Le chantre animateur de l’assemblée : bilans et perspectives
Par Fabien Barxell, Responsable du département Musique au SNPLS
L’animateur, la chorale et l’organiste sont les premiers collaborateurs du ministre pour le chant. Et les premiers serviteurs de l’assemblée chantante.
Cinquante ans après le Concile Vatican II, il nous a paru souhaitable de tenter ensemble une synthèse critique : ce qui va, ce qui pourrait encore progresser, ce qui ne va pas vraiment.
Un service que l’on rend à la communauté
Au préalable il faut rappeler la fonction ministérielle de ces trois collaborateurs et serviteurs.
Le munus ministeriale insiste sur le service que l’on rend à la communauté qui célèbre.
Si le lecteur n’est pas compris dans sa tentative de proclamation de la Parole il ne remplit pas sa fonction ministérielle. Il peut donc être remplacé.
C’est une chose merveilleuse de se dire que grâce à moi, grâce à la chorale, grâce à l’orgue, l’assemblée va pouvoir mieux chanter, supplier, louer, prier. Il y a donc un seuil où cette fonction est remplie et un autre où cette fonction n’est pas remplie.
Ne pourrions-nous pas nous éloigner résolument de cette idée que la bonne volonté suffit ? Que n’importe qui (ou presque) est susceptible de devenir, sans formation, le modèle vocal de l’assemblée célébrante ? Il y a là quelque chose d’irrespectueux pour ceux qui se sont engagés parfois depuis longtemps dans un processus de formation, et quelque chose de l’ordre de la tromperie ou de l’illusion pour ceux à qui l’on fait croire qu’ils peuvent accomplir cette fonction ministérielle sans formation, sans exigence pour eux-mêmes.
Pourtant l’Église a bien pressenti les écueils. Au n°21 de l’Instruction Musica in Sacra Liturgia du 5 mars 1967 il est écrit : « Là où l’on manque de ressources pour constituer une chorale modeste, on pourvoira à ce qu’il y ait au moins un ou deux chantres suffisamment formés. Ce chantre devra pouvoir proposer pour la participation du peuple quelques chants simples ; il devra en même temps savoir diriger et soutenir les fidèles eux-mêmes. »
Un veilleur qui encourage
Le P. Lucien Deiss dit de l’animateur qu’il est la « sécurité » de l’assemblée chantante (Concile et Chant nouveau p.64). Il a la lourde responsabilité de favoriser la prière par une meilleure interprétation musicale.
Je ne résiste pas à l’envie de vous lire un passage du remarquable ouvrage de L. Deiss (Concile et Chant nouveau) : l’animateur « doit être si bien accepté par l’assemblée que celle-ci oublie, en un certain sens, sa présence et ses interventions. […] On dirige non une machine, une mécanique, mais une matière sonore vivante, une matière animée d’un souffle spirituel, palpitante sous le frémissement de la sensibilité de la communauté. L’animateur surveille cette palpitation.
Qu’il évite de se montrer triste, pour faire « pieux » : les enfants de lumière n’ont besoin ni d’une tristesse ni d’une piété de façade. Un air maussade glace l’assemblée et la stoppe net dans son élan. Que l’animateur se montre au contraire rayonnant de joie calme et puissante, d’un enthousiasme communicatif. Il doit être si entraînant que, pour reprendre une parole de l’Évangile, si l’assemblée ne chantait pas, « les pierres elles-mêmes se mettraient à crier… ».
Chanter ? Pas toujours …
Mais nous le percevons nettement, tout cela est impossible si je ne perçois que ma seule voix. Comment percevoir cette « palpitation » évoquée par L. Deiss si ma voix domine la voix de l’assemblée et ma propre perception ?
Les chefs de chœur en formation le savent bien : on leur interdit de chanter en même temps que leurs choristes, car chantant avec leurs choristes ils se privent de leur audition critique. La sentence est immédiate : privée de mon audition critique je me place dans l’impossibilité de les guider avec efficacité et de les faire progresser.
Le pire de cette anomalie est qu’une assemblée peut parfaitement s’habituer à cette voix dominante et ne pas être inquiète de ne plus l’entendre momentanément.
Le micro, ami ou ennemi ?
Pourquoi avons-nous tant de difficultés à suivre des conseils de bon sens ? et, souvent anciens : « Mis à part le cas de tous les ministres du sanctuaire, le chant de solo tient, dans la célébration, une place limitée : certains versets de psaumes ou de cantiques. L’utilisation du micro exige alors beaucoup de discrétion.
Il serait contraire à l’esprit de la liturgie de remplacer le rôle de la schola par l’intervention constante d’un soliste au micro. Il serait dangereux de croire que l’on entraîne la foule en abusant également du micro pour chanter avec elle : le résultat obtenu est souvent opposé. » (La Vie diocésaine, n°28, Diocèse de Rennes, Dol et Saint-Malo, Commission épiscopale de liturgie, Note pastorale sur le chant et la musique dans la célébration de la messe, 10 juillet 1965)
Un parmi d’autres
En même temps, dans la même note pastorale le rédacteur écrit : « Il serait gravement dommageable que le renouveau du chant de l’assemblée détruise la diversité des acteurs (célébrant, diacre, lecteur, psalmiste, schola, assemblée, organiste) et le rôle propre de chacun. Il fut un temps où, parfois, l’assemblée ne faisait rien. Il ne faut pas que désormais elle fasse tout. »
Un parmi d’autres
Parfaitement lucide pour ces risques majeurs, Lucien Deiss (encore lui) préconisait que l’animateur soit en réalité un tandem, un binôme : le premier se consacrait exclusivement à la direction du chant, alors que le second chantait lorsqu’il le fallait. Il allait même jusqu’à préciser : « pour diriger le chant avec objectivité, il faut rester en dehors de l’exécution ».
Hélas le proto-animateur des années soixante s’est sans doute laissé happer par des modèles ambiants que l’on peut regretter aujourd’hui. Dans le document du SNPLS « De l’animateur au chantre » ces modèles sont justement pointés du doigt : le chef de musique, l’animateur de télévision, le chanteur de variétés.
Alors que la Réforme liturgique se met progressivement en place la télévision envahit les foyers français. Ce sont donc ces modèles très en vogue et très visuels qui vont s’imposer. Le chef de musique agite perpétuellement ses bras, l’animateur de télévision fait son show centré sur lui-même et le chanteur de variété ne peut se passer de lumière et de micro.
Force est de constater que nous trouvons là les principaux travers observés un peu partout.
Des options imaginées par « la base »
Cependant, une prise de conscience réjouissante (ou beaucoup d’intuitions) se développe depuis quelques années et, pas forcément chez les plus formés.
Ici, des animateurs préfèrent se regrouper à quelques-uns dans le transept au bas des marches du chœur pour chanter, invisibles et sans amplification.
Là, des animateurs abandonnent le chœur durant la Prière eucharistique et chantent les acclamations tournés vers l’autel sans les diriger.
Ici encore il abandonne son pupitre et son micro bien encombrants pour être plus mobile.
Rappelons qu’une règle essentielle a souvent été oubliée : il n’est pas le personnage central ; il ne doit ni cacher l’autel, ni supplanter le célébrant.
Il y aurait aussi beaucoup à dire sur la place visuelle exagérée du pupitre de l’animateur vis-à-vis de l’ambon. Ou encore que dire de l’animation faite depuis l’ambon ?
Laisser toute la présidence au célébrant
Quelles pourraient être les conditions d’une bonne direction ? Mais faut-il employer le mot de direction qui peut laisser penser que l’assemblée est dirigée comme une chorale ? Dans son article 104 la Présentation Générale du Missel Romain nuance : « Il convient d’avoir un chantre ou un maître de chœur pour guider et soutenir le chant du peuple. Surtout en l’absence de chorale, il appartient au chantre de mener les divers chants, le peuple continuant à participer selon le rôle qui est le sien. »
La nuance est importante.
Alors revenons aux attentes :
D’abord la qualité de la préparation. Avec un délai raisonnable. Un animateur ne peut être que stressé s’il a regardé les chants samedi matin, voire samedi soir. Comment peut-il prier au moment du psaume responsorial, porté par la psalmodie s’il n’a pas profondément intégré paroles et ton ? Immanquablement les exigences techniques, affectées par le stress, vont prendre le pas sur la prière … ce qui fait dire à de nombreux animateurs « je n’ai pas pu prier durant la célébration ».
Ensuite ne pas diriger, mais guider. Avec le minimum d’intervention. Et le maximum d’efficacité.
Rappelons la maxime de David Julien : Quand une phrase suffit, pas de discours. Quand un mot suffit, pas de phrase. Quand un geste suffit, pas de parole. Quand un regard suffit, pas de geste.
Pensons-nous qu’il est utile d’annoncer au micro « nous nous levons pour chanter alléluia » ? et qu’il faut montrer à l’assemblée à l’aide de deux grands bras levés qu’elle doit se mettre debout ?
Être discret, savoir s’effacer. Ne pas intervenir à tout bout de champ. Un chant connu, assimilé n’a pas besoin d’être conduit. Une impulsion de départ, un geste invitant, une relance après le couplet et l’on se met de côté pour montrer à l’assemblée qu’elle peut être autonome et dynamique.
Introduire le chant. Voilà une tâche sous-estimée et peu employée. Comment donner, avec quelques mots choisis et préparés, la substance d’un nouveau chant ? Cela aurait au moins le mérite de forcer l’animateur de se plonger dans les paroles.
Introduire la musique. Apprendre un nouveau chant à l’assemblée demande un savoir-faire et une préparation soignée. Dans une absolue fidélité au texte musical.
Table ronde sur l’animateur de l’assemblée
Cette table ronde s’est déroulée à l’occasion des Journées nationales de musique liturgique les 28 et 29 septembre 2018.
Le contenu des propos relatés n’a pas un caractère normatif, mais présente la diversité des points de vue des intervenants. Il contribuera à alimenter la réflexion de chacun sur ses propres pratiques : qu’est-ce que je fais ? Comment ? Pourquoi ? Quel sens cela prend ?
Les invités ont pu réagir étaient invités à réagir au texte cible présenté plus haut.
Participants à cette table ronde
PB : Patricia Boillot, diocèse de Chambéry
LEdL : Louis-Etienne de Labarthe, Communauté de l’Emmanuel
PV : Philippe Vayrac, tertiaire dominicain, conseiller liturgique au Jour du Seigneur
BS : Béatrice Sépulchre, Conférence des évêques de Belgique
EP : Emmanuel Pittet, Centre Romand de Pastorale liturgique
JS : Jean Schwach, Pasteur de l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine (UEPAL)
ML : Maciej Leszczyński, Peintre d’icônes, chantre et théologien, chef de chœur en la paroisse Saint-Nicolas à Boulogne-Billancourt
La relation chantre-assemblée
Faire confiance à l’assemblée (PB) dont chaque membre vient partager la prière de l’Eglise. La fonction du chantre-animateur est de réveiller le talent de chaque assemblée et de contribuer à la conduire vers le Seigneur.
Le chantre et la prière
Dans ce désir de rencontre, prier soi-même est sans doute une condition pour permettre à l’assemblée de prier elle-même (LEdL). A l’inverse le chantre peut devenir un obstacle à la prière s’il est trop préoccupé par les aspects techniques de sa fonction.
Les qualités recherchées
La première qualité que l’on souhaite développer chez le chantre-animateur est sans doute leur faculté à écouter l’assemblée (PB). De cette écoute naît une joie qui doit se voir sur le visage du chantre.
A cela, on pourrait dans une fiche de poste imaginaire préciser que l’on attend du chantre trois qualités indissociables : écoute, adaptation, facilitation (PV). Ecoute de l’assemblée et écoute de la liturgie. Cette capacité à écouter plusieurs sources permet aussi d’utiliser le micro seulement lorsqu’il peut être utile. Cette écoute intelligente permet de faire des choix : faire entendre sa voix ou s’effacer.
L’écoute permet au chantre de s’adapter à l’assemblée, aux ministres, et à ce que l’on célèbre pour faciliter la participation de chacun (PV). Cette capacité d’adaptation est également exigée par des assemblées diversifiées avec des répertoires de facture de plus en plus différentes. Et parfois on peut même rencontrer dans une assemblée une pluralité culturelle (BS).
L’écoute, la voix et le geste
Le bras, la main, sont le prolongement de nos oreilles (PB). Schématiquement, notre oreille est reliée à celui qui nous accompagne et l’autre à l’assemblée.
Choisir des voix simples et justes, en simplifiant au maximum le geste d’animation semble tenir du bon sens (LEdL). Ayons conscience que le geste omniprésent et envahissant attire, et peut détourner l’attention de l’ambon, de l’autel, de la croix.
La formation liturgique et technique
Davantage qu’une interprétation qui pourrait être impeccable, c’est la justesse théologique et musicale des chants qui favorise la prière (PB). Ainsi cette donnée est importante pour la formation : former des bons « liturges », capables de discerner sur la recherche de cette justesse. Certes la technique est utile pour que le geste soit effectué à bon escient. Mais on ne fera pas l’économie d’une réflexion partagée et approfondie sur le contenu du chant (PB).
Le retour d’expérience
Que dire de la relecture des célébrations souvent considérée comme du temps perdu ? Cette discipline nous permettrait de répondre à la question du P. Gelineau « Avons-nous chanté ce qu’il convient, quand il convient ? » (PB)
Regards œcuméniques
Chez nos frères protestants et orthodoxes le chantre-animateur n’existe pas ! Pour des raisons différentes.
Dans l’Eglise protestante, l’assemblée est responsable du chant de la communauté dans une totale autonomie avec, souvent, le soutien de l’orgue. L’orgue introduit, donne le tempo, soutient, relance la phrase musicale, varie les volumes et les ambiances, et conclut !
Lorsqu’un nouveau chant est appris c’est le pasteur qui fait office de chantre ! (JS).
Dans l’Eglise orthodoxe, la fonction n’existe pas car les fidèles ne sont pas invités à chanter (à deux exceptions près). Et dans ce cas c’est le chef de chœur qui donne le ton (ML).