Faire un pas de plus avec les parents qui demandent le baptême de leur enfant
Par Maxime Leroy, directeur du CIPAC (Centre interdiocésain de formation pastorale à Lille)
Lors des rencontres de pastorale du baptême, organisées l’an dernier par le Service diocésain de pastorale liturgique de Lille, avec ceux qui accompagnent les parents demandant le baptême pour leur petit enfant, chacun a pu s’exprimer. L’objectif était de repérer, dans ce que disent les parents, les points d’appui qui peuvent permettre de faire un pas de plus avec eux, dans l’expression de la foi et (ou) la redécouverte de la foi chrétienne. C’est le père Maxime Leroy qui reprenait les convictions partagées et tentait de les prolonger. Voici le texte de son intervention.
Introduction
« Jamais 2 demandes pareilles, jamais deux personnes pareilles… ! » et puis « Tant qu’on parle de la vie, ça va… mais comment faire le lien avec la foi ? Sur quoi pouvons-nous nous appuyer pour que la foi s’exprime ? » … Toutes ces réactions traduisent la conscience que vous avez de la distance qui sépare les demandes des personnes qui s’adressent à l’Église et la proposition que l’Église leur fait. Votre désir : réduire cette distance. Avant de voir comment s’y prendre, essayons de comprendre ce qui se passe et pourquoi il en est ainsi.
Un changement culturel
Dans le domaine de l’appartenance religieuse et de l’adhésion de foi, nous assistons à un changement culturel considérable. Et ce n’est pas propre au domaine religieux. Nous le retrouvons dans tous les domaines de la vie en société. Nous assistons en effet à quelque chose de nouveau : l’affirmation avec force de l’individu face au monde qui l’entoure. Nous parlons alors quelque fois d’individualisme. Ne jetons pas trop vite un regard moralisateur sur un phénomène social. Avant de « juger », essayons de comprendre. Cette affirmation de l’individu est aussi une requête positive de l’homme qui ne supporte plus d’être réduit à l’état d’objet. C’est l’émergence de la subjectivité dans les rapports humains : je veux être sujet (libre et responsable) de ma propre histoire et être reconnu comme tel. Cette absence de reconnaissance engendre des frustrations. Voilà la lame de fond qui traverse nos sociétés modernes et qui nous marque tous.
Nous ne vivons plus l’époque où l’on adhérait en bloc aux dogmes, aux rites et aux vérités religieuses. Ce qui est mis en avant désormais, c’est l’itinéraire personnel avec ses temps forts et ses longues périodes de sommeil. Chacun tente de se frayer son propre chemin parsemé d’émotions fortes et de coups de cœur. C’est désormais le ponctuel qui structure le temps.
Rien ne sert de vivre de nostalgie et encore moins de culpabiliser ou de chercher des « boucs émissaires ». Au contraire, dans un monde qui change à grande vitesse, continuons à regarder le monde et les personnes avec amour et avec un parti pris d’espérance.
Changeons de point de vue
Regarder ces personnes avec « un parti pris d’espérance » nous amène à changer de point de vue et à considérer cette fameuse « distance » non plus du point de vue de notre projet pastoral mais du point de vue des personnes qui frappent à la porte de l’Église. Mettons-nous à l’écoute de ces personnes, à l’écoute de leurs demandes. Elles sont riches d’attentes, d’espoirs, de craintes, de peurs, d’amours et de don de soi.
Rencontrer celui qui se présente à la porte suppose un infini respect (voir l’hospitalité d’Abraham au chêne de Mambré : c’est l’étranger qui vient chez lui… et c’est Abraham qui fait tout le chemin !). Cet autre qui vient vers moi a quelque chose à me dire qui est « vital » pour lui mais aussi pour le monde, pour l’Église et pour moi-même ! Dans un contexte « d’individualisme généralisé » dans lequel nous vivons, c’est absolument extraordinaire que ces personnes viennent frapper à notre porte : des millions de nos contemporains continuent à s’adresser à l’Église (que beaucoup se plaisent à dire totalement décalée) pour ce qu’ils ont de plus cher, de plus sacré : leur enfant.
C’est du ponctuel, d’accord ! Mais pour ces personnes, les rencontres avec l’Église n’en sont pas moins des repères dans leur histoire ; des points de repère qui les marquent durablement, bien plus que nous le pensons. Alors, quelles exigences pour nos communautés ? Pour qu’on ait encore affaire à la mission de l’Église du Christ, et non à un « supermarché » du n’importe quoi !
L’Église comme « sacrement »…
L’Église n’a pas son but en elle-même. Nos rencontres de préparation au baptême n’ont pas leur but en elles-mêmes. L’Église n’a qu’une seule finalité : « la gloire de Dieu et le salut du monde ». C’est quoi la gloire de Dieu ? : « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme c’est de voir Dieu ! » (saint Irénée). La seule raison d’être de l’Église, c’est donc le service de l’homme, créé à l’image de Dieu. Depuis le Concile Vatican II, c’est ainsi qu’il faut comprendre la mission de l’Église. « L’Église est, en quelque sorte, le sacrement, c’est à dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Lumen gentium n°1).
Pour vivre leur vie en rapport avec le Christ, des médiations sont nécessaires (non pas dans le sens « d’intermédiaire », mais dans le sens de « milieu »). La toute première est la communauté des croyants, l’Église. Dans ce « milieu-là » qu’est l’Église, des hommes et des femmes peuvent découvrir, et mieux encore, faire l’expérience de l’Alliance, de l’amour sans réserve et sans retour que Dieu offre à toute l’humanité en Jésus-Christ (à toute l’humanité et non aux seuls chrétiens).
S’il existe des rencontres de préparation au baptême (lieux d’Église), c’est uniquement en vue de cela : la gloire de Dieu dans l’homme vivant. Et non d’abord pour faire des recrues. L’Église n’a pas son but en elle-même, elle n’a pas non plus sa source en elle-même. Sa mission lui vient d’un autre, le Christ, lui-même envoyé du Père dans l’Esprit Saint. Notre mission s’inscrit donc dans celle du Christ : mission de guérison, de libération, de réconciliation.Des lieux pour savourer l’Évangile
À la lumière de l’Église – sacrement, réfléchissons maintenant à ce qui se passe dans nos rencontres de parents (ou autres rencontres d’accueil que nous proposons). Ces lieux sont souvent des lieux d’expériences fortes pour ceux qui y participent. Il s’y passe quelque chose d’inédit et de bouleversant pour beaucoup. Mesurons l’enjeu de ce que nous vivons là.
Dans un contexte où le lien social est souvent mis en péril et où la violence affleure de partout, l’expérience qui est proposée dans ces rencontres a une portée considérable. Ce sont des lieux où le tissu social peut reprendre visage humain. Si ces lieux sont à la fois des lieux d’écoute de l’autre et d’écoute de l’Évangile, s’ils sont habités par la mémoire de Jésus, ils peuvent devenir, dans son sillage (sur sa « trace ») des lieux d’Évangile à l’œuvre, lieux d’un vrai service de l’homme :
- des lieux où l’on est aimé pour soi-même, où l’on n’est pas jugé mais reconnu ;
- des lieux où l’on apprend à vivre ensemble différents, dépassant nos préjugés ;
- des lieux de parole où l’on est renvoyé au dialogue avec ses proches, avec tous ;
- des lieux d’accueil de l’autre où l’on est renvoyé à se rendre proche ;
- des lieux où l’on est libéré de ses peurs, de sa culpabilité sous le regard confiant ;
- des lieux où l’on fait l’expérience de la vie du Ressuscité : plus rien n’est banal, plus rien n’est fatal. On peut redire « oui » à l’avenir.
Bref, des lieux où Dieu rencontre son peuple qu’il chérit. Voilà la dimension sacramentelle de nos rencontres. Elles sont des lieux de conversion, au bénéfice des personnes certes, mais aussi de toute la société. Ce n’est pas rien, dans notre société, que l’Église participe ainsi, de manière spécifique, à mettre au monde des libertés et des libertés solidaires. À la manière du Christ lui-même.
Raviver la grâce de leur propre baptême
Votre demande : « des trucs pour saisir, épingler, à partir de ce que les parents disent de leur vie, des points d’appui (mots, attitudes, silences) pour parler de la foi et du baptême de leurs enfants ». Plutôt que des trucs, je vous propose une démarche d’initiation qui s’inspire du baptême lui-même.
Changer de méthode
Beaucoup d’entre nous fonctionnons sur un certain modèle : celui de la transmission. Quand tout le monde est dedans, il suffit de transmettre, et tout le monde comprend. L’Église vit toujours sur ce modèle, et toutes les institutions de notre société en font autant (école, partis politiques… et surtout, la famille). C’est sans doute une des raisons des crises qu’elles traversent. L’Église n’y échappe pas. Je ne dis pas qu’il faille abandonner la transmission : en régime chrétien elle est essentielle, elle s’appelle alors la tradition. Mais on ne peut plus la faire fonctionner de la même manière. Aujourd’hui le premier défi est celui de l’initiation. L’Église n’est pas sans expérience dans ce domaine, c’est le catéchuménat. Mais aujourd’hui il y a lieu d’explorer les innombrables démarches catéchuménales qui voient le jour dans tous les secteurs de la mission. Essayons-nous à la pratique de nouvelles méthodes, pour la responsabilité qui nous concerne.
Baptisés dans le Christ
Tous les parents (ou presque) ont été baptisés, mais ils en ont perdu la mémoire. Il s’agit de raviver en eux la grâce de leur baptême, de leur « rafraîchir la mémoire ». Le jour de leur baptême, le prêtre a tracé sur leur front une onction de Saint-Chrême en disant ces paroles :
« Vous êtes maintenant baptisés : le Dieu tout-puissant, Père de Jésus, le Christ, notre Seigneur, vous a libéré du péché et vous a fait renaître de l’eau et de l’Esprit Saint. Désormais, vous faites partie de son peuple, vous êtes membres du Corps du Christ et vous participez à sa dignité de prêtre, de prophète et de roi. Dieu vous marque de l’huile du salut afin que vous demeuriez dans le Christ pour la vie éternelle. Amen. »1
Incorporé au Christ prêtre, prophète et roi, chaque baptisé est appelé à vivre tout au long de sa vie cette triple vocation baptismale. À la suite des croyants de la première alliance, puis à la suite de Jésus, nous sommes tous appelés à être :
- Prêtre. Reconnaître que tout vient de Dieu, rendre grâce au Père (lui dire merci). Les parents ne le sont-ils pas quand ils disent : « Quand mon enfant est né, j’ai eu envie de dire merci » ; « Il vient de nous, et pourtant c’est un tel cadeau ! » ; ou encore « Nous le baptisons pour le confier à Dieu, après tout c’est aussi son enfant » ?
- Prophète. Rappeler l’Alliance, la fidélité indéfectible de Dieu. Apprendre à parler, accéder à la parole, c’est apprendre à exister sous le regard de l’autre. C’est devenir quelqu’un. Les prophètes d’aujourd’hui ne sont-ils pas ceux qui ouvrent, dans notre monde, l’espace pour que la parole circule dans le peuple ?
- Roi. Organiser la vie sociale pour que les rapports entre les hommes soient une louange à Dieu, que tous aient leur place. Le véritable roi, son royaume c’est l’amour ! Sommes-nous attentifs à la manière dont les parents sont « rois » quand ils disent : « On voudrait qu’il ne manque de rien, que sa dignité soit toujours respectée » ; « Si on ne fait rien, les plus petits n’auront jamais rien » ; « J’ai compris que je dois m’y mettre. Pour l’association des parents d’élèves, j’ai donné mon nom » ?
« Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ. » (Galates 3, 27)
C’est aujourd’hui que s’accomplit cette parole, dans la vie des personnes qui sont là devant nous. Cette vocation-là est offerte à tous.
Conclusion
« Écoute et Regarde » : c’est notre première mission, à nous qui animons les rencontres de préparation au baptême. Cela s’apprend et se cultive. Et dans ce domaine, rien ne remplace l’écrit. Écrire nous fait « entrer en travail » avec nous-mêmes. Il tient nos sens, donc notre cœur en éveil. Une proposition simple : prendre un cahier, séparer les feuilles en 3 colonnes pour y mettre trois termes qui nous aideront à « faire relecture », à reprendre ce qui aura été dit lors des rencontres, trois mots en vis à vis : « eux », « moi », « lui ».
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