Repères théologiques sur le Missel romain
Cet article est extrait de la revue de pastorale liturgique et sacramentelle Vivre et Célébrer (printemps-été 2021), publiée par la Conférence des évêques catholiques du Canada. Voici donc un regard au-delà de l’Atlantique sur le Missel romain, à l’occasion de sa nouvelle traduction !
Arrive un moment, dans les formations liturgiques, où je demande aux participantes et participants d’emprunter et d’apporter un Missel romain[1]. Plusieurs ont ainsi la possibilité de toucher et d’explorer pour la première fois ce qu’ils voient comme le « livre du prêtre ». Certains ont alors l’impression de mettre la main sur un livre interdit – un peu comme ces livres à l’index jadis relégués dans les enfers des bibliothèques (ce qui est pour le moins paradoxal lorsqu’on s’y arrête un peu). Cela en dit long par rapport à la liturgie et à la manière dont l’ensemble des membres du peuple de Dieu se sentent concernés par celle-ci. Le concile Vatican II a voulu commencer à combler ce fossé qui reste pourtant encore bien présent aujourd’hui. C’est pourquoi il est nécessaire d’amorcer cette réflexion théologique sur le Missel romain de 1970 en retournant à Vatican II.
Un livre et son contexte
Vatican II, convoqué par Jean XXIII le 25 janvier 1959, s’est ouvert le 11 octobre 1962. Le 4 décembre 1963, les Pères du Concile adoptèrent avec une très forte majorité (2147 voix contre 4) un premier texte, la Constitution Sacrosanctum Concilium sur la Sainte Liturgie. Différents facteurs rendirent possible l’adoption rapide de ce texte.
- Le travail scientifique et pastoral du Mouvement liturgique pendant le siècle précédent.
- Les nombreuses réformes liturgiques engagées par les papes durant le xxe siècle (par Pie X, en 1903 : restauration du chant grégorien ; en 1905 : la communion fréquente ; en 1911 : publication de nouveaux bréviaires et calendrier liturgique ; par Pie XII, en 1951 : restauration de la Vigile pascale ; en 1955 : réforme de l’ensemble de la Semaine sainte).
- La publication par Pie XII, en 1947, de l’encyclique Mediator Dei, qui contient déjà plusieurs grands thèmes de Sacrosanctum Concilium.
Les détails de la réforme liturgique envisagée – réforme qui est une « restauration » (le mot revient 15 fois dans la traduction française de Sacrosanctum Concilium) – ne sont pas tous précisés dans la Constitution. Cependant, ce document contient des orientations et des indications quant aux attentes des Pères conciliaires, comme en témoigne l’article 21, introduction de la partie sur « La restauration de la liturgie » qui mérite d’être citée intégralement :
Pour que le peuple chrétien bénéficie plus sûrement des grâces abondantes dans la liturgie, la sainte Mère l’Église veut travailler sérieusement à la restauration générale de la liturgie elle-même. Car celle-ci comporte une partie immuable, celle qui est d’institution divine, et des parties sujettes au changement qui peuvent varier au cours des âges ou même le doivent, s’il s’y est introduit des éléments qui correspondent mal à la nature intime de la liturgie elle-même, ou si ces parties sont devenues inadaptées. Cette restauration doit consister à organiser les textes et les rites de telle façon qu’ils expriment avec plus de clarté les réalités saintes qu’ils signifient, et que le peuple chrétien, autant qu’il est possible, puisse facilement les saisir et y participer par une célébration pleine, active et communautaire[2].
Celui que nous célébrons dans la liturgie n’a pas besoin de réforme ou de restauration liturgique : il entend les chants d’action de grâce ou les cris de douleur de ses enfants, peu importe la langue dans laquelle ils le prient, si imparfaite soit leur prière. L’enjeu de la réforme est pastoral et spirituel : permettre au peuple chrétien de bénéficier des grâces de la liturgie, de saisir les textes et les rites et d’y participer par une célébration pleine, active et communautaire. Pour y arriver, il faut « organiser les textes et les rites de telle façon qu’ils expriment avec plus de clarté les réalités saintes qu’ils signifient ». Textes et rites renvoient à des « réalités saintes » ; il s’agit donc de les restaurer et de les organiser pour qu’ils communiquent plus clairement en permettant de les comprendre et d’y participer.
La réforme liturgique de Vatican II a ratissé large : l’espace, le calendrier et la langue liturgiques ont été affectés ; la liturgie a retrouvé son ancrage biblique et la parole de Dieu a repris sa place dans la liturgie ; les rituels des sacrements et des sacramentaux comme la liturgie des Heures ont été révisés ; la compréhension du rôle de l’assemblée, de ses membres et du président s’est ressourcée dans la grande tradition de l’Église. Parmi toutes ces réformes-restaurations, celles touchant la messe et la manière de la célébrer entraînèrent des conséquences importantes, des années 1960 jusqu’à aujourd’hui.
Par rapport à la messe, les Pères conciliaires ont donné la direction du travail à entreprendre (Sacrosanctum Concilium, no 50) :
Le rituel de la messe sera révisé de telle sorte que se manifestent plus clairement le rôle propre ainsi que la connexion mutuelle de chacune de ses parties, et que soit facilitée la participation pieuse et active des fidèles.
Aussi, en gardant fidèlement la substance des rites, on les simplifiera, on omettra ce qui, au cours des âges, a été redoublé ou a été ajouté sans grande utilité ; on rétablira, selon l’ancienne norme des saints Pères, certaines choses qui ont disparu sous les atteintes du temps, dans la mesure où cela apparaîtra opportun ou nécessaire.
Quelques éléments clefs de ces orientations : manifester plus clairement le rôle propre de chaque partie de la messe et leur connexion, leur lien (par exemple, entre liturgie de la Parole et liturgie eucharistique, la première faisant plutôt figure de simple prélude dans la messe célébrée selon le Missel romain de 1570) ; faciliter la participation active et pieuse ; simplifier les rites en gardant leur substance ; limiter les redoublements et éliminer les ajouts inutiles ; rétablir des éléments ayant disparu (par exemple, la prière des fidèles revenue sous forme de prière universelle ou la communion sous les deux espèces pour tous les fidèles).
De Vatican II au Missel romain de 1970 à aujourd’hui
1963 – 2021 : 58 années riches d’événements, de recherches et de tensions dans l’Église et sa liturgie. Évoquons quelques étapes importantes pour le missel de 1970 :
Marie-Josée Poiré pour Vivre et Célébrer
[1] Cet article poursuit la réflexion amorcée dans « “Pas tombé du ciel”. Quelques repères historiques sur le Missel romain ».
[2] Sacrosanctum Concilium no 21 (consulté le 24 juillet 2021).