Le chant de mariage, chant de l’Alliance
Par Gérard Tracol, Responsable Musique et Liturgie du diocèse de Viviers
Cet article tente une approche de la situation présente du chant dans la célébration de mariage. Il cherche à expliquer les contours de la difficile réalité d’aujourd’hui qui n’a pas fixé une mémoire du chant de mariage.
Le chant de mariage, terra incognita
« Connaissez-vous le titre d’un chant de mariage ? » Si l’on posait cette question aux prêtres, aux diacres, aux responsables de préparation au mariage, il y aurait fort à parier que la réponse serait embarrassée. Mémoire vide, alors que chacun d’entre nous pourrait aisément retrouver quelques chants archétypes, pour célébrer les autres sacrements, la mission, l’Eucharistie et pour faire vivre le temps liturgique. Notre étonnement s’accroît encore lorsque l’on sait que la célébration du mariage est le temps privilégié d’une fête qui convoque naturellement l’expression chantée.
Terra incognita ? Pourquoi ce « hors-champ du chant » de mariage ? Pourquoi cette mémoire négligente alors qu’une soixantaine de chants a été écrits sous la cote « O » depuis les années 60 ? Pourquoi aucun de ces chants ne s’est-il établi pour « faire référence » ? La raison serait-elle simplement d’ordre pratique ? Les assemblées de mariage étant chaque fois uniques et très composites, il serait difficile de créer cette mémoire collective transmissible.
L’expérience met en évidence d’autres aspects : très souvent la valeur de la musique et du texte est reléguée au second plan : ce qui importe, c’est de créer « un esprit de fête » par un environnement sonore qui n’est pas objet d’écoute. Ajoutons que dans ces assemblées composites, l’acte de chanter, souvent revendiqué ailleurs comme activité identifiante, est difficile en raison de la signification symbolique d’adhésion qui lui est attachée. Chanter, c’est se dévoiler dans sa voix et chanter dans une célébration, c’est inévitablement exposer son habitus chrétien. Beaucoup de chrétiens noyés aujourd’hui dans l’assemblée composite du jour, ont peur de cette exposition dans la célébration de mariage et laissent à l’animateur le rôle de soliste. Ce dernier éprouve alors bien des difficultés à unifier en petite masse sonore les voix volontaires dispersées dans l’assemblée.
Mais si tous ces arguments valent sans doute, il y a aujourd’hui, nous semble-t-il, d’autres raisons à cela et il vaut la peine de faire un détour pour comprendre la situation.
La célébration de mariage bénéficie encore pour les conjoints d’une forte valeur attractive : le sacrement de mariage résiste, malgré l’érosion de ces dernières années : près de 200 000 jeunes chaque année demandent ce sacrement (plus de 40% des mariages civils). Pourquoi cela ? N’est-ce pas parce qu’il y a dans le mariage chrétien matière pour eux à une appropriation personnalisée de leur démarche et parce que cela reste très porteur dans notre société où les marqueurs de l’individualité sont très recherchés ? Le temps de préparation requis – un an- valorise en outre l’investissement personnel du couple dans la préparation, investissement que les jeunes mariés voudront assumer jusqu’au bout dans les rites de la célébration et particulièrement dans l’environnement musical et le choix des chants. On pourrait assez facilement ramener les attitudes à deux types : s’ils sont très peu ou mal intégrés à une communauté chrétienne, sans aucune mémoire, ils viendront voir souvent le responsable de la célébration avec une chanson d’amour, un chant de leur jeunesse ou de leur passage chez les scouts ; s’ils sont davantage intégrés à une communauté, ils puiseront dans la mémoire collective des chants de louange, inusables : Que tes œuvres sont belles !
Que se passe-t-il alors ? Sans aucune autre réminiscence, c’est ce chant de louange, sans aucune marque spécifique qui fait office de chant de mariage. Le nouveau rituel, d’ailleurs, ne parle t-il pas de chant de louange facultatif après la bénédiction nuptiale et non de chant de mariage ?
Par cet emprunt systématique au patrimoine commun des chants de louange, hors d’un territoire qu’il aurait désigné, le chant de mariage – avec sa teneur spécifique de révélation du mystère de l’alliance – est neutralisé, et ipso facto la célébration en est affectée. « Fides ex auditu » dit l’adage que nous pourrions plagier en « Fides ex cantatu » ! Sans chants spécifiques, on comprend dès lors pourquoi l’on peine à dire et à faire vivre une spiritualité et une théologie du sacrement de l’alliance dans nos célébrations de mariage.
Une première réalité
C’est dans un dialogue sans détours avec les fiancés que s’établissent progressivement de vrais repères. Le passage en force en imposant un répertoire n’est jamais une solution fructueuse. L’important est de mettre en place dans la confiance une célébration qui dise en vérité la démarche des futurs mariés.
- Essayer de redonner à l’expression chantée dans le sacrement une autre fonction qu’une fonction affective, ornementale ou décorative.
Face à la culture « du paraître » – le toc et le strass -, il semble important de souligner la valeur d’authenticité à laquelle les jeunes sont plutôt sensibles. « Pourquoi avez-vous choisi cet Ave Maria de Gounod après la bénédiction nuptiale ? » La réponse des futurs mariés sera diverse : le choix de la grand-tante, la réminiscence connue, l’impression sonore et affectivement troublante que laisse l’air chanté par une soliste amie de la famille. Partant de leur réponse, on peut tenter de montrer que le chant choisi après la bénédiction nuptiale doit prolonger l’acte fondateur qu’ils viennent de poser et qu’il faut éviter à ce moment-là le signe dont l’unique valeur d’émotion viendra disperser le sens de l’acte posé.
- Essayer de mettre en valeur leur démarche pour qu’elle redise la force du sacrement de l’Alliance à travers une expression chantée spécifique.
On peut faire comprendre que tel chant de louange est intéressant mais qu’il n’est pas propre à l’expression de ce qui se dit dans ce sacrement de l’Alliance. Le chant habituel de louange « neutralisera » ce qui est en train de se vivre alors que le texte qui met en scène les jeunes mariés comme acteurs (voir les pronoms personnels du texte tu et vous) aura une autre force d’affirmation et … d’émotion.
- Ne pas déconnecter la préparation de la célébration de toutes les rencontres préalables avec les responsables pastoraux de la paroisse.
Si la célébration est l’aboutissement d’une maturation et d’une réflexion, si elle a été préparée dès le début des rencontres, si elle n’est pas un acte isolé, on pourra plus facilement y introduire la dimension forte de la sacramentalité, y compris par les chants. La figure du couple humain, image de l’amour de Dieu pour le monde et de l’amour du Christ pour l’Eglise aura alors plus de chance de pouvoir se dire dans l’expression chantée. Ce sont d’abord les responsables de la préparation qui doivent faire connaître des textes forts, éventuellement déjà musicalisés, capables de faire valoir l’identité sacramentelle. Face au risque de privatisation du cérémonial par la famille et les fiancés le jour du mariage, face à la « célébration-miroir », voire narcissique qui parfois se met en place, il est heureux de proposer des situations, des rencontres en soirée qui permettent de partager et de montrer le mariage autrement, comme un acte ecclésial. Ces rencontres entre les couples sont l’occasion d’une proposition chantée. Le chant retenu pour sa force spirituelle et théologique, présenté, appris, devient un élément essentiel même du temps de célébration qui termine les rencontres. Il n’est pas rare qu’ensuite un des couples choisisse alors pour son mariage ce texte fort ou ce chant qu’il a « expérimenté » avec d’autres fiancés.
De même, pour soustraire encore le mariage à l’emprise du privé, on pourrait inviter les nouveaux couples de l’année à rejoindre la communauté paroissiale le dimanche le plus proche de la saint Valentin. Ce serait doublement bénéfique pour la communauté qui découvrirait son rôle apostolique communautaire ainsi que pour les fiancés qui seraient reconnus et accueillis en communauté. Le chant de mariage qui célèbre l’alliance joue alors pleinement sa fonction « hospitalière ». Il dispose la communauté paroissiale, qui chante d’une seule voix avec les couples de fiancés, à ne former qu’un seul corps. Le chant accomplit alors fortement sa mission d’intégration à la communauté.
Télécharger l’article complet en PDF :