Vivre la pénitence : les pistes du rituel
« Dieu fais-nous revenir » (Psaume 79). Ce cri du psalmiste devient souvent le nôtre, lorsque nous réalisons, qu’à cause de notre faiblesse ou du péché, nous avons besoin de renouer avec lui ou tout simplement d’intensifier notre vie baptismale. Chacun alors pense spontanément au sacrement de la pénitence et de la réconciliation, qui représente le chemin de la conversion privilégié dans l’Eglise latine depuis le Moyen Age jusqu’à une période récente. Or les circonstances nous empêchent parfois de prendre ce chemin [1]. Aussi-est‑il intéressant d’ouvrir Célébrer la pénitence et la réconciliation, le Rituel du sacrement.
On y lit que, si le sacrement en est bien un « sommet », la réconciliation avec Dieu et avec l’Église « se réalise de multiples façons » (n. 8). D’autres chemins de conversion sont là, comme des « sources » pour irriguer notre vie chrétienne de l’esprit pénitentiel qui aide à se rapprocher du Christ. Tout le monde n’ayant pas ce livre sous la main, cet article voudrait simplement en dégager cette idée majeure : se convertir demande du temps, des prises de conscience et des moyens multiples qui se renforcent les uns les autres…
Même dans le sacrement, la conversion est un processus qui prend son temps
Ainsi, même dans la forme sacramentelle, la pénitence et la réconciliation ne se limitent pas au moment de la confession et de l’absolution. Selon le rituel (toutes les citations qui suivent entre guillemets en proviennent), la démarche du sacrement s’appuie sur toute une dynamique :
1.- Avoir pris conscience que ma vie n’est pas en cohérence avec l’Evangile. Je m’en rends compte en lisant ou en écoutant la Parole de Dieu, qui « révèle en même temps la dignité insoupçonnée de l’homme et la profondeur insoupçonnée du mal » ; en relisant ma vie, en réfléchissant aux conséquences de mes paroles, de mes actes ou de mes attitudes, en repérant mes failles ou les faiblesses dans mes relations, mon jugement, mes intentions, mes désirs… je prends le chemin de la conversion : « En prenant conscience de la relation de toute leur vie au Dieu vivant, les hommes peuvent reconnaître comme péché leurs fautes morales ». Identifier ses torts, ses péchés, participe déjà à la conversion, car cela suppose de rentrer en soi-même et regarder sa vie avec lucidité ; le discernement du confesseur peut participer à cette identification.
2.- Avoir confiance en la miséricorde infinie de Dieu. Sans la confiance que nous serons pardonnés, nous ne pouvons demander pardon, comme le suggère par exemple cette formule que le prêtre peut adresser au pénitent : « Que l’Esprit Saint vous éclaire pour trouver confiance dans la miséricorde de Dieu et vous reconnaître pécheur ». Alors, la demande de pardon est possible.
3.- Vouloir changer ce qui est apparu déréglé ou fautif : ceux qui se convertissent « s’efforcent de changer dans leur existence tout ce qui les détourne de Dieu et de leurs frères ». Ils peuvent alors inscrire la conversion dans des gestes ou des actes qui seront des « signes de conversion et de pénitence ». C’est ainsi que le Rituel qualifie ce qu’auparavant on appelait la « satisfaction ». Il en précise la valeur et le sens : « Ce signe de conversion ne doit pas être perçu seulement comme une compensation pénible tournée vers le passé, mais comme un premier pas, un acte de liberté, qui annonce une situation nouvelle et la réconciliation à l’œuvre dans l’Eglise ». Il « correspondra plutôt à un changement d’attitude intérieure, qui pourra conduire à un changement de comportement, à des ruptures et à des actes concrets exprimant la volonté de conversion ». Enfin, le Rituel précise que « souvent, ce signe aura déjà trouvé un début d’accomplissement avant même le sacrement. Le dialogue sacramentel révèle alors que le pénitent est déjà dans le mouvement de la conversion ».
On voit ainsi que la pénitence vécue dans le sacrement est un processus qui commence bien avant la célébration. Plus généralement, cela est riche d’enseignement lorsqu’on cherche à mener une vie qui veille à revenir sans cesse vers Dieu. Relire nos vies à la lumière de la Parole de Dieu, prendre conscience lucidement de nos insuffisances et de nos fautes est une démarche proprement pénitentielle qui peut se faire en tout temps, qu’elle soit ou non préparatoire au sacrement : il est toujours possible de rentrer en soi-même, de s’examiner, de désirer être purifié de ses péchés, de demander pardon au Père et aux autres…
Diverses pratiques enrichissent et déploient la conversion
Se convertir demande donc du temps, même dans le sacrement, et on lit également que, « pour produire pleinement ses fruits de conversion, le sacrement doit pouvoir s’appuyer sur les différentes pratiques pénitentielles et se prolonger en elles » (n° 17). Le Rituel énumère ainsi différentes pratiques (cf. n. 8) capables d’aiguiser notre désir de conversion ou de déployer celle-ci dans le quotidien :
1.- Le pardon mutuel. Ce temps de confinement nous laisse peut-être un peu de temps pour repenser à nos relations les uns avec les autres, que nous vivions avec eux au quotidien ou à distance, et à chercher les moyens de les assainir, de les renouer, de les reposer. Les communautés religieuses et monastiques nous donnent l’exemple du « chapitre des coulpes », un temps de demande mutuelle de pardon pour les fautes commises envers un ou plusieurs membres de la communauté.
2.- Le partage, l’entraide, l’aumône, le soin des autres, sous différentes formes, tout engagement au service d’autrui et surtout des plus pauvres. Les appels ne manquent pas, et on peut y répondre par les moyens de communication possibles, les services rendus aux personnes seules ou fragiles…
3.- La lutte pour plus de justice dans les rapports interpersonnels et sociaux : notre vie, si elle est ralentie, nous laisse du temps pour penser aux changements que la vie en société requiert, à ce qu’il faudrait faire évoluer en termes de relations, de pratiques, de mentalités, et à la manière dont on peut y contribuer.
4.- La prière personnelle : l’oraison, le dialogue avec le Christ, l’intercession (pour les malades et ceux qui les soignent, pour les proches dont nous sommes séparés, pour la vie des femmes et des hommes de ce monde…).
5.- La prière communautaire : en famille ou en communauté, mais aussi la prière des Heures (surtout les prières du matin et du soir, Laudes et Vêpres ou Complies), que nous pouvons suivre dans un livre de liturgie des Heures, par une revue comme Magnificat ou encore par le site de l’AELF qui met à disposition le déroulement des offices (https://www.aelf.org/)
Les Pères de l’Eglise ont largement développé ces pratiques pénitentielles qui aident les baptisés à progresser dans leur vie chrétienne et à vivre en actes la conversion et le pardon de Dieu : le jeûne, la lutte contre les vices et les passions, l’aumône, la prière du Notre Père… A titre d’exemple, citons simplement un extrait du sermon de saint Augustin sur le symbole aux catéchumènes : « Pour le pardon de tous les péchés, le baptême a été inventé ; pour les péchés légers, que nous ne pouvons éviter, c’est la prière [du Notre Père]. Que dit la prière ? « Remets-nous nos dettes, comme nous remettons à nos débiteurs »».
Tous ces enseignements de la liturgie et des Pères rappellent que la pénitence, c’est d’abord un état d’esprit, une manière de vivre tous les jours la condition chrétienne qui cherche à mettre en pratique concrètement le commandement de l’amour de Dieu et du prochain. Et pour cela, il importe, d’une part, de repérer des moments ou les lieux de notre vie où il est mis en œuvre de manière déficiente, et, d’autre part, de travailler les vertus qui rendent plus proches de Dieu et des autres : la patience, la générosité, la bienveillance, l’humilité, la douceur etc…
Quand le sacrement de pénitence est-il nécessaire ?
Toutes ces pratiques de pénitence continuelle peuvent être mises en œuvre partout où l’on est. Même en étant confiné, seul ou à plusieurs, elles sont d’authentiques « sources » de vie pénitentielle. Mais le sacrement de la pénitence et de la réconciliation offre simultanément un « sommet » à travers duquel le Christ nous assure de sa présence. Quand est-il nécessaire ?
Pour se poser sereinement la question, il est bon de se rappeler que, dans sa forme ordinaire actuelle, le sacrement n’a pas toujours été une pratique courante et ne l’est d’ailleurs toujours pas partout. Cela n’enlève rien à sa valeur mais permet de prendre du recul :
* A l’époque ancienne, la pénitence se vivait essentiellement quotidiennement, par les pratiques telles que celles décrites par Augustin. On considérait qu’elles remettaient les fautes que nous commettons immanquablement chaque jour, qui faussent notre rapport à Dieu et aux autres. Une autre forme de pénitence, une procédure longue et coûteuse, était réservée pour les fautes graves (par exemple le meurtre ou l’apostasie).
* Aujourd’hui, dans les régions peu peuplées, ou peu fournies en prêtres, comme en Amazonie, dans certaines régions d’Afrique ou d’Asie, le sacrement ne peut être qu’occasionnel, lié non pas aux temps liturgiques, mais au passage d’un prêtre. Mais on y vit aussi le carême comme un temps de pénitence et de conversion et on vit les autres pratiques.
A ceux qu’inquiète néanmoins l’impossibilité, pour diverses raisons, de se confesser, l’Eglise donne les points de repère suivants :
- Le sacrement de la réconciliation est nécessaire seulement en cas de faute grave (qu’on appelle aussi, dans la tradition de l’Eglise, « péché mortel »), celle qui détruit notre relation aux autres et à Dieu et anéantit ainsi notre vie spirituelle : « Lorsque l’on a péché gravement, le recours au sacrement est nécessaire pour être réconcilié avec Dieu et avec l’Eglise. Aussi ceux qui se sont écartés de la communion à l’amour de Dieu sont rappelés par le sacrement de la pénitence à la vie qu’ils avaient perdue ». Bien avant, le concile de Trente l’avait affirmé explicitement. Pour les autres, les péchés dits « véniels » ou « quotidiens », la confession est profitable, recommandée, mais non « nécessaire », car « la conversion est d’abord une œuvre de la grâce de Dieu qui fait revenir nos cœurs à lui » (Catéchisme de l’Eglise catholique n. 1432) et cette prévenance de Dieu se manifeste d’ailleurs aussi à travers l’ensemble des sacrements, chacun à sa manière.
- Un baptisé qui est empêché de recourir au sacrement de la réconciliation pour des raisons circonstancielles, indépendantes de sa volonté, ne commet pas de faute, mais il est invité à découvrir et mettre en pratique les autres œuvres pénitentielles, à vivre la pénitence intérieure, selon l’expression du Catéchisme de l’Eglise catholique (n. 1431), à demander et à accueillir le pardon de Dieu, dans l’attente de la possibilité de recevoir à nouveau le sacrement qui manifestera le pardon reçu.
- Le pape François, dans son homélie du vendredi 20 mars 2020, prononcée en pleine pandémie, résumait ainsi l’attitude intérieure à adopter : « Si tu ne trouves pas un prêtre pour te confesser, parle à Dieu, il est ton père, et dis-lui la vérité : « Seigneur, j’ai fait ceci, cela, cela … Pardonne-moi », et demande-lui pardon de tout mon cœur, avec l’Acte de contrition et promets-lui : « Je me confesserai plus tard, mais pardonne-moi maintenant ». Et immédiatement, vous reviendrez à la grâce de Dieu. Vous pouvez vous-même approcher, comme le Catéchisme nous l’enseigne, le pardon de Dieu sans avoir un prêtre à portée de main. Pensez-y : c’est le moment ! Et c’est le bon moment, le moment opportun. Un acte douloureux bien fait, mais qui fera que notre âme deviendra blanche comme neige ».
Confiance ! Selon la tradition de l’Église, les enseignements du Rituel de la pénitence et, plus récemment encore, cette homélie du pape, le Seigneur ne laisse jamais démunis ceux qui le cherchent et veulent s’approcher de lui pour mener « une vie de plus en plus fidèle » (prière d’ouverture du premier dimanche de carême). « Fais nous revenir à toi Seigneur ! » A nous de prendre les différents chemins qu’il met à notre disposition pour l’approcher !
L’équipe du SNPLS
[1] Une première version de cet article a été écrite en 2020 lors du confinement. A l’époque, c’est donc l’épidémie liée à la Covid-19 qui privait alors de la possibilité de recevoir le sacrement. Mais d’autres empêchements peuvent existent et la réflexion proposée dans l’article vaut au-delà de tel ou tel contexte.