rigoureux dans l’usage de notre vocabulaire, et peut-être attentifs au silence et à ce que nous ne pouvons ou ne savons nommer.

Conclusion : un visage d’Église mis en lumière

Comme cela a été sympathiquement rappelé par le père Maitte, le but n’est pas d’abord de « désengorger » les services diocésains de l’exorcisme (sic) mais de manifester le soin ordinaire, au sens premier du terme, que l’Église prend notamment par ses pasteurs légitimes.

C’est tout une approche nouvelle qui permet de manifester un visage de l’Église qui n’est pas toujours visible ou qui est délaissé. La publication de PDG marque, à mes yeux, une étape dans la manière de prendre soin des petits et des pauvres ; nouveau visage de l’Église. Vous me direz que le visage de l’Église ne change pas, il demeure celui du Christ mais il veut porter sa lumière jusqu’aux fameuses périphéries existentielles, à toutes ces personnes qui d’une manière ou d’une autre se sentent perdues, et parfois délaissées. Je relève aussi en évoquant ces périphéries, la piété populaire dont nous avons parlé cet après-midi.

Nous avons eu l’occasion de le souligner, ce soin de l’Église s’étend à tous, y compris aux personnes non baptisées. Cette attitude est révélatrice du souci missionnaire inhérent à la nature de l’Église. Elle atteste du soin global pris de la personne dans toutes les dimensions de son être sans en minimiser tel ou tel aspect.

Dans un monde éprouvant où les difficultés vont croissantes, nul doute que ce livre permettra d’offrir des conditions propices pour que le Seigneur accomplisse son œuvre de Salut selon son cœur. Dans le même mouvement, PDG est un outil qui ouvre un chemin pédagogique et catéchétique pour éveiller à l’action de Dieu et non d’abord satisfaire une demande envahissante dans l’esprit de la personne qui s’adresse à nous. Nous l’avons entendu et cela nous a été redit de multiple manières, l’objectif est de « rendre plus disponible à l’action de l’Esprit Saint » (cf. PDG n°49).

Nous savons combien les failles sont des lieux par lesquelles le Seigneur accomplit son œuvre. Nous regardons toute blessure comme des lieux où la grâce de Dieu veut faire son œuvre à la lumière de la Pâques du Christ. C’est le signe de la Croix qui seul peut infléchir l’œuvre de l’inacceptable qu’est le mal, quelle qu’en soit la forme, en lui opposant la seule réponse juste : le surcroît de l’Amour même de Dieu.

Paris, le 9 mai 2017

Extrait du dossier Retour sur la session de présentation de l’ouvrage PDG