Mystagogie et service de l’autel (3) : la catéchèse mystagogique en pratique

27 novembre 2016 : Célébration de la messe dominicale, 1er dimanche de l'Avent. Prêtre entouré des servants de messe. Paroisse Saint-Ambroise, Paris (75), France.

27 novembre 2016 : Célébration de la messe dominicale, 1er dimanche de l’Avent. Prêtre entouré des servants de messe. Paroisse Saint-Ambroise, Paris (75), France.

Par le père Laurent Tournier, prêtre eudiste, ancien directeur adjoint du service national de la catéchèse et du catéchuménat

Le père Laurent Tournier est intervenu sur ce thème lors de journée nationale organisée par le SNPLS pour les référents diocésains Servants d’autel le mardi 6 juin 2017.

1. Qu’est-ce qu’une catéchèse mystagogique et qu’apporte-t-elle ?

2. Comment prépare-t-on une catéchèse mystagogique ?

 

3. La catéchèse mystagogique en pratique

En dernier temps de ce moment de réflexion, je voudrais devenir encore plus concret en me risquant à une mini-catéchèse mystagogique devant vous.

J’ai choisi de revenir sur un rite de la célébration de l’Eucharistie : le geste de paix.

Tu te souviens de ce moment de la célébration de l’Eucharistie où un gentil brouhaha s’installe avant la Communion. Dommage qu’il y ait ce bruit où tel ou tel cherche à être créatif au lieu de dire juste ce bien qui est à transmettre, où couples et familles reprennent les gestes de l’affection du quotidien au lieu de poser un geste unique dans leur semaine, et où toi, parfois, servant, tu as visé l’efficacité d’une passation mécanique pour arriver le premier au fond de l’église alors que tu avais l’occasion d’accomplir un acte cultuel plein de sens.

Ce geste de la paix est à vivre personnellement et communautairement. C’est un des lieux de l’Eucharistie où c’est possible tout comme nous répondons Amen ou professons ensemble et chacun le Credo.

Ce geste de paix est un accueil, les mains tendues, les deux mains ouvertes pour recevoir. Ce geste de paix est une transmission à deux mains car toute notre personne est impliquée. Tantôt nous l’accueillons, tantôt nous la partageons. Qu’as-tu ressenti ? Qu’as-tu reçu ? À quoi cela t’a fait penser dans ta vie de tous les jours et dans ta prière ? Et à quelles paroles de Jésus cela te renvoie-t-il ?

Tu accueilles et tu partages quoi ? C’est facile, c’est ce que nous disons : « La paix du Christ ». Mais est-ce que c’est ce que nous vivons ? Cette paix, oui, elle vient du Christ, celui qui est présent de l’autel. C’est de là que le prêtre la puise : « Que la paix du Christ soit toujours avec vous ». C’est à toi qu’il l’a remise servant, comme confiée. Porteur de la paix du Christ tu es allé la transmettre en divers lieux de l’Assemblée.

Tu es envoyé en mission. Porteur de la paix, tu la partages. Tu l’as reçue de bon cœur à pleines mains. Tu l’offres de même sans souci de manquer. Souviens-toi de cet envoi en mission juste en porteur de paix : Lc 10, 4-6 :

« Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales, et ne saluez personne en chemin.

Mais dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord :

« Paix à cette maison. »

S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ;

sinon, elle reviendra sur vous ».

Offre généreusement ce que tu as reçu. Tu n’en manqueras pas. Rien ne sera perdu. Mais par ton attitude, en ayant préparé avant la messe la répartition des lieux pour savoir où tu es envoyé, montre bien que tu transmets ce qui ne vient pas de toi.

Oui, en redisant les mêmes paroles à chaque fois, « la paix du Christ », tu donnes ce que tu as reçu, tu affirmes à chaque personne ce que tu lui offres : « la paix du Christ ». C’est la même démarche que pour le ministre de la communion eucharistique qui devant chaque personne refait le même acte de foi : « le Corps du Christ ».

C’est donc bien la paix du Christ dont tu es porteur, passeur. Elle ne vient pas de toi. Tu as « reçu gratuitement pour donner gratuitement » (Mt 10,8). Cela participe à la mission confiée par le Christ dont le contenu est décrit à nouveau quelques versets plus loin dans le chapitre 10 de l’évangile de Luc que nous avons commencé de lire : « dites-leur : “Le règne de Dieu s’est approché de vous.” » Voilà ce qui se passe, ce que tu vis et ce que chacun est invité à vivre. Le geste du partage de la paix du Christ est la manifestation du Royaume de Dieu qui s’approche. Est-ce bien de cela dont nous sommes porteurs quand nous transmettons la paix ?

Peut-être pour l’approfondir, il faut que nous redécouvrions ce qu’est cette paix, la paix du Christ. Dans l’évangile de saint Jean il y a seulement cinq mentions de la paix. À chaque fois, ce mot est dans la bouche de Jésus. Peut-être qu’il peut nous dire à chacun ce qu’il signifie, de quoi nous sommes porteurs, ce qu’est la paix du Christ :

Jn 14,27 : Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé.

Tiens tu vois, la première mention c’est justement la phrase que le prêtre vient de citer dans la prière justement avant de commencer la transmission de la paix du Christ. Le Seigneur te dit qu’elle n’est pas du monde. Ce n’est pas la paix des guerres, la paix des disputes. C’est la paix du Christ. C’est pourquoi nous ne la transmettons pas sans attention, sans précaution. C’est un don de Dieu.

Jn 16,33 : Je vous ai parlé ainsi, afin qu’en moi vous ayez la paix. Dans le monde, vous avez à souffrir, mais courage ! Moi, je suis vainqueur du monde. »

Tu entends bien. Cette paix n’est pas seulement du Christ, elle est en lui ! Recevoir la paix du Christ, c’est le recevoir lui, c’est entrer en lui, être en sa présence. J’espère que tu prends la mesure de ce que tu apportes maintenant. Tu offres le Christ qui s’approche. Tu invites à un geste de communion au Christ. Et cela donne une force, celle de sa vie de ressuscité par laquelle il a manifesté la victoire sur la mort et le péché, la victoire sur le monde. Et cette vie il faut la vivre maintenant, il faut y communier.

Jn 20,19 : Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! »

Alors oui, porteurs de la paix du Christ, c’est normal que tu penses aussi à ce jour de la résurrection. C’est bien la parole du ressuscité, son cri d’annonce d’une vie nouvelle. C’est à la fois l’annonce de la résurrection et le partage de la force paisible du Christ vivant qui s’opère quand tu apportes la paix du Christ, que tu annonces : « la paix du Christ ». Tu partages un geste du Christ vivant.

Jn 20,21 : Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. »

Tu vois, c’est comme dans notre assemblée. La parole se répète. La même parole : « la paix soit avec vous ». C’est la salutation de l’évêque au début de la célébration, signe de la présence du Christ ressuscité. C’est le partage et l’accueil de cette présence entre chaque membre de l’assemblée. Et toi et nous tous, nous sommes envoyés, nous sommes tournés vers notre vie pour devenir des porteurs de la paix du Christ, des témoins de la présence du Christ ressuscité.

Jn 20,26 : Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! »

Oui tu entends bien et cela ne doit pas te surprendre. Jésus est là au milieu d’eux. C’est lui qui parle. C’est lui qui donne sa paix. Et c’est bien cela que tu peux vivre tout au long de la semaine. À ce moment-là de l’Eucharistie tu es porteur de la paix du Christ au cœur de l’assemblée, au milieu de l’assemblée. Mais dans peu de temps, avec toute l’assemblée tu seras envoyé : « allez dans la paix du Christ ». Toute ta journée et toute ta vie il demeurera au milieu de toi, avec toi, te donnant de communier dans la paix à sa vie nouvelle.

Tu comprends mieux ? Voilà la paix du Christ comme don, comme bien à transmettre et comme grâce à vivre.

Alors bien sûr il ne faut pas oublier le moment de la célébration où se geste se déploie. C’est dans le temps de la Communion. La Communion est un temps de la liturgie, pas seulement au moment de la réception du Corps du Christ. Il y a communion lors  de la prière de l’assemblée, l’oraison dominicale où nous faisons corps avec les mots du Christ, sa prière, le « Notre Père ». Il y a la communion à la passion dans la fraction du pain, où le corps du Christ est brisé pour nous, livré pour nous. Il y a la communion au Corps du Christ, bien sûr, où chacun le reçoit en lui-même pour ne faire qu’un avec lui. Mais il y a aussi communion lors du geste de paix [Cf. Paul de Clerck, La Maison Dieu, 2001/2, n°226, pages 151-160]. Ce n’est pas un geste de réconciliation, ce n’est pas un geste d’affection mais bien un geste de communion au don de Dieu qui est la paix, communion à Dieu. Et dans une démarche commune d’accueil du même don, c’est un geste de communion des membres du Corps mystique entre eux. C’est l’accueil de Dieu présent dans la paix qui est Dieu (un élément du fruit de l’Esprit Ga 5,22). Et c’est l’accueil de Dieu présent dans le frère. Ce frère, cette sœur que tu rencontreras aussi tout au long de la semaine. Avec lui aussi tu auras à demeurer dans la paix du ressuscité présent à tes rencontres, qui vient à ta rencontre dans ce frère et cette sœur.

Tu vois, au final quand nous nous laissons entrer dans ce geste du partage de la paix du Christ, nous retrouvons l’unité des deux commandements : Mt 22,37-39 :

« Jésus lui répondit :

« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme

et de tout ton esprit.

Voilà le grand, le premier commandement.

Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». »

Au final tu te souviens que la paix ne se décrète pas, elle ne se prend pas, elle se reçoit. C’est Dieu qui la donne. C’est Dieu qui se donne. Elle vient du ministre, elle vient du servant, elle vient du frère ou de la sœur. Dans ton service, c’est un moment important car tu n’es pas au service de l’assemblée globalement. Là par ta façon de transmettre la paix, tu es au service d’un frère ou d’une sœur pour qu’elle puisse recevoir la paix du Christ. C’est cela que tu vis et que tu donnes à vivre. Tu l’as reçue dans le chœur pour la porter dans l’assemblée et qu’elle demeure dans ta vie et la vie de chacun. Et par la qualité de ta transmission tu permettras que ce moment de communion demeure au-delà de la célébration, au-delà de l’envoi : « allez dans la paix du Christ ». C’est comme si ton attitude manifestait que tu es conscient que chacun pourra vivre habité de la paix du Christ. Tu deviens un écho du psaume 33-34 au verset 15 : « Évite le mal, fais ce qui est bien, poursuis la paix, recherche-la ».

Voilà ce qu’est ton geste de paix : un don signe de la présence de Dieu, une communion au Christ ressuscité, un envoi pour une vie transformée, pour une vie utilisée pour partager ce don. À partir de ce moment de la célébration, si tu crois cela, tu entends le Christ te dire comme à la femme venue au banquet de l’alliance chez Simon : Lc 7,50 : « Jésus dit alors à la femme : « Ta foi t’a sauvée. Va en paix ! » ».

Conclusion

C’est difficile de changer de genre littéraire. Mais reprenons notre réflexion sur « la catéchèse mystagogique en lien avec le service de l’autel ».

Nous avons essayé de comprendre de manière théorique et à partir d’un exemple comment la liturgie sert le chemin de la foi et comment la catéchèse mystagogique peut entretenir une foi en mouvement. Cette catéchèse met plus en évidence l’itinéraire que fait vivre la liturgie. C’est aussi le service de cet itinéraire que les servants doivent apporter.

Ainsi il est possible de percevoir comment la liturgie fait vivre les dynamismes de l’expérience chrétienne par le chemin d’un itinéraire rituellement organisé. La catéchèse mystagogique met en récit ces dynamismes, les fait voir, les mets en lumière pour que les personnes puissent les explorer, les questionner, s’y confronter et, chemin faisant, vivre des transformations [Cf. Patrick Prétot, Des temps de catéchèse communautaires pour l’année liturgique, direction de J-C Reichert, Ed. Bayard, 2006, p.40-41]. Les servants deviennent au service de la conversion de leurs frères et sœurs.

En ouverture et pour nous stimuler, avec les mots du RICA, il est bon de redire que la catéchèse mystagogique sert aussi la vie communautaire : RICA n° 238 : « L’expérience nouvelle et fréquente des sacrements par les néophytes, en même temps qu’elle éclaire leur intelligence des Écritures, développe leur connaissance de l’homme et rejaillit sur l’expérience de la communauté, de sorte que leurs échanges avec les autres fidèles deviennent plus faciles et plus riches ».

La mise en place de catéchèse mystagogique provoque nos communautés chrétiennes à un saut qualitatif qui consiste à passer d’une pastorale préparant aux sacrements à une pastorale d’insertion progressive dans le mystère du Christ. Et ce sera tant mieux si les servants de l’Eucharistie en sont les premiers bénéficiaires. Car alors par leur service ils aideront aussi les membres des assemblées liturgiques à entrer plus avant dans le mystère du Christ.

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