Liturgie des funérailles : les rites de l’accueil
Introduction : Des rites en l’honneur du corps
La liturgie est une action rituelle et symbolique qui met en scène constamment du faire et du dire, de l’action et de la parole. Or le langage rituel n’est pas de l’ordre du discours abstrait mais de l’agir où le corps est partie prenante. La liturgie est dans son essence « corporelle », non seulement par les gestes qu’on fait mais aussi dans les paroles qui sont dites, car les rites passent par le corps : parler en liturgie comme dans tout acte de communication met en jeu le corps dans la relation aux autres et à Dieu.
Nous venons de l’éprouver pendant l’heure où nous sommes allés dans l’Eglise pour nous essayer à conduire la liturgie des funérailles. Or nous étions dans une forme de répétition théâtrale qui n’est pas encore l’action liturgique. Quand vous conduirez vraiment votre première liturgie des funérailles, vous ressentirez physiquement la présence corporelle du défunt, le poids de l’assemblée qui est là et qui fait corps, et même la présence invisible du Seigneur à qui vous parlerez, tournant votre être et votre corps vers lui.
Aujourd’hui et dans les deux prochaines rencontres nous prendrons du temps pour relire spirituellement les rites de la liturgie des funérailles. Qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce qui est en jeu quand nous célébrons les funérailles d’un enfant de Dieu baptisé et membre du corps du Christ ? Et d’abord pourquoi accorder tant d’honneur au corps dans la liturgie des funérailles ?
Dans Gaudium et Spes, le concile Vatican II exprime ainsi l’unité du corps et de l’âme et le respect à porter au corps, même mort :
14. Constitution de l’homme
1. Corps et âme, mais vraiment un, l’homme est, dans sa condition corporelle même, un résumé de l’univers des choses qui trouvent ainsi, en lui, leur sommet, et peuvent librement louer leur Créateur. Il est donc interdit à l’homme de dédaigner la vie corporelle. Mais, au contraire, il doit estimer et respecter son corps qui a été créé par Dieu et qui doit ressusciter au dernier jour. Toutefois, blessé par le péché, il ressent en lui les révoltes du corps. C’est donc la dignité même de l’homme qui exige de lui qu’il glorifie Dieu dans son corps, sans le laisser asservir aux mauvais penchants de son cœur.1
La dignité de ce corps, promis à être transfiguré pour la résurrection de chaque être, exige le respect et l’honneur dans les rites funéraires mis en œuvre lors de la célébration :
Le corps privé de vie a lui aussi sa dignité […] Il est corps de la mère ou du père auquel les enfants doivent la vie ; corps de l’ami, dont la proximité était la communication de relation et d’amour : il est le corps qui garde les marques du travail corporel, ou par lequel s’est effectué le travail intellectuel ; le corps qui dans sa vie a porté les stigmates de la maladie et des souffrances, du handicap, de l’âge et de la déchéance, plaies qui dans la transfiguration de la chair ressuscitée reçoivent valeur éternelle.2
Cette reconnaissance de la valeur du corps s’exprime dans les rites. Or les rites des funérailles relient cette célébration aux rites du baptême qui s’achève ce jour où parait devant Dieu celui qui été reconnu comme enfant de Dieu au jour de la nouvelle naissance.
La liturgie d’accueil va prendre en compte la vie du défunt, ses relations, ses activités. La présence du corps pour la liturgie d’accueil fait que nous ne célébrons pas dans le vide, « en présence » d’un absent. Mais d’emblée les rites d’accueil vont dire l’autre présence, celle du Christ, solidaire de tous ceux qui ont achevé leur chemin et compatissant pour les proches dans la peine. La liturgie de la Parole va ensuite développer le lien solidaire entre ce défunt présent par son corps et le Christ mort et ressuscité qui le sauve. Enfin, nous disons adieu au corps, pour mieux dire « A Dieu » à la personne aimée. Commençons aujourd’hui par les rites de l’accueil.
1. Sur le seuil de sa maison
Le corps du défunt attend près de la porte de l’Eglise. La famille aussi est là, près de lui, attendant dans le froid ou la chaleur que commence l’ultime passage. L’officiant salue
d’abord les proches puis se tourne vers le corps du défunt pour une parole qui, en ces termes ou en d’autres, rappelle le jour du baptême :
Dieu des vivants, notre Père, rappelle-toi que N.
est entré/e dans l’église au jour de son baptême
pour avoir part avec le Christ à la vie éternelle.
Regarde aussi la peine de ses proches
qui le/la confient à ta miséricorde :
Ouvre-lui les portes de ton ciel
et viens en aide à chacun de nous.
C’est sur ce même seuil qu’un jour, petit enfant, adolescent ou adulte, celui qui vient de mourir s’est présenté pour demander le baptême. Le seuil ou la porte, c’est le lieu du passage
symbolique qui conduit de l’ombre à la lumière, de la mort à la vie : C’est sur ce seuil que le catéchumène exprime son désir de recevoir le baptême et d’entrer par la porte. Or la porte, c’est le Christ :
« Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver un pâturage. » (Jn 10, 9)
Et voilà que ce corps remonte la nef et se trouve placé tout près du Christ, de l’autel, de la table, lieu du pâturage où le Christ nourrit son peuple. Mais lorsque le défunt a consacré sa vie pour nourrir le peuple au nom du Christ, son corps est tourné vers le peuple qu’il a conduit dans les verts pâturages du Christ.
2. « Appelé par mon nom »
Tout au long de la célébration, nous nous adressons au défunt par le nom qu’il a reçu à son baptême. Dès l’entrée de l’église, celui qui baptise s’adresse aux parents : « Quel nom avez-vous choisi … ? » Ils ont répondu : « Louise » Le jour des funérailles, à la même porte de l’église et tout au long de la célébration, celui qui conduit la prière s’adresse à Dieu en en
nommant le défunt par son nom de baptême… »
Le nom, ce n’est pas seulement une appellation pratique. Le nom constitue l’être même. Remarquant que les récits de vocation dans la Bible commencent tous par l’appel du nom (cf. Abraham, Moïse, Samuel, Elie, etc.), Christophe Théobald commente :
Ce sont les parents qui donnent à l’enfant un nom, l’inscrivant ainsi dans une lignée et reconnaissant en même temps son unicité, chaque fois en jeu quand on l’appelle par ce nom. Notre nom nous donne à la fois une existence sociale et montre que le mystère de chacun ne s’y laisse jamais réduire. […] Le nom est l’élément de langue qui se trouve le plus près du mystère absolument singulier de nos vies.3
Au fil de la prière, le défunt continue d’exister par ce nom qu’il a reçu à la naissance et confirmé au baptême. Le corps mort est encore le vivant par ce nom qu’il ne faut pas hésiter
à prononcer même si nous ne connaissions pas le défunt. Il ne s’agit pas ici d’un abus de familiarité, mais la reconnaissance d’une présence encore là dans ce cadavre.
3. La monition d’accueil
Le défunt a un nom et le gardera au-delà de la mort. Il a accompli son chemin sur la terre en tissant des relations fortes. Ce qu’il a vécu est offert au Seigneur en offrande comme le fera vivre l’Eucharistie ou la prière de louange tout à l’heure avant le dernier adieu. Encore faut-il prendre le temps de faire mémoire de cette vie, d’évoquer ce chemin qui laisse sa trace dans le cœur des proches et des amis. Le rite exprime la foi. Or la foi chrétienne est tissée dans la vie des êtres humains et cette vie a une valeur inestimable : non seulement parce qu’elle est don de Dieu créateur, mais plus encore parce que le Christ a pris chair et qu’il est venu habiter chez nous. Prendre le temps d’évoquer la vie du défunt, au risque parfois du panégyrique, humanise le rite. Il lui donne chair. Nous n’accompagnons pas dans ce passage un inconnu mais une personne. La monition d’accueil manifeste la compassion, appelle l’intercession et conduit vers la louange.
4. Lumière
Le premier rite – le seul obligatoire – est le rite de la lumière : Il établit une solidarité entre le Christ mort et ressuscité et le devenir de ce mort appelé à vivre, à recevoir la vie
de celui qui est « le premier-né » d’entre les morts. En transmettant la lumière près du corps à partir du cierge pascal, on rend visible que la vie est source de vie, la lumière source de l’illumination comme au jour du baptême. Que des proches, incapables peut-être le jour des funérailles de prononcer un mot, puissent s’approcher, recevoir et transmettre cette lumière en silence, n’est-il pas le signe que, malgré les doutes ou les hésitations, la foi peut briller même faiblement dans leur propre vie. Tel est le sens des paroles que prononce l’officiant :
Dans la nuit de Pâques,
la lumière du Christ, vainqueur du tombeau,
a percé les ténèbres.
(Notre frère/sœur) N.
est entré/e dans l’ombre de la mort :
que se lève maintenant sur lui/elle
la clarté du Sauveur !
5. Croix
Le rite de la croix est facultatif. Souvent les familles voient dans la croix le signal de la mort et ne discernent plus que ce signe est imprégné d’espérance. Jésus est mort comme nous. Se
faisant solidaire de l’humanité souffrante, il la libère de la double peine du péché et de la mort. Même quand les familles hésitent ou refusent ce geste, une croix peut être posée sur l’autel ou la croix de procession peut demeurer dans l’espace, près de l’autel et du cierge pascal dont elle est inséparable. La croix est vraiment signe de reconnaissance du christianisme, même au risque de choquer et de prendre à revers le déni de la mort. C’est le sens des paroles que peut prononcer l’officiant :
Le Seigneur Jésus nous a aimés
jusqu’à donner sa vie pour nous.
Cette croix nous le rappelle.
Elle se dresse près de ce cercueil
comme le signe de la victoire du Christ sur la mort,
le signe de son amour pour N. et pour chacun de nous.
6. Liturgie pénitentielle
L’assemblée présente dans l’église est d’abord venue pour entourer les proches de leur affection et par amitié pour le défunt. Tous désirent rendre hommage à la personne disparue dont on nous avons dit beaucoup de bien dans la monition d’accueil au risque du panégyrique. Mais nous savons d’expérience combien toute vie est faite d’ombre et de lumière. Le Christ est mort pour nous libérer du mal. Le défunt est aussi un pécheur à qui le pardon est accordé. C’est la pâque du Christ qui sauve. La liturgie pénitentielle tourne alors
notre regard vers la croix et la demande de pardon est autant pour le défunt mais aussi pour l’assemblée qui partage avec lui la condition de péché et l’espérance du salut.
7. Oraison
Enfin, le temps de l’accueil s’achève avec l’oraison. Le regard et le cœur s’adressent maintenant à Dieu pour rassembler la prière dans ces quelques mots tissés de Parole et d’espérance qui font transition avec la liturgie de la Parole. Parlant maintenant franchement au Seigneur, nous allons nous trouver prêts à l’entendre nous parler.
Dieu de toute grâce,
tu as envoyé dans le monde ton Fils bien-aimé
pour briser le silence de la mort ;
Ouvre nos cœurs à ta Parole :
et nous en recevrons réconfort dans la tristesse,
confiance malgré le désarroi,
lumière et force pour tenir dans l’épreuve.
Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur et notre Dieu,
qui règne avec toi et le Saint-Esprit,
maintenant et pour les siècles des siècles.
Conclusion : Le temps de l’accueil, passage vers le Christ
Du seuil à l’autel, de la porte à la croix, de la tristesse à l’écoute, les rites de l’accueil constituent ensemble un « programme rituel » qui fait passer le corps du défunt et, avec lui,
tous les participants à cette liturgie vers le Christ. Le temps de l’accueil prend en charge ce corps mort et l’honore pour ce qu’il est : la présence d’une vie, d’une personne. Mais ce temps opère aussi un décentrement progressif qui nous détourne du poids de la souffrance, de la présence lourde de ce corps pour nous tourner vers le Christ dont la présence est symbolisée par la croix, le cierge pascal. Peu à peu nous sommes conviés à nous tourner vers l’ailleurs de Dieu où va s’affirmer la foi que ce corps mort a trouvé sa vraie vie en Christ.
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1. Concile Vatican II, Constitution Gaudium et Spes, n. 14 § 1.
2. Conférence des évêques allemands (Réflexion de la), « Les pratiques funéraires et l’accompagnement des personnes en deuil », Documentation catholique n. 2123, 15 novembre 1995, p. 96.
3. Christophe THEOBALD, Vous avez dit vocation ?, Bayard, Paris, 2010, p. 30-31.