Couleurs en Carême
Par Sophie Gall-Alexeeff
La symétrie entre l’Avent et le Carême, temps de préparation aux fêtes de Noël et Pâques, apparaît significativement dans la couleur liturgique. Le violet, synthèse du rouge et du bleu, caractérise dans notre sphère de compréhension catholique une tonalité pénitentielle mais non funèbre. Mais la perception des couleurs reste éminemment culturelle, non seulement dans leur codification (naissance, deuil, joie etc.) mais aussi dans l’appréciation. Qu’est-ce qu’une couleur chaude ou froide ? Chacun de nous a une appréciation assez subjective de ce qui froid, lumineux, gai, etc.
Davantage qu’un code couleur
La couleur n’est pas indépendante du tissu. En effet, il ne s’agit pas d’une couleur en soi mais d’étoffes violettes qui selon leur matière, leur brillance, leur drapé, leur disposition, vont donner un volume à la couleur. Les livres liturgiques désignent le violet comme la couleur des temps de pénitence et de préparation. Mais ce serait bien restrictif que de limiter l’impact de la couleur à une explicitation d’une sorte de langage des signes. L’atmosphère propre aux célébrations du Carême se constitue symphoniquement par la couleur des ornements, à laquelle répond la tonalité des prières, l’absence d’Alléluia… et ceci dans le particularisme de chaque église. Les vitraux, l’éclairage temporiseront le violet selon l’heure du jour et le génie des maîtres verriers.
Des nuances réjouissantes
L’histoire des couleurs dans la liturgie tout en attestant d’une grande diversité des usages, nous apprend que des nuances accompagnaient au plus prés les temps liturgiques. Il reste une forme de survivance de ces nuances quand le 4e dimanche de Carême, le violet vire au rose pour le dimanche du Laetare et, de manière identique, le 3e dimanche de l‘Avent, dimanche du Gaudete.
Voilage et voiles
Outre les ornements liturgiques, on voit parfois des grands voilages tombant de la nef jusqu’à l’autel, renforçant ainsi l’habillage du Carême.
Déjà en 1962, les Notes de pastorale liturgique rappelaient que les multiplications des voiles de la passion qui servaient à couvrir les statues des saints et les croix n’aidaient guère les fidèles à comprendre, risquant de tout mettre sur le même plan. Et ces mêmes Notes invitaient à la mise en valeur d’une croix unique, proche de l’autel « seuls centres d’intérêt pendant le temps de la Passion ». Si on utilise des tissus pour orner l’espace, Il convient de bien mettre évidence les centre de gravité de la liturgie.
L’absence de fleurissement de l’autel prescrit en Carême ainsi que les restrictions apportées dans l’utilisation des instruments de musique (sauf 4e dimanche Laetare) viennent moduler le dépouillement sensible auquel l’Église est conviée.
C’est dans cette « enveloppe » liturgique, suffisamment épurée mais non funèbre que pourra s’épanouir la préparation pascale des fidèles.
« Comme celle des sons, l’économie de la couleur et des stimuli visuels engage ce qu’il faut bien appeler analogiquement une couleur de la religion : lugubre, pénitente, gaie, soucieuse d’éclat ou d’effacement. Mais comment éviter l’alliance du terne et du modeste, de la joie chrétienne et du rose-bonbon, négocier la contradiction entre la bassesse noire ou gris sale du pécheur et la grâce gracieuse (sans doute lumineuse, mais est-ce si sûr ?) du salut ? Et beaucoup de sanctuaires (en dépit des intentions baroques de retour à un suffisant éclairage) n’étaient-ils pas les sanctuaires d’une religion du clair-obscur, économie si subtile, comme on sait, de l’ombre et de la couleur.
Jean-Yves Hameline, extrait de la revue Chroniques d’art sacré, automne 2004, p 31.