Les entrées en célébration

Procession d'entrée de la messe des Cendres.

1 mars 2017 : Procession d’entrée avec les servants de messe portant les cierges, lors de la célébration de la messe des Cendres. Paroisse Saint-Denys-du-Saint-Sacrement à Paris (75), France.

Par Sophie Gall-AlexeeffDirectrice de rédaction de la revue Célébrer

Il ne s’agit pas du premier chapitre d’un livre de cuisine (!) mais d’interroger les différents moyens par lesquels nous entrons en célébration. La structure des rites d’ouverture de la messe (entrée des ministres et chant-introït, Kyrie, prière) nous est familière. Mais on peut aussi se rappeler l’entrée spécifique du dimanche des rameaux (et de la Passion du Seigneur), de la Présentation du Seigneur, ou encore l’entrée lors de la célébration d’un baptême d’enfant.

Spiritualité de l’entrée

Entrer dans la liturgie, c’est d’abord clarifier ce en quoi consiste l’action liturgique. C’est pourquoi, les rites initiaux ont à la fois un rôle pédagogique, ils conduisent progressivement à réaliser la communion entre les fidèles et le Christ, et aussi une fonction initiatrice en étant…des rites (paroles, gestes, espace, etc.). En tant que rites, les éléments de l’ouverture de la célébration ouvrent les fidèles à une vision épiphanique des objets, paroles, lieux et personnes. Ils font entrer dans une autre dimension, celle du mystère. L’entrée est donc une « entrée en liturgie » (selon le beau titre du livre de F. Debuyst sur l’œuvre de R. Guardini). Les questionnements qui surgissent portent sur la capacité de nos contemporains à entrer dans une dimension mystérique. Et aussi sur la capacité de nos mises en œuvre liturgiques à faire entrer dans le mystère.

Entrer, commencer, ouvrir

Le début de la célébration est qualifié de plusieurs manières. La Présentation générale du missel romain parle de rites « initiaux » (46), de chant d’entrée (47) et de prière d’ouverture (54). Et il est précisé au n° 46 que les rites qui précèdent la liturgie de la Parole (chant d’entrée, salutation, acte pénitentiel, Kyrie, Gloria, et prière d’ouverture) ont le caractère d’une ouverture, d’une introduction et d’une préparation. A cela s’ajoute la recommandation du silence dans l’église avant la célébration (voir Célébrer 393- le silence dans la liturgie, p. 40).

Le but de ces rites « est que les fidèles qui se réunissent réalisent une communion et se disposent à bien entendre la parole de Dieu et à célébrer dignement l’eucharistie » (46).

Métaphore musicale

Le Missel intitule cette première partie de la messe « Ouverture de la célébration ». Le terme d’« ouverture » est d’abord à comprendre comme l’emploient les musiciens : l’ouverture d’une symphonie, d’un opéra … Tous les thèmes musicaux apparaissent mais avec légèreté et brièveté, éduquant l’oreille à les reconnaître quand le moment sera venu.

Le marquage des lieux

L’assemblée

Il est significatif que le premier élément mentionné par le Missel soit le rassemblement des fidèles : « Lorsque le peuple est rassemblé, le prêtre s’avance vers l’autel… ». La traversée des fidèles par la procession d’entrée des ministres suivant la croix et/ou le livre des évangiles, est déjà en soi polyphonique. D’autant plus qu’elle s’effectue pendant le chant d’entrée. Ce chant à lui seul est chargé de tous les motifs du rite : ouvrir la célébration, favoriser l’union, accompagner la procession.

Cette entrée processionnelle, si elle est à première vue fonctionnelle (aller de la sacristie au chœur), produit l’effet attendu : « ça commence ». Davantage qu’un signal, elle atteste du passage au registre rituel. Ce qui suivra sera alors perçu dans ce même registre, celui où les objets, personnes, lieux, paroles signifient autre chose que leur matérialité.

Dès la procession d’entrée, le ministère des prêtres (voire diacre et évêque) apparaît articulé sacramentellement à celui des baptisés qui se sont rassemblés. La mise en œuvre de cette procession ne relève d’une précision maniaque mais demande surtout un état d’esprit ministériel de service de l’assemblée-Église. Point de gloire ou de bain de foule dans cette procession. Point d’attitude voyeuse dans le regard des fidèles.

L’autel et l’évangéliaire

L’autel est le deuxième lieu par ordre d’apparition rituelle. « Quand il (le Christ) s’offre pour notre salut, il est à lui seul l’autel, le prêtre et la victime » (5e Préface de Pâques). La PGMR (49) prévoit qu’il soit salué et vénéré (et éventuellement encensé ainsi que la croix). La liturgie concentre l’attention sur un lieu, l’autel, doublé d’un objet, l’évangéliaire. Les liturgies anciennes témoignent de cette vénération envers ces deux représentations du Christ. Ce n’est qu’à partir du XIIe s. que s’ajoutera un nouvel objet à saluer : le crucifix, désormais posé sur l’autel.1

Les motifs « parole » et « eucharistie » sont en quelque sorte « joués » dès l’ouverture avant d’être déployés dans la suite de la liturgie.

Lire : L’évangéliaire et l’autel

Entrer dans une autre dimension

Notre vénération, notre piété ne s’adresse jamais à la « matière », elles visent ce que celle-ci révèle, ce dont elle est une épiphanie.

58. Schmemann, l’eucharistie, sacrement du Royaume, 2005, YMCA-Press, p. 58.

Le siège de présidence2

De ce lieu, le prêtre qui préside fait le signe de croix avec toute l’assemblée puis la salue. L’échange de salutations manifeste le mystère de l’Église rassemblée (Pgmr 50).

De l’entrée physique dans l’église, nous voici entrés dans le mystère de l’Église, dans sa nature sacramentelle qui traduit la présence du Christ et de son corps.

La première visée des rites initiaux qui demandait que les fidèles rassemblés réalisent une communion est en passe de s’accomplir. Elle est réalisée dans la communion trinitaire. Convoquée dès le signe de croix et la salutation, la Trinité sera exaltée dans l’hymne du Gloria et appelée dans la prière d’ouverture3.

L’entrée céleste

Précédées d’une préparation pénitentielle, le Kyrie et le Gloria mettent l’assemblée en présence du Kyrios-Seigneur, que nous nommons aussi « Seigneur », « Saint », « Le Très-Haut » dans l’hymne trinitaire du Gloria. Nous gagnerions à nous dégager d’une redondance pénitentielle, vestige du Confiteor de l’avant-messe du Missel de saint Pie-V (voir l’interview de P. Béguerie p. 4), pour nous laisser attirer par la présence salvifique du Seigneur.

L’entrée est aussi l’ouverture des Cieux, « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre », à laquelle nous mène la liturgie. Dans le Christ, la gloire de Dieu s’est ouverte à nous. Ceci est assez semblablement en jeu avec le chant du Trisagion qui conclut les rites d’entrée dans la liturgie byzantine.

La prière de l’assemblée

La prière dite « d’ouverture » laisse parfois perplexes ceux qui préparent les célébrations, car cette prière semble plutôt conclure.

Dans la langue française, l’ouverture désigne, en même temps qu’un commencement, l’action d’ouvrir ce qui était fermé. C’est aussi un orifice ou encore la première phase d’une négociation. Toutes ces acceptions donnent à penser à la liturgie.

Portée par une gestuelle et par le silence, cette prière est de la plus pure facture puisque qu’elle est à la fois une louange (en nommant Dieu « éternel, tout-puissant, miséricordieux, toi qui… ») ; une demande (l’objet de l’oraison) ; et une invocation trinitaire (« par Jésus… »).

La prière d’ouverture prononcée par le prêtre est la prière de l’assemblée : « Prions ensemble ». Au terme des rites d’ouverture, l’assemblée accède pleinement à sa fonction liturgique.

Une préparation mystérique

L’autre objectif de ces rites d’ouverture était la préparation à la Parole et à l’eucharistie. Cette préparation n’est pas didactique mais mystérique. La liturgie n’a pas décrit ce qui allait se passer mais nous y a fait entrer. Elle nous a fait entrer en relation avec un Dieu personnel, que l’on peut nommer sans crainte et ainsi préparés à entendre les Écritures comme étant la parole que Dieu nous adresse. Elle nous fait entrer en communion, prémices de l’échange eucharistique où le Christ « devient tellement l’un de nous que nous devenons éternels » (3e Préface de la Nativité). Même s’il n’y a pas eu de déplacement physique, l’assemblée est orientée vers l’évangile et l’autel.

« Le sacrement de l’entrée » comme l’écrit le P. Schmemann constitue bien plus qu’une mise en condition. Il est mise en présence, entrée en soi, entrée en communion, entrée en Dieu. On invoque souvent l’accueil comme première qualité du vivre ensemble mais l’accueil risque d’être qu’une idéologie si l’espace liturgique ne rend pas visible les différents lieux et objets, si les déplacements sont réduits à leur portion congrue, si les adresses à Dieu ou aux fidèles ne sont pas des paroles en acte.

Le soin apporté aux manières d’entrer, dès les portes de l’église, et surtout quand l’assemblée est peu habituée aux pratiques religieuses, est essentiel pour permettre une entrée authentique « en » liturgie. Un déficit de mise en œuvre des rites d’ouverture ne serait-il pas à l’origine de l’extériorité, voire du sentiment d’étrangeté qu’il nous arrive parfois de ressentir ?

1. J.-A. Jungmann, Missarum sollemnia, t.II,  1952, Aubier, p.63.

2. Voir aussi le propos de P. Béguerie « L’autel représente le Christ. Le prêtre n’est plus propriétaire de l’autel… », p. 6.

3. « … qui selon l’antique tradition de l’Église s’adresse habituellement à Dieu le Père, par le Christ, dans l’esprit-Saint, et se termine par une conclusion trinitaire » Pgmr 54.

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