La double figure du Christ : pasteur et serviteur
Par Pierre Faure, Jésuite, diacre et responsable du Centre spirituel de Penboc’h (56)
Ces deux figures sont désignées par Jésus lui-même : « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22, 27), et « Je suis le vrai berger » (Jn 10, 11). Ce « Je suis » de Jésus nous rappelle la même affirmation de Dieu, en réponse à la question de Moïse : « Je suis celui qui suis » (Gen 3, 14). « Je suis » est le nom par lequel Dieu veut être appelé. Dans la bouche de Jésus cette expression souligne donc pour nous que Jésus est pasteur et serviteur, en tant qu’il est Dieu. Il s’agit du cœur de son identité, de son rôle et de sa mission.
Ces deux figures sont déjà très présentes dans le premier testament, que l’on pense par exemple au psaume 22 « Le Seigneur est mon berger… », ou aux chants du Serviteur, dans le livre d’Isaïe. Bien d’autres figures annoncent aussi le Messie attendu : le roi, le prophète, le prêtre, le juste, le sage, le pauvre, etc. Toutes ces figures se complètent, s’enrichissent et s’accomplissent dans la figure du Christ, le Fils unique. Et l’on peut chanter : « Il est l’Agneau et le Pasteur, il est le Roi, le Serviteur. (ZL 22-2) » Voilà la spécificité du mystère chrétien : celui qui était « en forme de Dieu » a été vu « en forme de serviteur » (Ph 2, 6-7). Lui seul, parce qu’il vient de Dieu, peut porter toutes les figures. Et le voyant de l’Apocalypse écrit : « l’Agneau qui se tient au milieu du Trône sera leur pasteur pour les conduire vers les eaux de la source de vie. » (Ap 7, 17).
Dans l’Église
Dans le peuple de Dieu, comme corps du Christ, les dons divers sont répartis en chacun pour le bien du corps entier, comme le décrit Paul (1 Co 12, 27-30) : apôtres, prophètes, enseignants, ceux qui ont le don de guérir, d’aider les pauvres, de servir, de faire des miracles, de dire des paroles inspirées, etc. Tous ne font pas tout. Mais, progressivement, vont se mettre en place des ministères de la communion de toutes ces différences, et de la représentation publique de la présence du Christ. Ainsi vont émerger les deux figures du pasteur, portée par l’évêque (puis aussi par le prêtre), et du serviteur, portée par le diacre. De manière que dans la vie de l’Église, dans son gouvernement et dans sa liturgie, soit toujours visible et lisible, que le Christ, vrai berger qui guide et conduit son peuple, est parmi nous comme celui qui sert, qui livre sa vie pour le salut de tous. Sorte de vision binoculaire de l’identité profonde du Christ, manifestée dans l’action liturgique par les ministres ordonnés « en qui le Christ est réellement présent ». [Présentation générale du Missel romain (Pgmr) n. 27].
Dans la liturgie
Dans la liturgie eucharistique l’évêque ou le prêtre, comme pasteurs, portent le ministère de présidence. Présider ne veut pas dire tout faire, mais faire faire, respecter, valoriser et donner de l’autorité à chaque service, à chaque « servant/servante » qui intervient dans la célébration. Le service propre de présidence est de tenir l’assemblée en prière, en s’adressant à Dieu au nom du peuple rassemblé. Pour cela, celui qui préside est déchargé de plusieurs services importants. A commencer par la proclamation de l’Évangile qui est confiée au diacre-serviteur, ou, s’il n’y a pas de diacre, à un autre prêtre que le président, si plusieurs prêtres concélèbrent (Pgmr n. 59). Le verset de l’Alleluia revient au chantre ou à la chorale.
Les indications à donner aux fidèles (geste de paix, envoi, attitudes, etc.) le sont par le diacre.
Le pain et le vin apportés par les fidèles sont accueillis à l’autel par le prêtre et le diacre qui prépare aussi la table pour le repas du Seigneur. Puis, pendant toute la prière eucharistique, prononcée par le président au nom des fidèles, le diacre garde le silence, comme configuré au Serviteur, « comme une brebis muette, il n’ouvre pas la bouche. » (Is 53, 7). Et tout fidèle peut voir en même temps les figures du pasteur et du serviteur, pris ensemble dans le mouvement pascal du mémorial eucharistique. Enfin à la conclusion (doxologie) de la prière eucharistique, le président élève le pain-corps, et le diacre, (toujours en silence) le vin-sang, signe de la vie donnée. Alors, pour ce « sommet de toute la célébration (Pgmr n. 78) » les deux figures s’associent et s’unissent, présentant ensemble au Père, le Christ unique devenu nourriture pour les membres de son Corps. Et le peuple acclame : « Amen ».
Le service d’abord
En parlant du pasteur et du serviteur on peut laisser croire que ces deux figures sont dans une sorte d’égalité, et cela est vrai, mais seulement dans le Christ lui-même. Par contre, dans la vie de l’Église, tous les fidèles, quel que soit leur rang et leur rôle, sont appelés à servir, mais quelques uns seulement (évêques, prêtres) sont ordonnés comme pasteurs. Et, dans l’Église catholique, tous les évêques et les prêtres ont d’abord été ordonnés diacres. Comme pour indiquer que l’on n’entre au service du Christ que par le chemin du serviteur. Et c’est bien le service qui est premier, puisque l’on parle du « service » de présidence. A la lumière du Christ et de son Évangile, présider, gouverner, exercer l’autorité sont une forme de service, aussi bien dans l’Église que dans la société.
De ce point de vue des distorsions sont parfois présentes dans les assemblées chrétiennes aujourd’hui. Pour des funérailles animées par des laïcs, c’est la manifestation de la présidence qui est en déficit. Mais pour un baptême ou un mariage présidé par un prêtre terriblement seul, qui a tout à faire, sans aucune aide, c’est la figure du service qui est en déficit. Dans les deux cas, la double figure, constitutive du Christ, est absente. Il est important que soit manifestée aux fidèles toute la richesse du Christ.
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