Des compositions florales pour célébrer le dimanche 3/3 : Synthèse, changer son regard pour renouveler l’oïkos de Dieu

Dans ce texte, le père Ledoux reprend et approfondit les différentes dimensions du dimanche et nous invite à considérer l’art de fleurir en liturgie comme une médiation de « communion avec Dieu, avec les autres et avec toutes les créatures ». (LS n° 240)

 

 

 

Avant-propos :

S’il y a bien un art en liturgie qui sait et doit se mettre à l’écoute de la Création, c’est bien celui de fleurir en liturgie.

En effet, réaliser une composition florale en étant à l’écoute de la Création, c’est d’abord contempler dans la nature la manière dont la Parole de Dieu déploie et fait connaître son alliance.

Mais c’est aussi, en écho à cette proposition d’alliance de Dieu avec sa Création et avec son peuple, discerner et choisir les végétaux qui pourront participer le mieux à l’annonce du Mystère pascal, lors de telle ou telle liturgie, pour laisser passer la lumière du Ressuscité.

C’est enfin être attentif au sens de pousse, pour faire entrer la Création telle qu’elle se donne, dans le respect de ce qu’elle est pour Dieu et pour nous, tout en la magnifiant par une composition qui saura faire dialoguer ce sens naturel avec la Parole d’alliance écoutée chaque dimanche, comme en chaque célébration, et le faire entrer dans le sacrifice de louange que le Christ offre à son Père, par nos corps et nos voix animés du souffle de son Esprit saint.

Certes, la composition florale liturgique ne saurait prétendre ainsi au statut du buisson ardent révélant pleinement et invisiblement la présence divine ; mais, tel Jean Baptiste, elle invite les fidèles à regarder vers les lieux de la présence réelle du Christ qui s’actualise dans les actions liturgiques : son Église en prière, sa Parole proclamée, ses sacrements célébrés dont, de façon éminente, son Eucharistie.

Ce faisant, l’art de fleurir en liturgie peut contribuer, pour sa part, à ouvrir les yeux et les oreilles des fidèles pour mettre leur cœur à l’écoute et au diapason des gémissements de la Création, toujours en travail d’enfantement (voir Rm 8, 22), et ainsi les remplir d’espérance « afin d’éteindre les feux de l’injustice avec la lumière de l’amour guérisseur de Dieu qui soutient notre maison commune » (Temps pour la Création 2022), dans un Esprit d’action de grâce et de supplication, pour la gloire de Dieu et le salut du monde.

 

Introduction

Qui dit « art de fleurir en liturgie » dit d’abord « aventure artistique », où il est question de celui ou celle qui fleurit, de son visage qui observe et regarde, de sa main qui travaille quelque matière florale ou autre tirée de la terre, et de son « cœur » (au sens biblique du terme), comme organe de communication entre le plus extérieur (les fleurs) et le plus intérieur (l’être profond du/de la fleuriste). C’est la dimension physique, corporelle. Mais « fleurir en liturgie » est aussi, pour vous, une « manière d’habiter le monde[1] » qui vous est propre et qui manifeste, en cela même également, une dimension spirituelle.

Autrement dit, c’est l’exigence de votre quête spirituelle qui vous incite aujourd’hui à comprendre et/ou à approfondir ce qui, dans la liturgie, est véritablement engagé dans l’expérience physique et artistique, dans le travail corporel avec le matériau floral, bref, dans l’art de fleurir liturgiquement nos espaces ecclésiaux.

Pour vous aider à avancer sur ce chemin et dans cette quête, il m’a été demandé de revenir avec vous sur les fondamentaux de la liturgie et plus particulièrement du dimanche, dans le cadre de la réflexion générale sur l’écologie intégrale développée par le pape François dans l’encyclique Laudato Si’, dont je voudrais commencer par citer le 1er paragraphe : il sera comme le « la » du diapason, pour prendre une image musicale, ou la toile de fond de notre journée mais aussi de votre démarche :

« Laudato Si’, mi’ Signore », – « Loué sois-tu, mon Seigneur », chantait saint François d’Assise. Dans ce beau cantique, il nous rappelait que notre maison commune est aussi comme une sœur, avec laquelle nous partageons l’existence, et comme une mère, belle, qui nous accueille à bras ouverts : « Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la terre, qui nous soutient et nous gouverne, et produit divers fruits avec les fleurs colorées et l’herbe[2]. »

« Les fleurs colorées… » Si l’on regarde de près l’étymologie du mot « fleur », il vient d’une racine qui signifie non seulement « fleurir », mais aussi « s’épanouir »[3]. Par ailleurs, dans l’art de l’ikebana, qui sera évoqué dans les ateliers, il s’agit, selon le double sens japonais du mot non seulement d’ »organiser des fleurs » mais aussi et surtout, par cette organisation, de « rendre les fleurs vivantes »[4]. Ainsi, en approfondissant les fondements de la liturgie et du dimanche, nous allons voir comment, par votre art liturgique, vous permettez aux fleurs de s’épanouir dans leur vocation de réalités créées, en les rendant ainsi vivantes de la gloire et de la louange de Dieu, au cœur de nos célébrations dominicales[5].

 

III. Synthèse : changer son regard pour renouveler l’Oïkos de Dieu

 

L’art de fleurir en liturgie offre plusieurs atouts pour aider les fidèles à changer leur regard sur la Création, afin de renouveler l’Oïkos de Dieu, la terre, notre maison commune ; car, comme êtres humains, créés à l’image et à la ressemblance du Logos de Dieu, il nous revient le rôle de sauvegarder la demeure du Verbe : « C’est parce que cette terre est demeure du Logos qu’elle est notre terre. La création de la terre est en effet un don : « aux hommes, [le Seigneur] a donné la terre » (Ps 113, 16) (…), terre qui sera dès lors terre de communion, où Dieu, en cette commune demeure, nous partage sa vie et sa présence[1]. »

 

1er atout :

Comme je l’ai déjà dit, mais j’insiste, l’art de fleurir en liturgie a ceci en propre qu’il « fait entrer la Création elle-même dans l’Oïkos de Dieu, la Maison de Dieu, son Église, dont nos églises sont le signe, établissant ainsi un dialogue entre nature et culture au cœur même du culte chrétien qui est l’œuvre de la Trinité sainte[2] ». Les compositions florales deviennent donc des invitations à se mettre à l’écoute de la Création : « « Entendre chaque créature chanter l’hymne de son existence, c’est vivre joyeusement dans l’amour de Dieu et dans l’espérance »[3]. »

Chaque composition est appelée ainsi à faire résonner le chant de la Création et, à travers la contemplation des fleurs, être comme une invitation pour les fidèles à écouter le souffle du vent, le chant de la fontaine ou le bourdonnement d’abeilles. En effet, chaque fleur est vivante : elle vibre des résonances qui la rattachent aux profondeurs de la nature et que la main experte du fleuriste a apprivoisées et travaillées. Mais, à ce double enracinement naturel et culturel, s’ajoute la dimension cultuelle qui va et doit permettre de distinguer radicalement une composition florale ordinaire d’une composition florale liturgique.

 

2e atout :

Fleurir en liturgie, c’est aussi manifester que Quelqu’un nous accueille et nous visite : « Dieu nous accueille en sa Maison et en sa Création ». Comme Abraham accueillant dans sa tente les trois hôtes divins, c’est in medio Ecclesiae (au sein de l’Église) que, dans un sacrifice de louange, nous rendons à Dieu les fruits de la terre, de la vigne et du travail des hommes, pour qu’ils deviennent son plus beau fruit, la fine fleur de son Amour pour tous : le corps et le sang de Celui qui a pris notre humanité, rompu, versé et partagés pour que nous soyons unis à sa divinité.

Dès lors, dans nos « maisons de Dieu », la présence de la nature, sous toutes ses formes, va pouvoir contribuer à manifester cette vérité de la bonté, de la beauté et de la gloire du cosmos créé et sauvé avec tous les hommes. Autrement dit, en harmonie avec la liturgie, toute composition florale au milieu de nos sanctuaires doit participer, à sa manière, à l’annonce du kérygme, à savoir que la Mort n’a pas eu le dernier mot, que la Vie l’emporte toujours sur tout mal et que le monde est beau.

Pourtant, comme vous le savez, ce n’est pas si simple. « L’artiste est un homme qui a la pratique de l’art et la main qui tremble[4]. » Ce tremblement de la main est celui du corps aux prises avec la matière. Il est la trace ancestrale de la lutte entre l’homme et la nature, tout autant que celle de sa victoire sur les résistances, le combat qu’il vient rencontrer jusqu’en son propre corps.

Fleurir en liturgie, c’est donc toujours prendre un risque dont l’issue peut être incertaine, même pour celui ou celle qui a une pratique éprouvée de son art. La composition réussie de tel dimanche ne garantit pas toujours celle du dimanche suivant. Mais une technique accomplie sait accueillir dans l’instant l’émotion qui peut survenir comme visite de la grâce, lors de la création d’une composition florale pour la liturgie.

 

3e atout :

Bien plus, comme signes et symboles de la Création rachetée, ces fleurs sont là comme un tiers entre Dieu et nous, nous rappelant que la Terre en sa création est notre Maison commune, le jardin de notre liberté, le lieu-dit de notre salut accompli une fois pour toutes en son Fils né, mort et ressuscité pour nous. Telle est le cœur de notre foi au Christ, en son Mystère pascal dont, pour sa part, l’art de fleurir nos églises se doit de témoigner pour être véritablement liturgique.

Car, c’est ainsi que vos compositions florales contribueront à aider l’assemblée à se « « souvenir » des merveilles accomplies par Dieu, en rapport avec le repos du sabbat[5] », comme le souligne Jean-Paul II :

« Dans la mesure où ce « souvenir », plein de reconnaissance et de louange pour Dieu, est vif, le repos de l’homme, le jour du Seigneur, prend sa pleine signification. Avec lui, l’homme entre dans la dimension du « repos » de Dieu et il y participe profondément, devenant ainsi capable d’éprouver un frémissement de la joie que le Créateur lui-même éprouva après la création en voyant que tout ce qu’il avait fait « était très bon » (Gn 1,31)[6]. »

 

4e atout :

Ce faisant, ces compositions florales témoignent aussi de la présence d’une communauté qui prend soin de son église, c’est-à-dire qui prend soin pas seulement des pierres mais des vivants de cette communauté, de ce village, de cette ville. Et, tout particulièrement, en les contemplant, elles sont aussi comme une invitation à prendre soin des plus fragiles, car fleurir ne nous détourne pas de la terre mais nous y reconduit, donnant aux matières végétales de l’art de fleurir un poids d’existence et en même temps de fragilité qui rappelle notre condition d’homme : l’homme est une herbe qui passe[7]

Elles participent ainsi à élargir le sens du dimanche, pour l’envisager comme un écosystème par son rayonnement au-delà même de sa célébration et de l’église : « (…) Ainsi, le jour du repos, dont l’Eucharistie est le centre, répand sa lumière sur la semaine tout entière et il nous pousse à intérioriser la protection de la nature et des pauvres[8]. »

 

À partir de ces quatre atouts, non exhaustifs, mais aussi de ce que j’ai pu vous dire depuis le début de mon intervention, je vous propose à présent quelques pistes à explorer, creuser, méditer, pour ouvrir le temps de réflexion qui va suivre :

      • Comment l’art de fleurir en liturgie peut-il participer à cet écosystème du dimanche, vécu comme « source et sommet » d’une écologie intégrale ?
      • Comment peut-il se faire l’écho de ce souci de la nature et des pauvres, enraciné dans la joyeuse espérance du Mystère pascal ?
      • Quelle(s) forme(s) de compositions florales pourrai(en)t nous mettre tout entier dans la force du Verbe de Vie, qui est souffle de vie nouvelle, et dont chaque composition serait alors comme la « métaphore » de Son énergie résurrectionnelle ?
      • Comment chaque composition florale peut participer, à sa manière, à la mémoire active que le Christ nous ressuscite à chaque instant pour être et devenir des vivants, passés des ténèbres à la Lumière, en harmonie avec la Création et le cosmos tout entier ?

 

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[1] Adolphe Gesché, Dieu pour penser, IV, Le Cosmos, Paris, Ed. du Cerf, 1994, p. 89.

[2] Voir ci-dessus, I. d. Dimension eucharistique : « Tout fut fait par Lui ».

[3] LS, n° 85, note 89 : Conférence des évêques du Japon, Reverence for Life. A Message for the Twenty-First Century (janvier 2001).

[4] Dante, « Le Paradis », La divine Comédie, chant XIII, 77-78.

[5] DD, n° 17.

[6] Ibidem. C’est nous qui soulignons.

[7] Voir Ps 102, 15-16.

[8] LS, n° 237.

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