Vêpres de l’Épiphanie : les antiennes du Benedictus et du Magnificat

La Madone du Magnificat Botticelli

La Madone du Magnificat, peinte par Sandro Botticelli vers 1483-1485. Musée des Offices à Florence.

Par Bénédicte-Marie de la Croix Mariolle, Petite Sœur des Pauvres, membre du service de PLS du diocèse de Rennes

Une lecture un peu superficielle de la liturgie de l’Épiphanie confortée par le folklore qui entoure la visite des mages, risque de réduire celle-ci à une aimable méditation des premiers événements de la vie du Christ dans le prolongement de Noël. Or le contenu déconcertant de l’antienne du Magnificat des secondes Vêpres de l’Épiphanie obligent à un regard un peu plus approfondi.

Les antiennes des cantiques évangéliques

Témoins de la liturgie ancienne de l’Épiphanie, telle qu’elle prend forme en Égypte, puis en Gaule au milieu du IVe siècle, avant d’être adoptée par la liturgie romaine, les antiennes des cantiques évangéliques chantées à l’Office reflètent la richesse du contenu primitif de cette fête. Le 6 janvier, en Orient, en Gaule et en Espagne – comme d’ailleurs, à l’origine, le 25 décembre à Rome – célèbre avant tout la « manifestation » (en grec epiphania) du Fils de Dieu dans la chair qui, outre l’adoration des bergers et celle des mages, renvoie encore, selon les traditions, à d’autres événements liés à cet « avènement » (en latin adventus) : le baptême du Christ, les noces de Cana où Jésus « manifesta sa gloire » (Jn 2, 11), ou encore la multiplication des pains.

Si l’Épiphanie romaine, en se démarquant des liturgies orientales, s’est surtout concentrée sur l’adoration des mages, les autres aspects de la « manifestation » du Christ dans la chair n’y sont pas pour autant occultés, comme le montrent la liturgie des Heures, mais aussi la liturgie des jours qui suivent l’Épiphanie : les lectures évangéliques y présentent diverses manifestations du Christ au début de sa vie publique : la proclamation du Royaume et la réalisation des prophéties messianiques (lundi, jeudi), la multiplication des pains (mardi, mercredi), les premières guérisons (vendredi), le Baptême (samedi et dimanche) et les noces de Cana (le 7 janvier et le 2e dimanche du Temps Ordinaire C).

On ne peut saisir le contenu de nos antiennes sans les replacer dans ce contexte.

À travers la triple évocation de l’adoration des mages, du Baptême et des Noces de Cana, elles mettent en lumière deux figures eschatologiques du Christ manifesté au monde : le Roi ; l’Époux.

Le Roi

Par la mention du « signe du grand roi » et celle des présents apportés par les mages, l’antienne du Magnificat des premières Vêpres évoque la royauté du Christ, tout comme l’introït de la messe de l’Épiphanie qui présente son entrée dans le monde comme un avènement royal : « Voici venir le Seigneur souverain ; il tient en main la royauté, la puissance et l’empire ». Mais c’est une royauté paradoxale : le grand roi est un nouveau-né couché dans une mangeoire d’animaux, dont le bois évoque, pour les Pères, la croix sur laquelle le Christ sera « couché », lui qui s’est fait « nourriture » pour nous. Depuis Irénée, les Pères interprètent unanimement les présents des mages comme un triple hommage au Roi (l’or), à Dieu (l’encens) à l’homme mortel (la myrrhe)[1] : c’est donc dans le prisme de l’abaissement du Verbe que la liturgie de l’Épiphanie nous fait contempler la royauté du Christ c’est-à-dire sa souveraineté sur l’univers, fruit de la résurrection (cf. Ph 2, 6-11).

L’Époux

La triple évocation du Baptême, de l’adoration des mages et des noces de Cana dans l’antienne du Benedictus est unifiée par le thème des noces. Le Christ y apparaît comme l’Époux qui vient à la rencontre de l’humanité. C’est un aspect de la liturgie de Noël qui est rarement mis en valeur. Le Baptême est ici présenté, en référence à Ep 5, 25-27, comme le bain nuptial où l’Épouse reçoit l’ultime préparation avant d’être présentée à son Fiancé. Ainsi, à Noël, l’Église peut-elle déjà se considérer comme épousée dans la chair, unie au Verbe de Dieu. Le vin servi au festin des « noces royales » renvoie, selon l’interprétation traditionnelle, au mystère eucharistique où est servi le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle qui rend la joie au monde. Les noces de Cana sont la préfiguration de celles qui devaient s’accomplir à la croix entre le Christ et l’Église et que célèbre chacune de nos eucharisties. De même, les présents apportés par les mages et leur rencontre avec l’Enfant revêtent ici une dimension eucharistique et nuptiale.

L’Église

En dévoilant le visage du Christ, nos trois antiennes dessinent aussi celui de l’Église : Saint Léon le Grand voit dans les mages, figure des Nations, « les prémices de notre vocation et de notre foi »[2]. Comme eux l’Église est invitée à guetter, dans la foi, le « signe du grand roi » et à offrir non plus l’or, l’encens et la myrrhe « mais celui que ces présents révélaient qui s’immole et se donne en nourriture » (prière sur les offrandes). Elle est l’Épouse, « unie à son Epoux », appelée à la vision de Dieu et à la joie des noces éternelles.

« Aujourd’hui »

Ce qui est au cœur de la liturgie de l’Épiphanie n’est donc pas tant le souvenir chronologique des événements que l’actualité de la « manifestation » du Christ dans le monde et de sa venue à la rencontre de l’humanité. C’est ce que souligne avec force « l’aujourd’hui » scandé par nos antiennes. Car, comme le dit la constitution Sacrosanctum Concilium au n° 102 : « ces mystères sont en quelque manière rendus présents tout au long du temps, les fidèles sont mis en contact avec eux et remplis de la grâce du salut ».

La méditation de ces antiennes nous entraîne très loin du souvenir un peu exotique de la visite des mages venus d’Orient. Elles situent plutôt la célébration de l’Épiphanie comme la « manifestation » de « l’aujourd’hui » du salut pour l’humanité, comme l’instauration du Royaume – un royaume qui s’énonce sous le signe de la Croix –, comme un mystère d’alliance par lequel l’Époux se lie pour toujours à notre humanité.

[1] Adversus Haereses, III, 9, 3

[2] Léon le Grand, 3e Sermon pour l’Épiphanie, SC 22, p. 211

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