Les sacrements et leurs rituels, initiative et grâce divines

10 mai 2008 : Trois confirmands faisant le signe de croix lors de leur confirmation pendant la vigile de Pentecôte en la cath. Notre-Dame, Paris (75), France.

(c) CIRIC

Par Frédérique Poulet, Maître de conférences à la faculté de théologie d’Angers où elle y enseigne la théologie dogmatique et la liturgie

L’une des premières caractéristiques de l’Alliance dans la Bible est l’élection, la faveur gratuite et miséricordieuse de Dieu à l’égard des hommes. L’initiative revient toujours à Dieu qui appelle et choisit librement, gracieusement.

Cette élection est signe d’un amour de prédilection qui ne repose pas sur les qualités de celui qui est appelé « car vous êtes le moins nombreux d’entre tous les peuples » (Dt 7,7). L’appel de Dieu n’est jamais de l’ordre du privilège – « je fais grâce à qui je fais grâce et j’ai pitié de qui j’ai pitié » (Ex 33, 19) – mais d’un choix mystérieux de Dieu en vue d’une mission : « Dieu dit à Moïse : « Voici ce que tu diras aux Israélites : Je suis m’a envoyé vers vous ». » (Ex 3,14).

L’initiative de Dieu est toujours première. Dans le Nouveau Testament, la gratuité initiale de l’élection marque, selon saint Paul, toute existence chrétienne. De même que Dieu l’a mis à part et l’a appelé « en vertu de la grâce que Dieu m’a faite » (Rm 15,15), de même tous sont « appelés par la grâce du Christ » (Ga 1,6). Et cette grâce ne fait jamais défaut quelles que soient les circonstances : « Ma grâce te suffit, car ma puissance se déploie dans la faiblesse ». (2 Co 12,9). Dieu se donne à l’homme en son Fils Jésus Christ qui lui a ouvert une route nouvelle, la vie selon la grâce. Et cette route, l’Esprit Saint l’offre à tous les hommes, car « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,4).

La primauté de la grâce

Aujourd’hui, l’Alliance entre Dieu et son peuple prend corps de manière privilégiée dans les sacrements célébrés en Eglise. Comme dans toute dynamique d’alliance, l’initiative de Dieu est première, le don de Dieu est toujours premier. Tous ceux qui ont accueilli des candidats au baptême ont fait l’expérience d’avoir été précédés par un don mystérieux, « une grâce ». Certes, les équipes d’accompagnement auront à guider la croissance dans la foi du futur catéchumène, mais ce germe de foi, nul autre que l’Esprit n’a pu le déposer dans le cœur de celui qui a fait un premier pas, qui vient demander « des renseignements sur le baptême ».

Ainsi, la grâce est toujours première, elle précède toute démarche sacramentelle, et davantage encore, elle précède tout mouvement de foi, toute demande de catéchisation ou de préparation aux sacrements. C’est une réalité que le concile d’Orange[1] a réaffirmée alors que les controverses s’élevaient entre chrétiens sur le rôle de la grâce dans ce qu’on appelait le commencement de la foi – l’Initium Fidei. En effet, c’est Dieu qui invite, qui appelle, c’est la grâce qui fait entrer en mouvement, en cheminement de foi. Saint Augustin, Docteur de la grâce, dira :

« Quelle est la première grâce que nous avons reçue ? La foi. En marchant dans la foi, nous marchons dans la grâce[2]. »

Les différents rituels montrent bien cette primauté de la grâce. Ainsi que le Rituel de l’initiation chrétienne des adultes, l’adhésion initiale insiste sur l’initiation divine :

« Dieu est le Créateur du monde et notre Créateur. En lui est la source de la vie. C’est lui qui donne la lumière à nos intelligences pour que nous le connaissions et l’adorons[3]« .

De même les Notes doctrinales et pastorales du Rituel du baptême des petits enfants précisent :

« C’est pourquoi le baptême est tout d’abord le sacrement de cette foi par laquelle les hommes, éclairés par la grâce du Saint-Esprit, répondent à l’Evangile du Christ[4]« .

Plus largement encore, toute célébration sacramentelle commence par une salutation liturgique :

« La grâce de Jésus notre Seigneur, l’amour de Dieu le Père, et la communion de l’Esprit Saint soient toujours avec vous. »

Les sacrements, un renouvellement du don de la grâce

Ainsi, la grâce précède toute célébration. Mais, la théologie sacramentaire, dans sa perspective la plus classique, nous dit aussi que les sacrements confèrent la grâce[5]. Cette dimension est extrêmement importante et dit une Alliance qui prend corps en humanité.

« Les sacrements sont des actes par lesquels le Dieu de Jésus Christ s’engage et cautionne sa Parole et ses promesses, au sein de l’Alliance Nouvelle qu’il a contactée à l’égard de son peuple par l’événement pascal de son Fils. Ils recouvrent donc cette réalité mystérieuse où le même Dieu qui est intervenu dans l’histoire des hommes vient à eux, sous le voile et dans la transparence des signes[6].
Dans les sacrements, la grâce de Dieu se communique d’une manière spécifique, palpable, tangible au cœur de la création.

« La matière est bien chemin vers Dieu. Elle n’est pas seulement le théâtre de l’action de Dieu, elle en est la médiation même[7]« .

En reprenant la thématique de l’Alliance, on pourrait dire que le sacrement est un signe efficace, un mémorial qui renouvelle l’Alliance de Dieu envers chaque être, en tant qu’il est créateur unique aux yeux de Dieu, et, par conséquent, sujet d’une histoire unique selon l’ordre de la grâce. Dieu se donne, Dieu se livre gratuitement et renouvelle ce don total en chaque vie.

Accueillir la grâce : l’initiation chrétienne des adultes

Puisque nous nous situons dans une perspective d’Alliance dans laquelle Dieu a toujours l’initiative, l’assentiment de celui qui accueille l’Alliance est également requis. Dieu est et demeure toujours le Père qui guette et attend la conversion du fils dit prodigue :

« Il partit donc et s’en alla vers son père. Tandis qu’il était encore loin, son père l’aperçut et fut pris de pitié ; il courut se jeter à son cou et l’embrassa tendrement. » (Luc 15,20)

Cette part de l’homme dans l’accueil de la grâce a été rappelée par le concile de Trente et est signifiée dans tous les rituels. Bien plus, cette participation de l’homme est si importante que, depuis les premiers siècles, l’Eglise a institué une période préparatoire à la réception des sacrements de l’initiation : le catéchuménat. Est-ce à dire qu’il faille apporter des restrictions à ce que nous venons d’affirmer avec force, la primauté du don de la grâce ? Pourquoi le catéchuménat ?

En effet, le don de la grâce divine ne dépasse-t-il pas toutes nos capacités de préparation ? De plus, la grâce n’est-elle pas déjà présente dans la vie de celui qui fait une demande sacramentelle ? Pourquoi tous les rituels précisent-ils la nécessité d’un temps de préparation aux sacrements ? On lit par exemple dans le Rituel romain de la célébration du mariage au n°15 :

« Pour une bonne préparation au mariage, un temps suffisant est requis : il faut, au préalable, informer les futurs époux de cette nécessité. »

Pour répondre à ces différentes questions, nous allons tenter de considérer l’interaction entre l’initiative de Dieu et la réponse de l’homme au sein de la dynamique sacramentelle et de répondre de la nécessité d’une préparation pour accueillir la grâce sacramentelle. On lit dans le Rituel de l’initiation chrétienne des adultes, n°39 et 40 :

« En accueillant les catéchumènes, l’Eglise célèbre l’action de Dieu qui appelle au salut tout le genre humain (…). Le rituel de l’initiation s’adapte à l’itinéraire spirituel des adultes : les dons variés de la grâce de Dieu et la libre réponse des personnes, l’action de l’Eglise et la particularité des circonstances fondent la diversité des démarches personnelles. »

Ainsi le catéchuménat n’est pas qualifié de temps d’enseignement, ni de catéchèse stricto sensu. Ce n’est pas non plus un temps de mise à l’épreuve pour juger de la motivation du candidat au sacrement, ni même des étapes nécessaires sur le plan humain. Mais c’est un temps de célébration de l’action de Dieu qui est et demeure première, un temps où la semence de la grâce déjà déposée va pouvoir dilater le cœur pour se préparer à l’inhabitation trinitaire qui sera accomplie le jour du baptême. Dans ce temps de préparation, il s’agit de célébrer l’action de Dieu qui appelle au salut tout le genre humain, de célébrer la grâce offerte. Cette célébration relève de la mission de l’Eglise.

C’est en ce sens que se justifie l’investissement pastoral. Il s’agit de célébrer l’action de Dieu qui appelle au salut tout le genre humain, de célébrer la grâce offerte. Cette célébration relève de la mission de l’Eglise. C’est en ce sens que se justifie l’investissement pastoral. Il s’agit de célébrer l’action de Dieu dans la vie des hommes, de rendre grâce puis de permettre à la grâce de devenir active dans la vie du catéchumène, des fiancés qui se préparent au mariage, du malade qui demande l’onction. L’Eglise doit d’abord accueillir la grâce déjà présente et préparer, ensuite, l’ouverture sur une mission et un avenir.

L’Alliance ne peut prendre corps que si la vie de l’homme s’ouvre à la dynamique de la grâce première, à l’action et à la conversion qu’elle suscite. Et, de fait, cette exigence de conversion est largement présente dans les rituels : on lit dans les Notes doctrinales et pastorales du Rituel du baptême des petits enfants :

« Sil n’y a aucun espoir fondé que l’enfant soit élevé dans la religion catholique, le baptême sera différé (…) et l’on en expliquera la raison aux parents. »

De même dans le Rituel de l’initiation chrétienne des adultes à propos de l’entrée en catéchuménat :

« Cela suppose une conversion initiale enracinée au temps du précatéchuménat, une volonté de changer de vie et d’entrer en relation avec Dieu dans le Christ (…). »

Si la grâce sacramentelle signifie – au sens fort de rendre visible – l’initiative de Dieu, il est de la responsabilité ecclésiale de « préparer les chemins du Seigneur ». Si les sacrements constituent, selon Edward Schillebeeckx, « la visibilité ecclésiale du don de la grâce », il est donc logique que l’Eglise accorde de l’importance à la réception de cette grâce. En effet, dans le sacrement, la grâce est toujours donnée mais elle peut rester sans effet, comme un cadeau qui n’est pas ouvert. Or, il appartient à la mission de l’Eglise de préparer, d’accompagner, de prendre soin du don de la grâce ainsi signifié car il s’agit du don de Dieu pour le salut du monde. Mais chaque pasteur sait combien cet accompagnement est difficile. Pour autant, faut-il différer le don du sacrement, voir le refuser ? Difficile question à laquelle à chacun l’exercice de son discernement pastoral, mais à laquelle nous allons tenter d’apporter un éclairage.

La grâce sans condition : le baptême des petits enfants

En introduction, nous avons mentionné l’importance du salut : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1 Tm 2,3). La pastorale des sacrements est indissociable de la mission de salut de l’Eglise envers tout homme. Comment concilier cet impératif et l’exigence pastorale ? L’un des lieux qui peut apporter un éclairage parce qu’il dit, mieux que tout autre, la primauté de la grâce, est le baptême des petits enfants pratiqué dans l’Eglise depuis les premiers siècles. On lit dans La Tradition apostolique (IIIème siècle), au n° 21 :

« On baptisera en premier lieu les enfants. Tous ceux qui peuvent parler parleront. Quant à ceux qui ne le peuvent pas, leurs parents parleront pour eux ou quelqu’un de leur famille ».

En effet, le pédobaptisme est sans doute essentiel pour entrer dans une compréhension de la théologie de la grâce sacramentelle. Il est, sans doute, le lieu le plus apte à manifester à la fois la gratuité de la grâce et l’universalité du salut. Car, bien qu’ils ne soient pas capables d’un acte personnel d’adhésion de foi pas plus que d’un engagement, les petits enfants reçoivent la grâce baptismale et sont sauvés. Certes, le pédobaptisme n’a pas toujours fait l’unanimité. Tertullien, par exemple, conseillait d’attendre que l’enfant soit apte à une profession de foi personnelle.

Pourtant, l’Eglise a toujours continué à baptiser de petits enfants et c’est heureux pour la théologie de la grâce sacramentelle. Cela ne signifie aucunement que la grâce sacramentelle agit de façon magique, indépendamment de la liberté et de la collaboration de l’homme, ce qui serait contraire à toute la théologie de la grâce. On s’assure toujours de la liberté et du consentement de celui qui doit recevoir un sacrement ainsi que de son aptitude. On peut ici citer toutes les interrogations dans les différents rituels qui commencent par « Voulez-vous…? » et qui se terminent pas : « Oui, je le veux, avec la grâce de Dieu. »

Néanmoins, le pédobaptisme rappelle que cette participation de l’homme, aussi belle et importante soit-elle, est toujours seconde par rapport à l’initiative gratuite de Dieu. L’adhésion active de l’homme est nécessaire à la réalisation de l’œuvre de la grâce, comme l’a rappelé le concile de Trente, mais ce n’est pas elle qui est déterminante. Le sacrement ne peut être « seulement » le sceau final posé sur un itinéraire humain pas plus qu’il ne peut être un acte isolé ; il est d’abord et avant tout un don de Dieu qui s’inscrit dans une histoire et ouvre un avenir. Les sacrements sont signes efficaces de la prévenance de l’amour divin qui appelle une réponse à déployer dans l’existence chrétienne de ceux qui accueilleront ce don en leur vie.

La grâce en action : l’eucharistie

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le sacrement qui accompagne le cheminement de tout baptisé et nourrit son existence, dans l’ordre de la grâce, est l’eucharistie, « le sacrement des sacrements », l’action de grâce qui s’ouvre sur la mission en ces termes : « Allez dans la paix du Christ, nous rendons grâce à Dieu ».

 

Cet article a été extrait de la revue Célébrer n°383.

[1] « Si quelqu’un dit que la grâce de Dieu peut être donnée à la demande de l’homme et que ce n’est pas la grâce elle-même qui nous fait demander, il contredit le prophète Esaïe ou Rm 10, 20 : « J’ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas, je me suis manifesté à ceux qui ne m’interrogeaient pas », concile d’Orange, canon 3, Dz n ° 373. // [2] Saint Augustin, Tract III 8. // [3] Rituel de l’initiation chrétienne des adultes, Paris, Desclée/Mame, 1997 n° 81. // [4] Rituel du baptême des petits enfants, Paris, Mame/Tardy, 1984, Notes doctrinales et pastorales, n° 3. // [5] Catéchisme de l’Eglise catholique n° 1127 : « Célébrés dignement dans la foi, les sacrements confèrent la grâce qu’ils signifient ». // [6] Groupe des Dombes, Pour la communion des Eglises, Paris, Centurion, 1988, p. 124, cité par B. Serboüé, Invitation à croire II; Des sacrements crédibles et désirables, Paris, Ed. du Cerf, coll. « Théologie », 2009, p 27. // [7] L. M. Chauvet, Le Corps, chemin de Dieu ; Les sacrements, Paris, Bayard, coll. « Theologia », 2010, p. 60.

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