Du baptême du Seigneur au baptême au nom du Seigneur
Par Louis-Marie Chauvet, Curé de paroisse dans le diocèse de Pontoise et professeur émérite à l’Institut catholique de Paris
En dépit de la ressemblance entre les deux expressions, le rapport entre baptême de Jésus et le baptême en son nom n’est pas évident. Certes, il y a un lien entre les deux, mais le premier n’en est pas moins un baptême « pré-chrétien » …
Pourtant, ce n’est pas ainsi que l’a entendu la tradition liturgique, s’inscrivant elle-même dans le sillage de la tradition biblique… Car le récit du baptême de Jésus par Jean, effectue un lien, implicite certes, mais fort clair entre les deux, lien que la tradition liturgique ancienne déploiera avec une telle force qu’on y verra un véritable « lieu théologique ».
Un fondement pour le baptême chrétien
Arrêtons-nous d’abord sur la tradition biblique. Le récit du baptême de Jésus par Jean est présent dans nos quatre évangiles (fait déjà notable en soi) ; en outre, il y est toujours mis en rapport avec une théophanie. À travers la reconnaissance solennelle, par la voix divine, de Jésus comme « le Fils » et la descente de l’Esprit, le récit ne vise pas seulement à marquer l’importance de ce moment comme celui de l’investiture messianique, mais aussi, semble-t-il, à fonder déjà le baptême chrétien. Telle est en tout cas l’hypothèse formulée naguère par le P. Boismard : la référence de Mc 1, 10 à Is 63, 11 (la « remontée » de l’eau de Moïse sauvé par la fille du Pharaon et le don de « l’Esprit » qui lui est fait), jointe à la référence du même Marc dans Is 63, 19 (la « déchirure » des cieux et la « descente » de Dieu) « permettait de présenter le baptême de Jésus comme le prototype du baptême chrétien. Le jeu de scène de Jésus remontant de l’eau, puis recevant aussitôt l’Esprit, évoquait sans conteste le rite du baptême chrétien. »1
De la mer rouge au Jourdain
Dès lors, un tel récit a pu jouer par rapport au baptême chrétien un rôle analogue à celui de la dernière Cène par rapport à l’eucharistie, même si c’est à un moindre degré. On comprend en tout cas que bien des Églises orientales aient fondé la pratique du baptême beaucoup plus sur ce récit que sur l’ordre exprès du Ressuscité selon Mt 28, comme le fera la scolastique latine du Moyen Âge. On comprend également, dans cette perspective, pourquoi les Églises d’Orient ont rattaché le baptême du Seigneur à la fête de l’Épiphanie (ce dont notre antienne du Benedictus pour cette fête porte encore la trace explicite). « Épiphanie » signifie en effet « manifestation ». Or, c’est à l’occasion de son baptême dans le Jourdain que Jésus fut « manifesté » comme le « Fils bien aimé » chargé de la mission messianique. Selon un thème cher aux Pères de l’Église, il sanctifia alors non seulement les eaux du Jourdain, mais, métonymiquement, toutes les eaux qui serviraient pour le baptême en son Nom… Par ailleurs, le Jourdain faisait l’objet d’une lecture théologique (« typologique ») dès l’Ancien Testament, lecture rattachée à la guérison du païen Naaman dans ce fleuve, et surtout à la figure de Josué (« Jésus ») traversant le Jourdain pour accéder à la terre promise comme Moïse l’avait fait avant lui à travers le passage de la Mer Rouge …
La dimension pascale du baptême du Seigneur
La fête du baptême du Seigneur a donc une forte dimension pascale. Elle a en tout cas inspiré les Pères de l’Église dans son rapport au baptême des chrétiens. Pour ne prendre que cet exemple, Grégoire de Nysse, à la fin du IVe siècle, prononce une longue homélie « pour la fête des Lumière (Épiphanie), où le Seigneur a été baptisé », qui est une véritable catéchèse sur notre propre baptême… Bref, être baptisé, c’est être plongé dans la Pâque du Christ ; c’est refaire son itinéraire pascal. C’est d’ailleurs ce que déclare notre actuelle prière de bénédiction de l’eau baptismale mise en rapport avec le baptême du « Fils bien-aimé par Jean dans le Jourdain »…
—
1. P. Benoit et M.E. Boismard, Synopse des quatre évangiles II, Paris, Cerf 1972, p. 80.