La liturgie, une diaconie divine ?
Par P. Bernard Maitte, Prêtre, directeur des études et professeur du séminaire d’Aix, et de l’ISTR de Marseille. Membre du SNPLS
Il plane sur la liturgie, d’autant plus si l’usage de la notion de sacré est mal comprise, une ambiguïté. Elle porte sur la compréhension de ce qui se réalise dans la célébration chrétienne. Cette action est-elle un culte que le fidèle rend à Dieu ou bien est-elle une diaconie divine ?
L’homme au service de Dieu
A l’origine, toutes les religions ont un culte plus ou moins développé. Celui-ci est l’expression du rapport que la religion établit entre la divinité et l’homme. Le culte n’épuise pas tous les modes de relation au dieu mais il rend visible par des attitudes intérieures et des gestes extérieurs le lien, la dépendance qui unit l’homme à la divinité (le transcendant). Dans cette relation, l’homme est situé comme inférieur parce qu’il est assujetti à cette action sacrale.
On retrouve des éléments communs aux différents cultes, par exemple : la prière, le sacrifice, les fêtes, les temples, etc. Selon l’origine du mot cultus, il s’agit d’honorer la divinité. Et face aux désordres de la vie, le culte est alors ce qui réintègre dans l’ordre (d’où la pureté rituelle) et apporte la fécondité pour être aidé et protégé en cette vie (champs, cités, hommes…).
Mais il faut bien le dire, ce culte est aliénant car prévaut le désir de se protéger par le rite, des forces hostiles et de se les concilier. La précarité joue alors le rôle d’une fides. Le culte chrétien n’a pas toujours échappé à cette conception de la relation à Dieu, conduisant à une compréhension erronée de la vénération et de la glorification de Dieu dans la liturgie.
Dieu au service de l’homme
La notion de glorification pour Dieu n’est pas étrangère à la liturgie chrétienne. En revanche, la glorification n’est pas d’abord un culte à rendre au Seigneur mais elle est de l’ordre de la sanctification. C’est lorsque l’homme est sanctifié que Dieu est glorifié. Dieu sanctifie l’homme par l’action liturgique et plus particulièrement par les sacrements. Il se met au service du fidèle pour le faire participer à sa vie trinitaire. Nous le voyons, le rapport à Dieu dans le christianisme est renversé. Ce n’est plus l’homme qui d’abord sert Dieu, c’est Dieu qui sert l’homme. Dans l’Incarnation, Dieu vient à l’homme, fait alliance avec lui et le rencontre profondément par les gestes-signes qu’Il lui donne : « faites cela en mémoire de moi » (Luc 22,19). Dans le visage du Christ transparaît celui du Serviteur :
« Vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien, car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres » (Jean 13,13-14).
Dès lors cette diaconie se déploie dans la liturgie où le Christ « quand il s’offre pour notre salut, (il) est à lui seul l’autel, le prêtre et la victime » (Préface du Temps pascal V). Ce qui se réalise est « l’œuvre de la rédemption des hommes et de la parfaite glorification de Dieu… Le Christ Seigneur l’a accomplie principalement par le mystère pascal de sa bienheureuse passion, de sa résurrection du séjour des morts et de sa glorieuse ascension ; mystère pascal par lequel ‘en mourant il a détruit notre mort, et en ressuscitant il a restauré la vie’. Car c’est du côté du Christ endormi sur la croix qu’est né ‘l’admirable sacrement de l’Église toute entière’ » (S.C.5).
La diaconie de la liturgie
Ainsi aux yeux de Dieu, l’homme est cet être crée par lui et donc sacré. Dieu vient servir cet homme en le sanctifiant. Dieu dans la liturgie et par les sacrements exerce ainsi au fil des jours, une véritable diaconie. Ceci est fortement exprimé par le Concile Vatican II :
« C’est donc à juste titre que la liturgie est considérée comme l’exercice de la fonction sacerdotale de Jésus-Christ, exercice dans lequel la sanctification de l’homme est signifiée par des signes sensibles et est réalisée d’une manière propre à chacun d’eux, dans lequel le culte public intégral est exercé par le Corps mystique de Jésus-Christ, c’est-à-dire par le Chef et par ses membres (S.C. 7).
Le Christ est à la fois Maître et Seigneur Pontifex et Serviteur Diaconos. A son tour, l’homme peut être prêt à entrer dans le même mouvement et rendre grâce ainsi à Dieu en s’offrant lui-même. L’alliance nouvelle est véritablement une diaconie divine où « Dieu se donne à l’homme et l’homme répond à Dieu. La réponse de l’homme au Dieu qui lui veut du bien est l’amour ; et aimer Dieu, c’est l’adorer »[1]. La liturgie est l’aujourd’hui de cette divine diaconie.
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[1] Joseph Ratzinger, L’Esprit de la liturgie, Genève, Ad Solem, 2001, p.23.