Comment composer une prière universelle ?
Avant de se réunir en équipe liturgique ou de se mettre à sa table pour composer une prière universelle, il peut être bon de se remettre devant ce que l’Église nous demande : par cette « prière commune », le peuple des fidèles, « exerçant sa fonction sacerdotale, supplie pour tous les hommes », « à la lumière de la Parole de Dieu ».
Le n° 53 de la Constitution Sacrosanctum concilium sur la sainte Liturgie (SC) désigne cette prière par “prière commune” ou “prière des fidèles”, parce qu’elle est la prière de toute la communauté chrétienne rassemblée dans la célébration de la liturgie. Le texte conciliaire en donne aussi la finalité : « afin qu’avec la participation du peuple, on fasse des supplications pour la sainte Église, pour ceux qui détiennent l’autorité publique, pour ceux qui sont accablés par diverses détresses, et pour tous les hommes et le salut du monde entier. »
Il y a des actions liturgiques autres que la messe, dans lesquelles la “prière commune” est prévue par les rituels : baptême, confirmation, mariage, obsèques. Il est clair que la prière prévue pour une messe dominicale ne conviendrait pas en ces occasions-là. Chaque fois, elle doit être préparée avec soin en fonction du caractère de la célébration.
« Le peuple, exerçant la fonction de son sacerdoce baptismal, présente à Dieu des prières pour le salut de tous » (PGMR n° 69)
Il convient de réaliser que la prière universelle se différencie d’autres moments de prière dans la célébration liturgique : la préparation pénitentielle est une prière pour les pécheurs ici rassemblés qui se préparent à entrer dans l’Eucharistie ; les intercessions à l’intérieur de la prière eucharistique sont des prières pour le corps du Christ et son unité sans cesse recherchée par l’Eucharistie ; les invocations du chant de la fraction (Agneau de Dieu) sont les prières de ceux qui vont recevoir le pain rompu. La prière universelle est le moment où chacun, dans l’assemblée liturgique, se décentre de lui-même, où l’assemblée liturgique toujours particulière se situe dans l’Église universelle et dans le monde.
Par la prière universelle, chaque assemblée fait entrer dans sa prière tous ceux qui ne sont pas là. Comme la Présentation générale du Missel romain (PGMR), la Présentation générale du Lectionnaire romain (PGLR) le dit à sa manière : « Dans la prière universelle, l’assemblée des fidèles prie à la lumière de la parole de Dieu, à laquelle elle répond en quelque sorte. Elle prie normalement pour les besoins de toute l’Église et de la communauté locale, pour le salut du monde, pour tous ceux qui sont accablés par toutes sortes d’épreuves, pour certains groupes de personnes » (n° 30).
Quand on a rédigé la prière universelle pour une célébration, on doit toujours se poser la question : ce qui est préparé est-il vraiment universel ?
« L’assemblée des fidèles prie à la lumière de la parole de Dieu » (PGLR n° 30)
La prière universelle fait partie de la liturgie de la Parole. Même si elle n’est pas absolument bâtie à partir des lectures du jour, elle ne doit pas apparaître comme un bloc à part, étranger à ce qui a précédé, mais au contraire « répondre en quelque sorte » à la parole de Dieu. On ne peut rédiger l’ensemble des intentions sans tenir compte de l’Évangile qui sera proclamé, ni sans savoir sur quels points particuliers des lectures portera l’homélie. Il est donc normal que l’on fasse attention au contenu des lectures, qu’un contact soit pris avec le prêtre chargé de l’homélie. On pourrait trouver avantageux que le refrain de la prière universelle s’inspire du psaume responsorial : bien des versets sont des demandes d’exaucement. Il m’est plusieurs fois arrivé, – exercice périlleux, mais bénéfique ! – ayant la responsabilité d’une prière universelle, soit de la composer pendant l’homélie que j’écoutais, soit de modifier ce qu’une équipe liturgique avait prévu, en fonction de certaines paroles marquantes de l’homélie.
« Les demandes doivent être brèves » (PGLR n° 30)
Si la Présentation générale du Lectionnaire romain ajoute aux documents précédents des indications sur la forme, c’est sans doute que certaines manières de faire, trop répandues, devaient être quelque peu corrigées. Les demandes doivent être brèves. Elles ne doivent pas être des additions à l’homélie, ni de nouveaux commentaires de l’Écriture, ni des confessions de foi de tel ou tel groupe, ni des considérations particulières sur tel ou tel aspect de la société, ni des explications données à Dieu sur ce qu’il devrait faire. Et l’on peut remarquer que l’Église demande de prier essentiellement pour des personnes, non pour des abstractions, ou des « thèmes ».
Une fois la prière rédigée, on peut se poser la question : Qu’est-ce qui n’étant pas absolument nécessaire rallonge inutilement et doit être supprimé ?
Plusieurs formes sont actuellement d’usage courant :
- Prions pour N. et N. … + Refrain …
- Prions pour N. … afin que… + Refrain …
- Aujourd’hui, dans l’Église … nous … ; prions pour … afin que… et que… etc. + Refrain …
Les formes brèves, plus concises, moins bavardes, sont les meilleures. Il est préférable que toutes les demandes soient de même structure et de longueur à peu près égale, afin que l’attention de l’assemblée en soit facilitée.
« … composées de manière libre et réfléchie » (PGLH n° 30)
Il y a celles qui sont prévues par les livres liturgiques. L’exemple le plus fameux est celui de la liturgie de la Passion du Seigneur célébrée le vendredi saint. Dans celle-là même, le Missel prévoit : « Pour une grave nécessité publique, l’Ordinaire du lieu peut autoriser ou imposer une intention spéciale »(1).
Il y a celles que l’on peut choisir parmi d’autres, comme dans le cas des rituels pour la célébration des sacrements et des funérailles. Et dans ces cas-là, le n° 70 de la PGMR, après avoir dit la structure habituelle de la Prière universelle, invite à la liberté : « Dans une célébration particulière, comme une confirmation, un mariage ou des obsèques, l’ordre des intentions pourra s’appliquer plus exactement à cette occasion particulière. »
Il y a celles qui, de fait, « doivent être composées de manière libre. » De manière libre : sans qu’aucune revue ne puisse imposer des solutions idéales au rayon du « prêt‑à‑prier ». Libre : en sachant que les livres liturgiques proposent des « modèles » approuvés par l’Église pour modeler la prière et la foi de ses enfants.
C’est sans doute cela qui est visé par le texte qui dit : « composées de manière libre et réfléchie » Réfléchie : en tenant compte de ce que fait habituellement l’Église. Réfléchie : en tenant compte de toute la liturgie de la Parole qui a précédé. Réfléchie : en tenant compte de ce qui intéresse et l’Église dans le monde, et le monde où est immergée l’Église de ce temps. Réfléchie : en se demandant si telle expression à laquelle je tiens convient bien à l’assemblée qui va la recevoir…
« Que l’on fasse des supplications » (SC 53)
La forme générale de la prière universelle est la supplication, et non point la bénédiction ou l’action de grâce, qui ont leur place ailleurs dans la liturgie. Et l’on sait que, selon les recommandations que Saint Paul (1 Timothée 2, 1-2) fait « avant tout » à Timothée, son « véritable enfant dans la foi », il y a une « organisation » de ces supplications pour qu’elles soient vraiment universelles.
La Constitution conciliaire sur la liturgie l’indique clairement, tout comme la Présentation générale du Missel romain : il s’agit de prier pour les besoins de l’Église ; pour les dirigeants des affaires publiques et le salut du monde entier ; pour tous ceux qui sont accablés par une difficulté ; pour la communauté locale (cf. PGMR n° 70). Pourquoi entend-on si peu souvent dans nos assemblées des noms propres de responsables politiques, chefs de partis ou syndicalistes, d’hommes d’Église et des différentes Églises, de chercheurs, d’acteurs de cinéma, de compositeurs, de bienfaiteurs, de prisonniers, de condamnés… ?
« Sous la direction du prêtre… » (PGLR n° 30)
Les Tout le monde ne fait pas tout et n’importe quoi dans cette prière de tous les fidèles. Comme le précise le n° 71 de la PGMR, « c’est au prêtre célébrant de diriger la prière, de son siège. Il l’introduit par une brève monition qui invite les fidèles à prier ». Ainsi le prêtre parle d’abord à l’assemblée – dont il fait aussi partie -, pas à Dieu. La monition doit être brève. Le texte peut en être proposé par l’équipe liturgique, mais non imposé, car c’est le prêtre qui dirige la prière. C’est à lui aussi qu’il revient « de la conclure par une oraison. » Ce n’est pas pour reprendre la parole après les autres, mais pour regrouper toutes les intentions formulées et demander qu’elles soient entendues de Dieu et exaucées, en s’adressant directement à lui. Le Missel romain donne des invitatoires et des prières conclusives « modèles ».
Les intentions « sont dites de l’ambon, ou d‘un autre lieu approprié, par le diacre, un chantre, un lecteur ou un autre fidèle laïc ». Puisqu’elles ne sont pas dites par le prêtre, elles ne sont habituellement pas adressées à Dieu, comme le seraient des prières. Ou quand elles le sont : « Nous te prions, Seigneur, pour… », c’est seulement pour amorcer et conduire la prière de l’assemblée, donner une orientation en lui suggérant les premiers mots.
« Le peuple, debout, exprime sa supplication, soit par une invocation commune après chacune des intentions, soit par une prière silencieuse ». À ce moment-là, l’assemblée s’adresse à Dieu. On peut imaginer aussi que l’orgue, ou d’autres instruments de musique « formulent » la réponse silencieuse de l’assemblée par une brève improvisation, adaptée à chaque intention. Cela exige une grande compétence musicale et un vrai sens de la liturgie.
Une fois la prière universelle ainsi rédigée, il faut encore veiller à ce qu’elle soit unifiée : la monition du prêtre, la supplication, l’oraison conclusive sont-elles tournées vers la même personne invoquée ? l’invocation de l’assemblée est-elle bien suppliante ? L’équilibre de l’ensemble va-t-il permettre « que le fruit de la liturgie de la Parole, achevé en lui-même, puisse passer plus pleinement dans la liturgie eucharistique » (PGLR n° 30) ?
Tel est l’enjeu de la prière universelle, à l’articulation de la Parole et de l’Eucharistie.
Version actualisée d’un article du père Didier Rimaud, († 2003) prêtre jésuite, poète et compositeur français de chants chrétiens. Cette actualisation a permis d’intégrer la dernière édition du Missel comme de la PGMR.
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1. Dans la version initiale de l’article, l’auteur relevait cette autre mention du missel : « Le prêtre peut choisir, parmi les intentions proposées (…), celles seulement qui sont les plus aptes à nourrir la prière de l’assemblée, de manière toutefois que soient conservées les séries habituelles de la Prière universelle (mentionnée dans la PGMR). ». Cette rubrique a disparu dans la nouvelle traduction francophone du Missel romain entrée en vigueur en 2021.
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