Sacrements et conversion pascale
Par le père Jacques Rideau, Prêtre du diocèse de Luçon, ancien directeur du SNPLS
La mise en œuvre du concile Vatican II a renouvelé la pastorale sacramentelle : la rénovation des rituels et de la célébration s’est accompagnée de la généralisation d’une préparation aux sacrements. Aujourd’hui, cette pastorale connait des évolutions sous l’influence du catéchuménat, de nouvelles orientations pour la catéchèse. On vise à ce que l’ensemble préparation-célébration soit une véritable initiation à la grâce du sacrement, à ce qu’il révèle et engage pour une vie chrétienne. Les sacrements donnent de vivre une conversion de l’existence qui est une conversion pascale.
La mémoire vivante de Pâques
« Vous ferez cela en mémoire de moi. » A la dernière cène, Jésus a laissé son repas comme un mémorial de son sacrifice pascal. Dans l’eucharistie, l’Église accomplit les gestes et redit les paroles du Seigneur pour faire mémoire de sa passion bienheureuse, de sa mort, de résurrection. Le Corps livré et le Sang versé du Seigneur nous sont réellement donnés sous les espèces du pain et du vin ; ainsi l’offrande qu’il a faite de lui-même sur la croix et que le Père a agréée par sa résurrection des morts, cette offrande qui réconciliait le monde avec Dieu devient notre offrande aujourd’hui. Ce qui est éminemment vrai de l’eucharistie, l’est aussi de chaque sacrement. Lorsque nous disons que les sacrements font mémoire de la mort et de la résurrection du Christ, ce n’est pas au sens de cérémonies du souvenir. Dans l’Esprit-Saint qu’elle reçoit du Christ ressuscité, l’Église atteste qu’elle vit de ce mystère, qu’il est l’actualité de sa vie la plus profonde et de celle de chaque croyant.
Ainsi, chaque sacrement fait mémoire de la Pâque du Christ, donne d’en recevoir les fruits et annonce les biens du royaume à venir, la résurrection, la paix d’un monde réconcilié et la vie éternelle ; il le fait selon l’aspect particulier du mystère pascal qui est manifesté par le signe sacramentel lui-même. Regardons ce qu’il en est pour quelques sacrements.
Le baptême
Dans la Pâque de son Fils, « Dieu nous a arrachés au pouvoir des ténèbres, il nous a fait entrer dans le royaume de son Fils bien-aimé ». S’appuyant sur ce verset de la lettre aux Colossiens (1, 13), le concile de Trente dit que la justification par la foi et la nouvelle naissance par le baptême sont un transfert, un passage d’une condition à une autre, de celle de pécheurs soumis à la domination du péché à celle d’hommes libres pour aimer Dieu et nos frères. Les baptistères anciens signifiaient clairement cela : le baptisé descendait dans la piscine le dos tourné à l’occident, lieu des ténèbres, pour remonter face à l’orient d’où surgit la lumière. Le baptême est une traversée avec le Christ. Il associe à la vie nouvelle du Christ ressuscité, et par le don de l’Esprit à sa vie filiale ; il donne au baptisé la confiance et l’audace de prier Dieu en lui disant : Père ! Il s’agit bien de renaître.
L’eucharistie
Sur la Croix, le Christ a livré sa vie en offrande agréable à Dieu et pour la vie de ses frères. Cette offrande est celle de l’amour à la fois parfaitement divin et parfaitement humain du Christ ; là, il a accompli le commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et ton prochain comme toi-même ». Aux Corinthiens (1 Co 11, 17-34) Paul rappellera la cohérence qu’ils doivent mettre entre l’eucharistie qu’il célèbre et leur manière de vivre entre eux ; cette cohérence est celle de la charité. A l’heure de passer de ce monde à son Père, le Christ a laissé à ses disciples un commandement nouveau : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés », toute la nouveauté étant dans le comme je vous ai aimés. L’eucharistie est le sacrement qui nous donne de communier à cette charité pascale du Christ, pour qu’elle devienne la forme la plus intime de nos vies chrétiennes façonnant de l’intérieur nos actions, nos pensées et nos œuvres et rayonne en elles. Tel est le fruit pascal de l’eucharistie.
Les autres sacrements
On pourrait voir encore comment le sacrement du mariage reconfigure l’amour humain des époux à l’image de l’alliance d’amour du Christ et de l’Église, alliance scellée sur la croix ; comment le sacrement de la réconciliation nous communique le pardon et la réconciliation avec Dieu accomplis dans la Pâque de Jésus, pour faire de nous des hommes et des femmes réconciliés, agents de paix et de fraternité ; comment l’onction des malades, quand la maladie menace gravement la vie elle-même, porte l’espérance du salut et de la délivrance apparue au matin de Pâques.
Le chemin de conversion
L’autre nom de ce passage pascal est celui de conversion. Le mot évoque le retournement baptismal évoqué plus haut. Il évoque l’appel et le don de Dieu qui tourne son visage vers les hommes et vient les chercher et les sauver ; il évoque le travail de la grâce auquel le croyant consent et s’engage pour que vive et grandisse en lui le don de Dieu.
Ce chemin de conversion est à vivre et à proposer tout au long de la préparation et de la célébration des sacrements. Cette mise en route est à vivre dès l’accueil. Les personnes qui demandent les sacrements ne désirent pas d’abord être enregistrées, mais accueillies, c’est-à-dire reçues avec ce qu’elles sont, leurs désirs, leurs poids de vie, leurs joies comme leurs souffrances. L’Église leur offre un lieu où leur parole sera prise au sérieux, qui leur permettra de se situer en vérité devant Dieu et face à leur propre vie. Quand Jésus rencontre les personnes, il leur donne de se découvrir elles même en vérité, dans leur vocation et leur dignité d’enfants de Dieu. Pour ceux qui accueillent, il s’agit de retrouver quelque chose de l’art de Jésus dans ses rencontres avec les gens.
A l’écoute de la Parole
La rencontre, l’écoute de la parole de Dieu dans la foi de l’Église sera un autre déplacement.
On sait combien il est difficile de proposer ce contact direct avec l’Écriture ; pour les accompagnateurs, il y a toujours un acte de foi à poser : oui, ces vieux textes peuvent parler aujourd’hui, parce qu’ils portent la tendresse, la miséricorde, la sagesse de Dieu pour l’humanité. Lire l’Écriture en écoutant celui qui nous parle en elle, c’est vivre un chemin de conversion : sortir de soi, ou de l’entre nous, pour accueillir Dieu qui vient à nous dans sa parole, qui nous éclaire, nous déplace, nous appelle. Car c’est aussi la promesse de vie et de vie éternelle qui nous met en chemin de conversion pascale.
Préparer et célébrer les sacrements c’est aussi laisser la promesse de Dieu éveiller nos vies dans leurs sources profondes.