Le ministre du baptême : qui baptise ?

baptême enfant cuve baptismale

05 juin 2011: Geste de l’eau lors du baptême de Julia par le P. Laurent CROS, en présence de son parrain, Paroisse sainte Thérèse d’Annecy (74), France.

Par Michèle Clavier, Théologienne, Université catholique de Lille.

Nous ne nous posons guère de question à propos du ministre du sacrement de baptême : nos communautés sont, aujourd’hui, habituées à voir le diacre, et non plus seulement le prêtre, baptiser. Cependant, le cas du baptême est, parmi les sept sacrements, assez particulier à propos de cette question du « ministre » …

Le baptême chrétien n’est pas un « auto-baptême »

Le baptême chrétien a des antécédents bibliques. On peut notamment mentionner le baptême des prosélytes, c’est-à-dire le rite d’admission des païens convertis qui entraient dans le judaïsme par la circoncision et un « baptême ». Pour ce baptême, comme pour les autres bains de purification pratiqués chez les juifs, il n’y a pas de ministre : le candidat se plonge lui-même dans l’eau pour se purifier de son impureté, accomplissant donc une « auto-plongée », un « auto-baptême » au sens propre du mot. Il en va tout autrement du baptême de Jean le Baptiste qui est, lui, effectué par un tiers, comme l’indique le titre de « baptiste » donné à Jean.

Avec l’intervention nécessaire d’un officiant, le rite chrétien se situe bien dans la suite du rite johannite : on ne se baptise pas, on est baptisé (forme passive du verbe). À la suite de son discours, au jour de la Pentecôte, Pierre recommande en effet aux premiers sympathisants du christianisme : « Convertissez-vous ; que chacun reçoive le baptême au nom de Jésus-Christ pour le pardon de ses péchés, et vous recevrez le don du Saint Esprit » (Actes 2, 38). Ainsi, dès les origines, on devient chrétien en se faisant baptiser. La « Doctrine des douze Apôtres », texte datant de la fin du premier siècle et se présentant comme le plus ancien texte chrétien à côté du Nouveau Testament, en témoigne elle aussi lorsqu’elle recommande que « le baptisant, le baptisé et d’autres personnes qui le peuvent jeûnent avant le baptême. » (7, 4)

Il y a donc, en christianisme, l’indispensable intervention d’un ministre. La question est alors de bien préciser son rôle, l’importance de son ministère.

« C’est le Christ qui baptise ! »

Dès les premiers siècles de son histoire l’Église s’est heurtée à une question inédite. Dans un contexte de foisonnement d’hérésies ou de persécution, s’est très vite posé le problème de la dignité du ministre qui baptisait. Dans quelle mesure son comportement personnel, ses choix doctrinaux, ou la qualité même de sa foi affectaient-ils le sacrement qu’il donnait ? Car si la validité du baptême dépendait de la dignité du ministre qui l’avait conféré, ce baptême ne pourrait, dans des cas extrêmes d’indignité du ministre, par exemple, être le vrai baptême chrétien et devrait donc être renouvelé. Or, l’Église n’avait jamais renouvelé le baptême chez une même personne.

La question ne fut pas simple à régler, les différentes Églises locales ne l’abordant pas exactement de la même manière. Saint Augustin, en particulier, a été confronté à ces difficultés pendant les quelque trente années de son épiscopat au début du Ve siècle. Ses réflexions ont permis d’établir une totale distinction entre la foi du ministre et la validité du sacrement. Il expliqua que ce sont le rite d’eau et la formule trinitaire qui font le baptême : si donc celui-ci est correctement donné, il est valide quel que soit le ministre qui l’a accompli.

Augustin insiste sur le fait que, quel que soit le ministre, « c’est le Christ qui baptise ». Il se réfère aux dires de Jean Baptiste : « Celui sur lequel tu verras l’Esprit descendre et demeurer sur lui, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint. » (Jean 1, 33). Et il déclare par exemple : « Si Pierre baptise, c’est le Christ qui baptise ; si Paul baptise, c’est le Christ qui baptise ; si Judas baptise, c’est le Christ qui baptise ! » De nos jours, cette position demeure fondamentale ; le concile Vatican II réaffirme en effet ce point doctrinal important : « (Le Christ) est là présent par sa puissance dans les sacrements au point que lorsque quelqu’un baptise, c’est le Christ lui-même qui baptise. » (Consitution sur la sainte liturgie, n° 7)

Les ministres ordinaires du baptême

Les Notes doctrinales et pastorales du Rituel précisent (n° 11) : « Les ministres ordinaires du baptême sont l’évêque, le prêtre et le diacre. » Les évêques sont en effet « les premiers dispensateurs des mystères de Dieu », les prêtres et les diacres collaborent à leur ministère. La célébration du baptême relève donc du ministère ordonné.

Cependant, si on poursuit la lecture des Notes du Rituel, on découvre (n° 16) que « En l’absence d’un prêtre ou d’un diacre, s’il y a péril de mort, et surtout si la mort paraît imminente, tout fidèle, et même toute personne animée de l’intention requise pour un tel acte, a le pouvoir et parfois le devoir de conférer le baptême. » La mention de cette bonne intention est importante, on veut par là écarter toutes formes d’abus (plaisanterie ou autres…).

Le baptême « en cas d’urgence »

Le Rituel du baptême des petits enfants envisage deux possibilités du baptême en absence de ministre ordonné. En premier lieu, il présente le « baptême administré en pays de mission par un catéchiste en l’absence [prolongée]1 de prêtre et de diacre » ; dans ce cas, l’onction de saint-chrême est omise. Le deuxième cas de baptême en absence de ministre ordonné, c’est le « baptême d’un enfant en danger de mort » pour lequel le ministre peut donc être « toute personne animée de l’intention requise ». Selon les circonstances, il y aura ou non profession de foi (elle a lieu lorsqu’au moins un chrétien baptisé est présent), il y aura ou non assistance d’un témoin. Dans ce cas de « danger de mort », si c’est un prêtre qui baptise il a également la faculté de confirmer l’enfant. Plus tard, si l’enfant se rétablit, le Rituel prévoit une célébration d’ « accueil dans la communauté d’un enfant baptisé en cas d’urgence », célébration qui comporte une liturgie de la Parole, la profession de foi, et les rites complémentaires du baptême (onction, vêtement blanc, lumière). Cette célébration vise à déployer et manifester la dimension ecclésiale du baptême (cf. le baptême comme « entrée dans l’Église ». Elle n’est pas nécessaire, à strictement parler, pour la validité du baptême qui a été donné par cette « personne animée de l’intention requise » : un tel baptême, l’Eglise le reconnaît pleinement et ne le renouvellera jamais. En effet, ce qui fait le baptême c’est l’ablution d’eau (ou, mieux, l’immersion) accompagné de la formule trinitaire et réalisé avec la bonne intention de la personne-ministre. Du fait de cette juste intention de la personne, c’est le Christ qui baptise.

Une exception en théologie sacramentaire

Si l’on excepte le cas particulier du sacrement de mariage, pour lequel les époux eux-mêmes sont considérés comme ministres2 (puisque le rite sacrementel comprend l’échange des consentements des époux), le baptême est le seul sacrement pouvant être donné par une personne non ordonnée et même par une personne non baptisée. Certes, les conditions sont très restrictives : cela ne peut arriver qu’en cas d’urgence, de danger de mort. Mais il est tout de même significatif que le premier sacrement, celui par lequel on entre dans l’Église, puisse être conféré par quelqu’un n’appartenant pas à l’Église …

Cela peut s’expliquer par des considérations historiques. Il faut comprendre cette exception prévue par le Rituel en lien avec la généralisation du pédobaptisme3et l’affirmation de la nécessité absolue du baptême pour être sauvé. Autour du XVIsiècle, l’urgence de baptiser les nouveaux-nés se renforce et, du fait de la mortalité des nourrissons, l’Église favorise au maximum leur baptême : une sage-femme, par exemple, peut validement baptiser un enfant qu’elle juge en danger imminent de mort. Le cas est moins fréquent de nos jours, mais peut encore survenir.

Tout ceci souligne finalement la grande dignité du baptême, indépendante du ministre qui le célèbre, et le profond désir de Dieu de se donner à chacun de ses enfants, sans restrictions et même dans des circonstances difficiles. Si ces convictions nous habitent, si l’amour de Dieu nous fait vivre, réjouissons-nous de ce qu’il puisse être ainsi offert.

1. Le Rituel renvoit à la Constitution sur la sainte liturgie, n° 68.

2. Voir Hélène Bricout, dans le dossier de Célébrer n°336 sur l’ecclésialité du mariage qui met en rapport la ministérialité des époux et la ministérialité de l’Église à travers le ministre ordonné, dans le sacrement de mariage.

3. Baptême des petits enfants.

Approfondir votre lecture

  • Le service de l’autel, un ministère ?

    En préalable, rappelons que la liturgie a aujourd’hui une place particulière dans la vie de l’Église. Dans ce monde très sécularisé dans lequel nous vivons, où il y a peu de pratiquants, pour beaucoup la liturgie est un lieu d’initiation à la vie chrétienne, l’expérience d’une première rencontre avec Dieu, l’entrée dans l’univers symbolique chrétien. Ceci confère à la liturgie une place importante dans l’annonce de l’Évangile, y compris pour les jeunes et les enfants.

  • Porter la communion aux malades : un ministère

    Si la parole du Seigneur « J’étais malade et vous m’avez visité » (Mt 25, 36) s’adresse à tout baptisé, porter la communion à un malade relève du ministre extraordinaire de la communion.1 Ce ministère demande de s’y être préparé et normalement d’être mandaté.

  • Le sacrement de mariage, un acte d’Eglise

    Si le mariage est un sacrement, c’est qu’il est un événement ecclésial, comme tous les sacrements. Le faire percevoir est essentiel, car la privatisation du mariage est une réelle tentation aujourd’hui. Or il arrive souvent que notre langage, loin de clarifier la dimension ecclésiale du sacrement de mariage, l’obscurcisse. Tel est le cas lorsque l’on dit par exemple que les conjoints « se donnent » ou « s’échangent » le sacrement. Un peu de précision s’impose.