Quelle musique aujourd’hui pour la psalmodie ?

CitharePar Henri Dumas, Compositeur, professeur à l’Institut de musique sacrée de Lyon

Peut-on penser intellectuellement, dans l’abstrait, une musique pour la psalmodie ? Un ton psalmique peut-il être utilisé pour n’importe quel psaume ? Quelle évolution de la musicalisation des psaumes depuis 50 ans ? Autant de questions qui peuvent être le point de départ de cet article et qui me poussent à mettre par écrit mon expérience, même si elle n’est que modeste et partielle, même si elle ne touche qu’à l’aspect liturgique de la psalmodie, spécialement dans le cadre de l’office monastique, en délaissant délibérément la façon dont certains musiciens contemporains ont mis en musique des psaumes dans leurs œuvres : Messiaen dans « Saint François d’Assise », François Vercken ou Marcel Godard dans « Les combats de Dieu », Jean-Louis Gand dans la « Cantate pour la paix », Christian Villeneuve avec ses « Psaumes chorales », etc.

La question qui me reste est donc celle-ci : Quelle est la musique qui va servir au mieux le chant de tel psaume précis, dans le cadre de tel Office ou de telle célébration, par telle communauté précise, avec ses moyens et ses possibilités propres, et dans tel édifice ?

Une musique pour qui ?

Toutes mes expériences de musicalisation des psaumes pour la liturgie ont été des commandes de communautés précises. Je ne vois pas d’ailleurs l’intérêt de mettre des notes sous un texte de psaume si on ne sait pas par qui cela va être chanté (des hommes ? des femmes ? un soliste ? un chœur ?) et dans quel cadre (quel office ? quelle place dans l’office ? quelle célébration ? dans quel lieu ? dans quelle acoustique ?). On risque fort alors de faire du « passe-partout » qui ne conviendra nulle part. Ces dernières décennies, plusieurs livres de chant des psaumes ont été publiés, qui après quelques essais ont vite terminé leur existence dans le fond d’un placard !

Puisque l’on me demande de livrer mon expérience en ce domaine, je voudrais d’abord dire que je n’ai fait que répondre à des demandes diverses (et souvent dans l’urgence) venant de différentes communautés monastiques, depuis une bonne trentaine d’années.

Tout a commencé pour moi avec l’abbaye bénédictine de Pradines dans la Loire, dans les années qui ont suivi le concile Vatican II. J’étais à l’époque professeur de musique au Collège-Lycée Notre-Dame à Charlieu et maître de chapelle de l’Institution St-Gildas.

L’abbesse de la communauté de Pradines, Mère Marie-Ambroise, musicienne elle-même, recherchait un musicien pour ouvrir le chant de sa communauté aux perspectives que laissait entrevoir l’usage de la langue française. Quelques sœurs commençaient alors à faire des antiennes que nous retravaillions ensemble. Restait la question des tons psalmiques.

Fallait-il garder ou adapter les mélodies issues des huit modes grégoriens ? « À vin nouveau, outres neuves ! » : il me semblait naturel qu’avec la langue française, la langue musicale soit aussi nouvelle.

Les psaumes de l’office

Fallait-il garder une certaine distanciation entre le texte et la musique, mettre des tons neutres qui soient indépendants de la coloration pénitentielle ou laudative du texte ?

Ayant chanté depuis mon enfance, et fait chanter par la suite, des psalmodies en latin puis en français, j’en suis venu peu à peu aux convictions suivantes :

  • Je trouve inutile de reproduire sans fin des tons basés sur les huit modes ecclésiastiques selon des formules simples, certes, et qui ont fait leurs preuves, mais archi-usées, avec en plus le handicap de se réduire à une structure régulière en distiques, avec ou sans flexe, alors que la nouvelle traduction de la TOB[1] répartissait les psaumes en strophes irrégulières de 1 à 6 stiques.
  • Il me semble intéressant de chercher dans les tonalités majeures et mineures ou dans d’autres univers modaux des formules mélodiques qui puissent porter la psalmodie en langue française et respecter la nouvelle structure inégale des strophes (j’avais admiré à l’époque les psalmodies anglaises chantées dans les cathédrales ou les collèges d’Angleterre).

Au départ, c’est l’idée de couleurs qui m’est venue à l’esprit, pour que les psaumes de même style (pénitentiel, par exemple) puissent se chanter sur le même ton. Ainsi naquirent les tons : violet (pénitentiels), blanc (de louange, festifs), rouge, vert, gris, orange…

Dans un deuxième temps, en cherchant ce qui pouvait servir au mieux la cantillation de la psalmodie, j’ai fait une série de tons droits (une note par stique) avec un accompagnement harmonique qui puisse donner un aspect original à la mélodie étalée sur une strophe entière.

Ces tons droits avaient en outre l’avantage de pouvoir s’arrêter sur n’importe quelle note (dans une strophe à 4, on s’arrêtait sur la 4e note, dans une strophe à 5 sur la 5e, et on recommençait la strophe suivante toujours sur la 1e note du ton).

Cette utilisation des tons droits s’avéra d’ailleurs excellente pour faire travailler un chœur monastique (ou une chorale paroissiale) sur la prosodie française. La musique ne posant plus de problème d’attention, c’est vraiment le texte qui prenait la première place.

Une autre demande concernant le chant des petites Heures sur des tons simples a capella, mais qui soient « inusables », m’a amené à écrire quelques tons de 3 ou 4 notes seulement s’appelant les unes les autres. Ces tons « économiques » utilisaient une idée chère au poète Didier Rimaud : un changement de note au milieu du stique sans changement sur la finale.

Cela donne, à l’usage, une impression d’allègement et d’ouverture assez saisissante.

J’ai ainsi écrit une cinquantaine de tons psalmiques qui furent utilisés dans plusieurs monastères.

Je pensais, à cette époque, qu’un même ton psalmique pourrait s’adapter à plusieurs psaumes jusqu’au jour où le monastère de la Paix-Dieu à Anduze (appelé aussi « Cabanoule », du nom du chemin qui y conduit) me demanda de refaire tout leur office de Vêpres et de Laudes de toute l’année : les tons psalmiques et les antiennes de tous les temps liturgiques (Avent, Noël, Carême, Pâques, Temps ordinaire) soit 5 antiennes par psaume sans compter le Sanctoral ! Il me parut alors évident de commencer par la musicalisation des psaumes, afin que chaque ton psalmique soit bien adapté à chaque psaume, à sa structure, à son « climat », à sa place dans l’Office (la progression des Laudes allant souvent de la pénitence à la louange impose que le 3è psaume n’ait pas le même traitement musical que le 1er). L’idée principale était que chaque psaume garde toujours le même ton psalmique (fait pour lui), chaque fois qu’il revenait. Les antiennes, elles, s’adapteraient au ton du psaume qu’elles encadrent et apporteraient la couleur propre à chaque temps liturgique. C’est ce travail qui est actuellement en chantier.

Les psaumes de le messe

Pour le psaume de la messe qui suit la première lecture, les données sont un peu différentes puisque, d’une part la traduction liturgique n’utilise pratiquement que des strophes à 4 stiques (il convient donc que les tons en tiennent compte). D’autre part, le fait que le psaume soit chanté habituellement par un soliste permet la création de tons plus ou moins élaborés (et donc plus ou moins difficiles) selon ceux ou celles pour qui on les écrit.

Je ne crois pas qu’on gagne à mettre des tons simples et sans saveur, sous prétexte que les personnes qui ont à les chanter sont peu formées. Si l’on veut que le psaume soit un moment de lyrisme, que l’assemblée écoute et en fasse sa prière en s’y associant par un refrain plus ou moins responsorial il faut que la musique employée ne soit pas insipide, mais qu’elle ait un caractère innovant et coloré. Il y a là matière à une véritable création…Et ce n’est pas le moment de « faire monastique » !

En conclusion

Faut-il rappeler que, dans le cas de la psalmodie plus qu’ailleurs, la musique est évidemment au service du texte, et qu’elle doit donc tendre à correspondre à ce que le texte dit ou suggère, pour mieux conduire à la prière.

Dans la psalmodie latine, les textes que l’on comprenait plus ou moins supportaient sans conséquences de n’être pas traités musicalement pour eux-mêmes (sauf à la messe, avec les graduels ornés). Les tons psalmiques étaient choisis en fonction de l’antienne (et de son mode) et non en fonction du psaume lui-même. Le passage à la langue française amène les conséquences suivantes :

  • Le texte, maintenant parfaitement compréhensible, ne peut plus guère se chanter sans dommage sur un ton passe-partout. Comment chanter sur le même timbre mélodique le cri de désespoir, la joie du pécheur pardonné et l’émerveillement devant la Création ? C’est évidemment toujours possible et même nécessaire, notamment dans la psalmodie monastique de certaines Heures. Mais on ne peut en rester à cette distanciation par trop désincarnée. Pourquoi la cantillation psalmique échapperait-elle systématiquement à une certaine connivence entre musique et texte ?
  • C’est l’antienne qui devrait désormais dépendre du ton psalmique retenu et non l’inverse.
  • Et même si les modes grégoriens peuvent encore être porteurs de la psalmodie (d’autant qu’il n’existe encore pratiquement que cela) il ne faut pas hésiter à s’inspirer d’autres sources mélodiques et harmoniques pour soutenir la prière des psaumes pour les communautés d’aujourd’hui et de demain. Est-il besoin d’insister sur la qualité de l’accompagnement, qui doit être écrit de façon riche et colorée ?On ne peut se contenter d’une sorte de fond sonore émollient et sans surprise, qui édulcorerait l’aspect mélodique.

La langue et la musique de la prière liturgique se doivent toujours d’être contemporaines de l’expérience humaine et spirituelle des personnes qui la célèbrent ici et maintenant.

1. Principe qu’a suivi le Psautier liturgique œcuménique utilisé dans la liturgie. [NDR]

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