La prière liturgique, pierre angulaire de la vie de l’Église

La prière liturgique permet aux fidèles de participer à la prière collective de l’Église. Cette prière communautaire les unit en un seul corps alors que les prières personnelles se concentrent souvent sur les besoins individuels. Cette expérience d’unité est une pierre angulaire de la vie chrétienne comme un message adressé au nom du pape François l’a rappelé le 26 août 2024 aux participants de la 74e Semaine liturgique nationale en Italie.

La 74e Semaine liturgique nationale italienne s’est déroulée du 26 au 29 août dans la ville de Modène au nord de l’Italie. Thème du rassemblement : « La vraie prière de l’Église dans la liturgie. Peuple de Dieu et ars celebrandi » en référence à un verset de l’épître aux Hébreux : « Le fruit de lèvres qui confessent son nom » (He 13,15). 

Ce verset, on peut le rappeler, est présent au début du numéro 12 de Lumen gentium, la constitution dogmatique sur l’Église du Concile Vatican II. Après le n° 11 traitant de « L’exercice du sacerdoce commun dans les sacrements », le numéro 12 porte sur « Le sens de la foi et les charismes dans le peuple chrétien » et on lit : « Le Peuple saint de Dieu participe aussi de la fonction prophétique du Christ ; il répand son vivant témoignage avant tout par une vie de foi et de charité, il offre à Dieu un sacrifice de louange, le fruit de lèvres qui célèbrent son Nom (cf. He 13, 15) ». 

Ce rapprochement avec Lumen gentium que suggère l’usage de la même citation aide à interpréter le message adressé aux participants de la 74e Semaine liturgique au nom du pape François par le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Vatican. Dans le sillage de l’enseignement du dernier Concile, ce message entend souligner l’importance de la prière liturgique communautaire, par laquelle l’ensemble du peuple « offre à Dieu un sacrifice de louange ». Pour que cette prière contribue vraiment à la croissance de l’Église, il convient de veiller à un art de célébrer qui ne se limite pas à une observance formelle des rituels, mais vise à entraîner la communauté dans une communion plus profonde avec le Christ. Il s’agit de susciter « un engagement et une attitude que tous les baptisés sont tenus de vivre pour dépasser leur individualité et s’ouvrir au “nous” de l’Église dans la prière ».

[…] La Semaine liturgique que vous vous apprêtez à vivre a pour thème : « Dans la liturgie, la vraie prière de l’Église ». Peuple de Dieu et ars celebrandi. « Le fruit des lèvres qui confessent son nom » (He 13,15). Ce thème nous rappelle la spécificité de la prière liturgique, qui fuit toute forme d’individualisme et de division. Elle est, en effet, « participation à la prière même du Christ adressée au Père dans l’Esprit Saint » (Catéchisme de l’Église catholique, n° 1073) ; c’est la participation au souffle d’amour de l’Église-Épouse, qui fait se sentir membre de la communauté des disciples de tous les lieux et de tous les temps ; c’est une école de communion qui libère le cœur de l’indifférence, réduit la distance entre les frères et les sœurs et se conforme aux sentiments de Jésus ; c’est le chemin véritable qui nous transforme, en nous éduquant dans l’Église à la vie bonne de l’Évangile

Chers amis, la liturgie – comme l’a affirmé Romano Guardini – « introduit toute l’ampleur de la vérité dans la prière ; en effet, elle n’est autre que le dogme prié, la vérité revécue dans la prière » (L’Esprit de la liturgie). Les paroles du grand théologien réitèrent l’évidence de la dimension objective de la liturgie, qui « demande à être célébrée avec ferveur, afin que la grâce répandue dans le rite ne soit pas dispersée, mais rejoigne chacun dans son expérience personnelle » (Pape François, Catéchèse « Prier dans la liturgie », 3 février 2021). Cette nécessité incontournable ressort également de votre programme d’études, qui met l’accent sur l’ars celebrandi, un engagement et une attitude que tous les baptisés sont tenus de vivre pour dépasser leur individualité et s’ouvrir au « nous » de l’Église dans la prière. 

Dans la Lettre apostolique sur la formation liturgique, le Pape François rappelle que les gestes typiques de l’assemblée, comme le rassemblement, la posture du corps, le silence, les expressions de la voix, l’implication des sens, sont les moyens par lesquels elle participe à la célébration (cf. Lettre apostolique  Desiderio desideravi , 51). Il ajoute que « Effectuer tous ensemble le même geste, parler tous d’une seule voix, cela transmet à chaque individu l’énergie de toute l’assemblée. Il s’agit d’une uniformité qui non seulement ne brime pas mais, au contraire, éduque le fidèle individuel à découvrir l’unicité authentique de sa personnalité non pas dans des attitudes individualistes mais dans la conscience d’être un seul corps » (ibid).

Pour lire

Pour concrétiser cette perspective générale d’un ars celebrandi contribuant à ouvrir les fidèles au « nous » de l’Église dans la prière, le pape propose ensuite quatre recommandations pour encourager les communautés chrétiennes à « vivre la prière liturgique comme une rencontre avec le Seigneur ressuscité et avec son Corps, l’Église » :

Le premier engagement qui nous est demandé est de redécouvrir la choralité de la prière liturgique, par laquelle, en nous unissant à la langue maternelle de l’Église, nous devenons un seul corps et une seule voix. Saint Augustin nous a rappelé la relation profonde de notre prière avec le Christ : lorsque nous prions, nous parlons à Dieu, c’est Jésus lui-même qui « prie pour nous, prie en nous et est prié par nous. […] Reconnaissons donc en Lui nos paroles, et ses paroles en nous » (Expositions sur les Psaumes 85, 1 : CCL 39, 1176). La beauté de la vérité de la prière chrétienne réside précisément dans cet entrelacement de voix, que nous pourrions appeler à juste titre choralité. Toute prière chrétienne est toujours composée de plusieurs voix, de même que toute action liturgique est accomplie par plusieurs mains : nous sommes unis au Christ et, dans le Christ, nous retrouvons toute l’humanité. Or, la valeur de cette choralité dans la prière liturgique ne doit pas seulement être affirmée, elle doit être vécue dans la célébration. L’un des moments les plus importants où nous pouvons faire cette expérience est la Liturgie des Heures, qui mérite encore un engagement pour devenir effectivement la prière du peuple de Dieu. Puissent nos communautés reprendre en chœur la prière des Psaumes et apprendre à vivre, dans la liturgie et dans la vie, la valeur de l’unité et de la communion

Pour aller plus loin

  • La prière des Heures aujourd’hui

    « Venez, crions de joie pour le Seigneur ! » (Ps 94) En quoi la liturgie des Heures est-elle la prière de l’Église ? Comment aider nos paroisses, diocèses et mouvements à approfondir le sens de cette prière communautaire ? Comment mieux faire découvrir aux fidèles cette prière des Heures comme un des lieux privilégiés de cet « émerveillement devant le mystère pascal », auquel nous invite le pape François (Desiderio desideravi) ? Comment, soixante ans après le Concile Vatican II, continuer à « former à et par » cette liturgie des Heures, afin qu’elle soit comme une école de vie spirituelle et de charité pour tous les baptisés ?

Le deuxième aspect proposé à votre engagement dans la pastorale liturgique est la relation avec les hymnes sacrés. La musique dans la liturgie n’est pas un élément ornemental, mais elle en fait partie intégrante et nécessaire (Sacrosanctum Concilium, 112), contribuant, avec les autres langages qui composent la liturgie, à l’épiphanie du mystère célébré. En effet, dans les hymnes, les fidèles vivent et expriment leur foi. Saint Paul VI, avec une grande sagesse, a écrit à ce sujet : « Si les fidèles chantent, ils ne quittent pas l’Église ; s’ils ne quittent pas l’Église, ils conservent la foi et la vie chrétienne » (Discours à l’Assemblée plénière de l’épiscopat italien, 14 avril 1964). Le pape conseille donc une attention particulière, notamment dans la célébration de l’Eucharistie dominicale, en rappelant que dans le chant, à travers l’harmonie des voix, s’exprime l’union spirituelle de ceux qui communient, se manifeste la joie du cœur et est mise en évidence la nature communautaire de ceux qui s’approchent pour recevoir l’Eucharistie (cf. Présentation générale du Missel romain, 86). 

Le troisième aspect concerne le silence que la liturgie nous enseigne, comme le montrent les rappels constants, dans la synaxe eucharistique, de l’acte de se taire. Le Pape nous demande donc de contrer la frénésie, le bruit et le bavardage qui nous minent dans notre vie quotidienne en valorisant le silence sacré, geste éloquent, temps favorable et espace fécond pour demeurer dans l’amour du Seigneur, cultiver un regard contemplatif, donner de la profondeur à la prière du cœur et se laisser transformer par l’Esprit. Cette familiarité dans l’accueil du silence est la véritable condition pour que l’Église puisse se mettre à l’écoute de Celui qui se révèle dans « le murmure d’une brise légère » (cf. 1 R 19, 12).  

La quatrième et dernière dimension que le Saint-Père vous confie est la promotion de la ministérialité liturgique, comme fruit du fait d’être l’Église de la Pentecôte (cf. Desiderio desiravi, 33). C’est de ce point de vue, et non dans une perspective fonctionnelle, qu’il importe de comprendre le sens ces ministères au service de la liturgie : en effet, c’est en eux que se manifeste la diversité des dons que l’Esprit Saint inspire à la communauté chrétienne. La présence d’une ministérialité diversifiée, nourrie par la communion dans le Christ, favorise la participation active de l’assemblée et promeut la coresponsabilité dans la mission, manifestant concrètement la nature synodale de l’Église. Cette conscience, comme nous l’a rappelé le Pape François (cf. ibid. 38), exige un engagement constant dans la formation, afin d’éviter la personnalisation et les illusions du leadership, et de parvenir à un véritable service de la communion 

(Principaux extraits du message adressé par le cardinal Parolin au nom du pape, en grande partie à partir de la traduction française fournie par Zénith – soulignement en caractères gras par l’équipe de liturgie.catholique.fr)

Concile Vatican II, Lumen gentium 
11. L’exercice du sacerdoce commun dans les sacrements
Le caractère sacré et organique de la communauté sacerdotale entre en action par les sacrements et les vertus. Les fidèles incorporés à l’Église par le baptême ont reçu un caractère qui les délègue pour le culte religieux chrétien […] Participant au sacrifice eucharistique, source et sommet de toute la vie chrétienne, ils offrent à Dieu la victime divine et s’offrent eux-mêmes avec elle ; ainsi, tant par l’oblation que par la sainte communion, tous, non pas indifféremment mais chacun à sa manière, prennent leur part originale dans l’action liturgique. Il s’ensuit sous une forme concrète qu’ils manifestent, ayant été renouvelés par le Corps du Christ au cours de la sainte liturgie eucharistique, l’unité du Peuple de Dieu que ce grand sacrement signifie en perfection et réalise admirablement […]
12 : Le sens de la foi et les charismes dans le peuple chrétien
Le Peuple saint de Dieu participe aussi de la fonction prophétique du Christ ; il répand son vivant témoignage avant tout par une vie de foi et de charité, il offre à Dieu un sacrifice de louange, le fruit de lèvres qui célèbrent son Nom (cf. He 13, 15). La collectivité des fidèles, ayant l’onction qui vient du Saint (cf. 1 Jn 2, 20.27), ne peut se tromper dans la foi ; ce don particulier qu’elle possède, elle le manifeste moyennant le sens surnaturel de foi qui est celui du peuple tout entier, lorsque, « des évêques jusqu’aux derniers des fidèles laïcs » [cf. Saint Augustin, De Praed. Sanct. 14, 27], elle apporte aux vérités concernant la foi et les mœurs un consentement universel […]
Mais le même Esprit Saint ne se borne pas à sanctifier le Peuple de Dieu par les sacrements et les ministères, à le conduire et à lui donner l’ornement des vertus, il distribue aussi parmi les fidèles de tous ordres, « répartissant ses dons à son gré en chacun » (1 Co 12, 11), les grâces spéciales qui rendent apte et disponible pour assumer les diverses charges et offices utiles au renouvellement et au développement de l’Église, suivant ce qu’il est dit : « C’est toujours pour le bien commun que le don de l’Esprit se manifeste dans un homme » (1 Co 12, 7). Ces grâces, des plus éclatantes aux plus simples et aux plus largement diffusées, doivent être reçues avec action de grâce et apporter consolation, étant avant tout ajustées aux nécessités de l’Église et destinées à y répondre […] C’est à ceux qui ont la charge de l’Église de porter un jugement sur l’authenticité de ces dons et sur leur usage bien ordonné. C’est à eux qu’il convient spécialement, non pas d’éteindre l’Esprit, mais de tout éprouver pour retenir ce qui est bon (cf. 1 Th 5, 12.19-21).