L’orientation eucharistique de l’initiation chrétienne
Par Louis-Marie Chauvet, Curé de paroisse dans le diocèse de Pontoise et professeur émérite à l’Institut catholique de Paris
« Engrangés », « moulus », « imbibés d’eau » pour devenir une pâte, « cuits au feu du Saint-Esprit », enfin « devenus le pain du Seigneur » : voilà, exprimé par Saint Augustin en termes imagés, l’itinéraire vécu par les néophytes depuis leur entrée en catéchuménat. « Images » ? Oui, certes, mais porteuses d’une vérité théologique et spirituelle profonde. Cela permet en effet à Augustin de conclure : « Soyez (donc) ce que vous voyez, et recevez ce que vous êtes » (Sermon 272). Traduisons : « soyez ecclésialement ce corps que vous voyez eucharistiquement, et recevez eucharistiquement ce corps que vous êtes ecclésialement ».
L’eucharistie accomplit le baptême
Impossible, à mon sens, d’exprimer plus fortement la dynamique qui fait le chrétien. L’eucharistie en est toujours le terme : c’est en communiant au corps eucharistique du Seigneur que l’on devient pleinement membre de son corps ecclésial. C’est dire l’importance de la première communion. En tant que « première », elle appartient aux rites dits « de passage », ceux par lesquels on accède à une identité nouvelle. Elle « accomplit » le baptême (baptême auquel appartient la « confirmation » qui le complète) ; elle fait du baptisé confirmé un chrétien « achevé », un chrétien à part entière. En même temps, elle est la première des multiples communions qu’elle appelle par la suite. Cela crée une tension qui est fort caractéristique de l’identité du chrétien. On peut et doit dire à celui dont l’initiation est achevée : « désormais, tu es chrétien » ; c’est la vérité dont est porteuse l’expression populaire à ce sujet : « j’ai tout fait », ou « j’ai tout eu ».
Mais simultanément, parce que le sacrement qui achève son initiation est constamment à recevoir, il faut ajouter aussitôt : « pourtant, tu ne l’es vraiment que si tu le deviens sans cesse ». Du point de vue spirituel aussi bien que théologique, cela signifie que si l’identité chrétienne est bien le fruit d’un processus institutionnel, elle n’est pourtant pas réductible à un simple acte administratif : c’est par un « sacrement » (sacrement en trois gestes ordonnés l’un à l’autre), et non par un simple coup de tampon, que l’on devient chrétien. Et ce don n’est reçu comme don que si l’on y répond par une vie qui se conforme à lui : « Devenez ce que vous recevez », ainsi que nous le chantons parfois dans nos églises.
L’eucharistie : fin et finalité du baptême
« Terme » de l’initiation chrétienne, l’eucharistie ne l’est pas seulement au sens où elle la termine, mais au sens où elle la « finalise ». A une époque où, pourtant, on avait totalement perdu de vue la notion d’initiation chrétienne, Saint Thomas avait eu l’intuition géniale de cette finalisation du baptême par l’eucharistie : « par le baptême, l’être humain est ordonné à l’eucharistie », écrit-il.
C’est ce que montre le pédobaptisme : en effet le petit enfant baptisé ne peut être justifié et sanctifié par le baptême sans participer « spirituellement » à la grâce de l’eucharistie, laquelle est déjà reçue à travers le désir ou le vœu (votum) de la Mère Église de le faire participer à l’eucharistie ; on pourrait dire, en termes scolastiques, que l’eucharistie est la cause finale de l’efficacité du baptême des petits enfants (III, q. 79, a.1, ad 1). « Du fait que les enfants sont baptisés, ils sont ordonnés par l’Église (per ecclesiam) à l’eucharistie. Et de même qu’ils croient par la foi de l’Église, par son intention ils désirent l’eucharistie et en reçoivent la réalité » (q. 73, a.3). Par conséquent, si les petits baptisés n’ont pas communié sacramentellement, ils ont déjà communié spirituellement, veut dire Saint Thomas !
Quelle leçon ! Leçon trop oubliée dans notre Église et théologie latines. Pas totalement cependant : le signe en est que, selon le rituel, les baptêmes de bébés doivent se terminer autour de l’autel. Sans doute faut-il rappeler cette vérité si profonde aux responsables pastoraux d’abord, et la répercuter ensuite auprès des parents : un baptême qui ne débouche pas plus tard sur l’eucharistie est comme atrophié. Cela constitue d’ailleurs une raison supplémentaire en faveur de la nécessité de la catéchèse.
Le plus grand des sacrements
Sur le plan pastoral, il importe donc, comme le demandent clairement nos trois, (ou plutôt deux) rituels1, que les adultes, les jeunes et les enfants scolarisés reçoivent l’eucharistie le jour même de leur baptême. Il importe également que tous, et notamment les enfants, puissent réaliser l’immense grandeur de leur première communion : qu’ils réalisent qu’il s’agit là du plus grand sacrement qu’ils recevront jamais, même s’ils devaient un jour être ordonnés diacres, prêtres ou évêques, ou même être élus pape ! Mais pourquoi ce qui est commun à tous devrait-il être nécessairement moins apprécié que ce qui est réservé à quelques-uns ? Sans doute faut-il constamment lutter contre ce quasi réflexe, bien humain certes, mais si peu évangélique !
Le Temps pascal : un seul grand dimanche
L’ordre « baptême, confirmation, eucharistie » est l’ordre exemplaire ou normal, sinon normatif. On laisse ici de côté la question de la place de la confirmation dans notre Église latine. Le fait que, dans le cas exemplaire du baptême, à savoir celui des adultes, les trois sacrements sont donnés, comme le demande avec insistance le Rituel (n° 211-213 et 58-59), sinon le même jour calendaire, du moins le même « jour liturgique », au sens où le temps pascal constitue du point de vue théologique, un seul « grand dimanche », excuse en quelque sorte la distorsion de cette règle dans notre Église pour les enfants. Cet élément est important du point de vue œcuménique par rapport aux Églises orthodoxes.
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1. Du point de vue pastoral, nous avons trois rituels, et c’est heureux. Mais le rituel pour le baptême des enfants d’âge scolaire est en fait une adaptation de celui des adultes. Du point théologique en effet, il n’existe que deux rituels : avant « l’âge de raison » ou après ; dans le premier cas, on baptise sans demander l’avis de l’intéressé. Pas dans le second, lequel constitue le cas « normal ». Le pédobaptisme, si légitime et précieux qu’il soit, ne doit jamais être considéré comme le cas exemplaire du baptême : c’est un dérivé du cas exemplaire où l’on suppose la foi personnelle.
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L.-M. Chauvet – L’orientation eucharistique de l’initiation chrétienne