L’Esprit de la liturgie selon Vatican II : discours du pape Jean-Paul II
L’Assemblée plénière de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements1 s’est réunie à Rome du 30 avril au 4 mai 1996. Le 3 mai, Jean-Paul II a reçu en audience les participants à cette assemblée et leur a adressé le discours suivant2 :
C’est une joie pour moi de vous rencontrer à l’occasion de l’Assemblée plénière de votre Dicastère. Ma pensée affectueuse va d’abord à Messieurs les cardinaux ici présents et d’une manière particulière au Préfet de la Congrégation pour le Culte divin, le cardinal Antonio Maria Javierre Ortas, que je remercie pour les aimables paroles qu’il vient de m’adresser : Je salue le Secrétaire, Mgr Geraldo Majella Agnelo, les Membres, les Officiaux, les Consulteurs et ceux qui collaborent dans les commissions spéciales. Je désire vous remercier tous pour la compétence et la générosité avec lesquelles vous remplissez votre service apprécié auprès du Saint-Siège en un secteur si important pour la vie de la communauté ecclésiale.
Ces jours-ci vous avez pris le temps d’examiner attentivement l’activité ordinaire du quinquennat écoulé, en rappelant les problèmes rencontrés et les solutions adoptées et en cherchant en même temps à prévoir ce qu’il reste à développer et à encourager dans le futur. Nous sommes dans la phase antépréparatoire du cheminement vers le Grand Jubilé de l’an 2000. Dans ma Lettre Apostolique Tertio Millenio Adveniente (3), relevant “que la réunion conciliaire de l’Église, pour être fidèle à son
Maître… a pourvu à la réforme de la liturgie, ‘source et sommet’ de sa vie” (n° 19), je soulignais la nécessité de s’interroger sur la réception du Concile, en particulier en ce qui concerne la liturgie (cf. n 36).
Le « vieux » et le « neuf »
De fait celle-ci, dans son ensemble et en particulier dans la célébration eucharistique, constitue le sommet auquel tend toute l’action de la communauté ecclésiale et, en même temps, la source d’où provient la glorification de Dieu ainsi que la sanctification progressive du croyant dans le cadre de vie qui est le sien. Il était donc nécessaire que la liturgie devînt plus apte pour répondre à l’attente des hommes et plus assimilable aux diverses cultures.
À ce propos je tiens à rappeler aussi, en ce qui concerne la réforme liturgique, en particulier du Rite romain, que vaut toujours ce que j’ai – souligné dans la Lettre Tertio Millenio Adueniente concernant le Concile : “On a souvent dit que le Concile Vatican II marque une époque nouvelle dans la vie de l’Église. Cela est vrai, mais il est difficile de ne pas s’apercevoir en même temps que l’Assemblée conciliaire a beaucoup bénéficié de l’expérience et de la réflexion de la période précédente, plus spécialement du patrimoine de la pensée de Pie XII. Dans l’histoire de l’Église le ‘vieux et le ‘nouveau’ sont toujours intimement mêlés. Le nouveau croît à partir du vieux, le vieux trouve dans le neuf une expression plus pleine” (n° 18). Comment ne pas se souvenir alors que la réforme liturgique est le fruit d’une longue période de réflexion qui remonte jusqu’au temps de l’action pastorale de saint Pie X et qui a trouvé une impulsion particulière dans l’Encyclique Mediator Dei de Pie XII (1947), dont nous commémorerons le cinquantième anniversaire l’an prochain ?
Le but de ce qui a été fait pour la vie liturgique, soit avant le Concile Vatican II, soit dans la période des travaux conciliaires, puis dans celle de la réforme liturgique qui en a résulté comme application autorisée, a été de faciliter l’assimilation de “l’esprit de la liturgie” et, partant de là, la compréhension des actions liturgiques dans leur valeur juste et essentielle.
Il était évident que l’esprit de la liturgie ne pouvait pas être retrouvé au moyen d’une simple reforme. Un vrai et profond renouveau liturgique était nécessaire. De fait un “esprit”, en tant qu’intrinsèquement lié à des actions liturgiques, ne peut se trouver que dans les “ agents humains” de la liturgie appelés à exercer le “sacerdoce du Christ”. Toutefois cela ne signifie pas que l’on puisse se passer des formes à travers lesquelles le sacerdoce du Christ s’exprime et se manifeste, c’est-à-dire les “signes sensibles” dont la liturgie ne peut se passer.
Vers une troisième édition du Missel
Le Concile Vatican II a répondu aux attentes des hommes de notre temps en appelant les croyants, comme je l’ai rappelé dans ma Lettre apostolique Orientale lumen (4), “à montrer avec les paroles et les gestes d’aujourd’hui les immenses richesses que conservent nos Églises dans les trésors de leurs traditions” (n 4). Un de ces “trésors” est certainement le Missale Romanum, dont vous êtes en train de préparer la troisième édition Typique. Dans celui-ci la lex orandi a incorporé l’expérience de foi de générations entières ainsi que bien des traits caractéristiques de cultures qui ont été progressivement transformées en civilisations chrétiennes.
La réforme liturgique a voulu que soit effectué sur une plus grande échelle et avec des modalités adaptées aux temps et aux nécessités ce qui s’est déjà passé d’autres fois dans l’histoire de l’Église, par exemple à l’occasion de l’extraordinaire entreprise pastorale des saints Cyrille et Méthode, c’est-à-dire que “la Révélation soit annoncée de manière adéquate et devienne pleinement compréhensible quand le Christ parle la langue des divers peuples et que ceux-ci peuvent lire l’Écriture et chanter la liturgie dans la langue et avec les expressions qui leur sont propres” (Orientale lumen, n° 7).
La troisième édition typique du Missel Romain vous donne l’occasion de réfléchir sur quelques caractéristiques de ce renouvellement. À ce propos il vaut la peine de rappeler ce que j’écrivais dans la Lettre apostolique Domenicae Cenae (5) :
Même si dans cette étape du renouveau la possibilité d’une certaine autonomie ‘créative’ a été admise, il faut toutefois respecter strictement les exigences de l’unité substantielle. Sur la voie de ce pluralisme (qui découle déjà entre autres de l’introduction des diverses langues dans la liturgie) nous ne pouvons poursuivre que jusqu’à une certaine limite : celle de ne pas supprimer les caractéristiques essentielles de la célébration de l’Eucharistie, et respecter les normes prescrites par la récente réforme liturgique” (n. 12). Et j’ajoutais : “Il faut accomplir partout l’effort indispensable pour que dans le pluralisme du culte eucharistique, prévu par le Concile Vatican II, se manifeste l’unité dont l’Eucharistie est le signe et la cause” (ibid.).
Je sais bien que votre Dicastère est occupé à promouvoir la plus grande fidélité aux lois liturgiques, en rappelant à tous les principes que le Concile œcuménique Vatican II a formulé à ce propos : “Le gouvernement de la liturgie dépend uniquement de l’autorité de l’Église : il appartient au Siège Apostolique, et, dans les règles du droit, à l’évêque. . . C’est pourquoi absolument personne d’autre, même prêtre, ne peut de son propre chef ajouter, enlever ou changer quoi que ce soit dans la liturgie” (Constitution sur la sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium, n° 22).
Silence et adoration
Il doit donc être clair pour tous que, si les experts peuvent apporter un certain éclairage quant aux choix possibles, les décisions en matière liturgique restent de la responsabilité directe de l’autorité ecclésiastique, dont le but est seulement d’encourager la participation liturgique du peuple à la glorification de Dieu, et en même temps de rendre les possibilités de se sanctifier plus accessibles et plus fructueuses à tout croyant.
Aux exigences et à la finalité de la vie chrétienne peut répondre seulement une liturgie qui produise dans le cœur à l’écoute de la Parole et tourné vers l’Eucharistie ce “silence rempli de la Présence adorée” dont j’ai eu l’occasion de parler dans la récente Exhortation post-synodale sur la Vie consacrée (6).
Dans un monde inondé de messages audiovisuels de toute sorte il est nécessaire de reconquérir des zones de silence qui permettent à Dieu de faire entendre sa voix et à l’âme de comprendre et d’accueillir sa Parole (voir Orientale lumen, n° 16). C’est ce qu’enseigne l’exemple lumineux d’innombrables Saints et Bienheureux, qui nous ont précédés en glorifiant Dieu par le recueillement priant de leur vie, et des martyrs, qui ont choisi par amour le “silence” du don total de leur vie en réponse à l’amour de Dieu perçu dans la Parole et dans l’Eucharistie.
Révision du Martyrologe
C’est pour cette raison que la vie chrétienne sera grandement aidée par l’ensemble des réflexions que vous avez développées soit autour du culte des Bienheureux, soit au sujet du Martyrologe ; celui-ci en tant que livre liturgique peut contribuer d’une manière singulière à l’échange de vénération des Saints entre les Églises, comme communication de dons dans l’esprit de la communion des saints. Je sais bien qu’il s’agit d’un travail long et délicat qui occupe depuis plusieurs années la réflexion et le travail de votre Congrégation. Le moment est arrivé de porter à son achèvement ce travail important, pour que le Martyrologe rejoigne les autres livres liturgiques déjà renouvelés. On verra ainsi clairement que la parcimonie avec laquelle le calendrier romain général a fait place aux mémoires des saints pour donner la préséance au Jour du Seigneur et à la célébration de son mystère, ne signifie pas en fait une estime moindre pour tous ceux qui, à commencer par la très sainte Vierge, rendent témoignage par leur vie aux merveilles opérées par la grâce, en sorte que les fidèles non seulement commémorent et méditent les mystères de la Rédemption, mais aussi les rejoignent personnellement, y prennent part et en vivent (cf. Pie XII, Lett. enc. Mediator Dei).
En souhaitant que les travaux de l’Assemblée plénière contribuent à une vie liturgique toujours plus profonde du Peuple de Dieu, j’invoque sur votre Dicastère la constante protection de Marie, modèle insurpassable de l’orante parfaite.
Avec ces vœux, vous remerciant encore une fois pour votre généreuse collaboration, j’accorde à chacun de vous une Bénédiction Apostolique spéciale.
Article extrait de la revue Célébrer n°265, décembre 1996, éditions du Cerf © Tous droits réservés
Notes :
– (1) Cette Assemblée, appelée aussi Plenaria est constituée de 29 cardinaux et de 8 évêques de différents pays du monde. Pour les pays francophones en font partie : Mgr Lustiger, cardinal-archevêque de Paris (France), Monseigneur Poupard, cardinal président du Conseil pontifical de la Culture (France), Mgr Danneels, cardinal-archevêque de Malines-Bruxelles (Belgique), Mgr Gagnon, cardinal président du Comité pontifical pour les Congrès eucharistiques (Canada), Mgr Gantin, cardinal préfet de la Congrégation pour les évêques (Bénin), Mgr Hamer, cardinal préfet de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Congrégations de vie apostolique (Belgique). Mgr Schwery cardinal évêque émérite de Sion (Suisse), Mgr Favreau, évêque de Nanterre (France), Mgr M’Sanda Tsinda-Hata, évêque de Kenge (Zaïre).
– (2) La version française de ce texte a été publiée par 1’ Osservatore romano et reprise par la revue Notitiae, mensuel de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements (nn°359/360, juin-juillet 1996).
– (3)Alors qu’approche le troisième millénaire de l’ère nouvelle, Présentation par le cardinal Jean-Marie Lustiger, Cerf, 1994.
– (4) Documentation catholique 1995, n° 2117, p. 517-531.
– (5) Documentation catholique 1980, n°1783, p. 301-311.
– (6) Documentation catholique 1996, n° 2136.
Télécharger l’article complet en PDF :