Note théologique sur la présidence de l’assemblée liturgique selon l’ecclésiologie de Vatican II
Par Fr. Bernard Marliangeas, frère dominicain et auteur, ancien membre du CNPL (Centre National de Pastorale Liturgique)
Dans toute célébration, il y a mise en rapport d’une assemblée avec un ministre pour mettre en œuvre les rites liturgiques. Les façons de faire jouer le pôle de la présidence et le pôle de l’assemblée ont varié avec les époques. Elles sont toujours liées à une ecclésiologie.
L’ecclésiologie de Vatican II
Les débats du Concile, on le sait, ont conduit à un renversement de perspective radical par rapport à l’ecclésiologie jusque-là dominante dans l’église catholique. Elle mettait en valeur un schéma descendant de Dieu vers le Christ puis vers l’Église hiérarchique (agissant au nom du Christ) pour arriver jusqu’aux fidèles. C’est une tout autre perspective qui a prévalu à partir du Concile.
Le schéma présenté par la commission préparatoire au concile Vatican Il s’inscrivait encore dans l’ecclésiologie tridentine, les membres de l’Église n’apparaissant alors que comme le fruit de l’action hiérarchique.1
Les Pères conciliaires ont rejeté ce schéma. La Constitution sur l’Église Lumen gentium s’ouvre par une considération du mystère de l’Église et se poursuit par un chapitre sur le Peuple de Dieu, au sein duquel et pour lequel est mise en place une structure ministérielle. Avant tout autre propos, l’Église est donc contemplée dans le dessein de Dieu comme liée au presbytère du Christ et à l’action de l’Esprit. Si elle est dite « Corps du Christ »2, c’est au sens biblique, patristique et médiéval de la communauté des fidèles rattachés au Ressuscité par la foi et les sacrements.
Dans une telle perspective, l’institution hiérarchique intervient comme charisme et comme sacrement. Elle est un moyen au service de la construction du Corps du Christ.
Le décret sur le ministère et la vie des prêtres Presbyterorum ordinis déclare « Ministres de la liturgie, les prêtres y représentent de manière spéciale le Christ en personne »3. Le texte latin utilise ici l’expression « gerere personam Christi » qui relève du vocabulaire technique de la théologie latine.
L’action « in persona Christi », « in persona Ecclesiae »
La spécificité de l’action ministérielle a fait l’objet d’une réflexion soutenue de la part des théologiens en Occident, du Xe aux XXème siècles. L’acquis majeur en ce domaine est lié à l’école dominicaine du XIIème siècle et tout particulièrement à saint Thomas d’Aquin. L’approfondissement de sa réflexion sur économie sacramentelle, et en particulier sur la situation du ministre comme instrument de l’agir même du Christ a conduit saint Thomas à spécifier l’ensemble de l’action sacerdotale ministérielle comme une action « in persona Christi » façon particulièrement heureuse, dans sa concision, de traduire la conscience sans cesse exprimée depuis ses premiers siècles de Église, de ce que, dans les sacrements et dans tout don de grâce, c’est le Christ qui agit. « Dans le gouvernement de ‘Église les pasteurs que le Seigneur a donnés à son Eglise sont les ministres de l’unique Pasteur, le Christ »4.
Le ministre agit aussi au nom de l’Église. En raison même des précisions nouvelles apportées dans l’explicitation de la référence au Christ des actes du sacerdoce ministériel, l’explicitation de leur référence à l’Église a pu, elle aussi, être précisée par saint Thomas comme « in persona Ecclesiae »5. Par cette expression, saint Thomas situe l’action, de façon privilégiée, dans l’ordre de la profession publique de la foi qui unit, dans l’Église, tous les croyants, membres du corps du Christ. C’est tout le culte chrétien qui est perçu par lui, en tant qu’il est acte de l’homme, comme une profession de foi de l’Église » et le rôle spécifique du ministre y est alors d’agir comme « organe » de la communauté priante et croyante6.
Sur tous ces points, les formulations de la Somme théologique représentent un acquis qui deviendra [e bien de toute la théologie latine et elles ont été reprises par les textes de Vatican II7.
Il y a donc spécificité de l’action ministérielle mais entraîne-t-elle prééminence ?
Qu’en est-il de la « présidence » ?
Le terme « présider » est peu utilisé dans les textes conciliaires pour spécifier le rôle des évêques ou des prêtres. Nous n’en avons trouvé que deux usages. Une fois au sujet des évêques « Ils président au nom et place de Dieu le troupeau dont ils sont les pasteurs… »8. Une fois au sujet des prêtres « C’est l’assemblée eucharistique qui est le centre de la communauté chrétienne présidée par le prêtre. »9
Il importe ici de préciser qu’on assimile parfois abusivement la présidence de l’évêque et la présidence du prêtre. Nous ne parlerons ici que de celle du prêtre.
L’insistance première des textes de Vatican Il porte avant tout sur le caractère de service de tout ministère dans l’Église. Ainsi, au sujet des évêques « Cette charge est un véritable service. Dans la Sainte Écriture, il est appelé diaconie ou ministère »10. « L’évêque doit garder devant ses yeux l’exemple du bon pasteur venu non pour se faire servir, mais pour servir »11. Et les textes présentent les prêtres comme « coopérateurs avisés de l’ordre épiscopal dont ils sont l’aide et l’instrument appelés à servir le peuple de Dieu. »12. La Présentation générale du missel romain précise par ailleurs que, au cours de la célébration de la messe « le prêtre » ne prie pas seulement comme président, au nom de toute la communauté, il prie aussi parfois en son nom propre, afin d’accomplir son ministère avec attention et piété »13.
Pendant la liturgie de la Parole, il lui revient d’écouter les lectures comme les autres membres de l’assemblée. « Dans les lectures, la table de la parole de Dieu est dressée pour les fidèles, et les trésors bibliques leur sont ouverts. Puisque, traditionnellement, la fonction de prononcer les lectures n’est pas une fonction présidentielle, mais ministérielle, il convient que, d’ordinaire, ce soit le diacre ou, à son défaut, un autre prêtre qui lise l’Évangile un lecteur lira les autres lectures. Mais à défaut de diacre ou d’un second prêtre, l’évangile sera lu par le prêtre célébrant ».14
Il apparaît donc bien que celui qui préside ne fait pas tout dans l’action liturgique. Chargé de guider la prière, il laisse agir es autres ministres du culte chacun à sa place. Il n’est ni un homme-orchestre, ni une vedette. Lorsqu’il écoute les lecteurs ou le chantre, ou qu’il prie avec tous, il n’est pas en position de s’adresser à l’assemblée. Il n’a aucun besoin alors de se situer en visà-vis, de l’embrasser du regard pendant toute la célébration, sauf à donner l’impression qu’il est supérieur aux autres, ou qu’il les surveille. Le Décret sur le ministère et la vie des prêtres précise (sacrement de l’ordre confère aux prêtres de la Nouvelle Alliance une fonction éminente et indispensable dans et pour le peuple de Dieu, celle de pères et de docteurs : Cependant, avec tous les chrétiens, ils sont des disciples du Seigneur. Au milieu des baptisés, les prêtres sont des frères parmi leurs frères, membres de l’unique Corps du Christ dont la construction a été confiée à tous » Il est alors un des leurs, avec eux, parmi eux, comme le Christ lui- même qui fait monter sa prière vers le Père. Qu’en est-il, dans ces conditions de la présidence liturgique.15
Quels lieux pour la présidence ?
La fonction de présidence, qui demeure un des pôles de l’action liturgique, appelle une mise en œuvre de l’espace.
La Présentation générale du Missel romain donne, à ce sujet, des indications fondamentales en parlant du « sanctuaire » :
« Le prêtre et ses ministres prendront place dans le sanctuaire, c’est-à-dire dans la partie de l’église qui manifestera leur fonction, où chacun, respectivement, va présider à la prière, annoncer la parole de Dieu et servir à l’autel. Ces dispositions, tout en exprimant l’ordre hiérarchique et la diversité des fonctions, devront aussi assurer une unité profonde et organique de l’édifice, qui mettra en lumière l’unité de tout le peuple de Dieu »16. Quelques remarques s’imposent cependant pour bien entendre ce mot « sanctuaire ».
A certaines époques, les clercs ont été tentés de l’isoler complètement du reste de l’église par des murs et des grilles. Les chœurs étaient clos. C’est ainsi qu’ont été construits les « jubés », cloisons de pierre ou de bois séparant le chœur de la nef. Cette séparation, qui s’explique par les conditions historiques de l’exercice du culte, ne correspond guère au sens profond de la liturgie chrétienne redécouvert au XXe siècle.
Comme nous l’ont montré les textes cités plus haut, la théologie de la liturgie développée par Vatican Il invite à mettre en valeur la réalité de l’assemblée chrétienne comme rassemblement où prêtre et assemblée célèbrent ensemble le mystère du Christ, même s’ils ont chacun leur rôle propre à jouer. Quand le concile parle de « sanctuaire », il est incontestable qu’il l’entend dans le sens étroit qui était le sien autrefois. Mais depuis trente ans, le Peuple de Dieu étant déclaré « saint », le sanctuaire peut s’entendre dans un sens plus large, celui de l’ensemble de l’église. Ne parle- t-on pas d’ailleurs couramment d’un « sanctuaire marial » ? Il ne fait aucun doute pour personne qu’il s’agit d’un lieu de culte où se déroule un pèlerinage à la Vierge. L’évolution effective des assemblées et des liturgies depuis Vatican Il estompe la délimitation faite qui existait jadis entre le sanctuaire et la nef : les laïcs entrent dans le sanctuaire pour faire une lecture, animer les chants, ou ils montent à l’autel pour remplir le service de la communion en retour, certains prêtres se placent au premier rang des fidèles pour chanter le Kyrie devant le crucifix, ou pour dire l’oraison d’ouverture tournés vers l’autel. Aucun prêtre n’enlève plus sa chasuble, comme le faisait le prédicateur autrefois, avant de traverser la nef, considérée comme un lieu profane, pour monter en chaire.
Quoi qu’il en soit des manières de faire et des habitudes de chaque communauté, la spécialisation de la présidence se traduit bien sûr dans l’organisation de l’espace. « Le siège du prêtre célébrant doit exprimer la fonction de celui qui préside l’assemblée et dirige sa prière. Par conséquent, il sera bien placé s’il est tourné vers le peuple, et situé à l’extrémité du sanctuaire, à moins que la structure de l’édifice ou d’autres circonstances ne s’y opposent, par exemple si la trop grande distance rend difficile la communication entre le prêtre et l’assemblée des fidèles. On évitera toute apparence de trône. On placera à l’endroit le plus approprié du sanctuaire les sièges pour les ministres, afin qu’ils puissent facilement accomplir la fonction qui leur est confiée ».17
On verra dans les articles qui suivent comment de nombreux emplacements sont possibles. L’important est que le président puise établir un bon contact avec ceux à qui il s’adresse ou au nom de qui il parle. Un micro est le plus souvent nécessaire mais il faut se méfier que l’exigence d’être entendu n’amène le président à rester indûment devant l’autel ou à l’ambon, souvent seuls lieux sonorisés. Non seulement ces deux « lieux » seraient alors détournés de leur sens et de leur fonction en devenant une sorte de tribune (ce qui est très grave), mais il faut aussi que le célébrant puisse se tourner vers l’autel, signe du Christ y aller et en revenir. L’emplacement de son siège est donc également conditionné par la place de l’autel, élément fondamental du dispositif liturgique, par la place de l’ambon.., et par les micros !
En fait dans beaucoup de cas, il paraît peu souhaitable de fixer un emplacement de façon intangible. S’il y a effectivement un « lieu » de la présidence à signifier dans le culte chrétien, il n’est pas dit que ce lieu doive être fixe et immuable. Les moments où le prêtre président est assis à son siège sont précisément ceux durant lesquels il ne signifie pas son service propre de la Parole, de la prière, de l’eucharistie. (Encore que, comme nous le disions plus haut, l’attitude dans laquelle le prêtre écoute l’épître ou le psaume par exemple dit beaucoup de l’importance de la lecture de l’épître et du chant du psaume dans le culte chrétien, et aide le lecteur ou le chanteur à exercer son ministère).
Ainsi le ministère de la présidence n’est-il pas signifié par le siège, mais par les divers actes sacramentels accomplis par le Président. Pratiquement, un siège mobile que l’on peut placer à différents endroits selon les circonstances est une solution tout à. fait envisageable c’est d’ailleurs celle qui est prévue dans le cérémonial des évêques dans le cas des ordinations le « faldistoire » (siècle mobile) est apporté devant l’autel pour les rites de l’ordination, Pour terminer, on peut relire ce passage de la Présentation générale du missel romain : « Le peuple de Dieu, qui se rassemble pour la messe, forme une assemblée organique et hiérarchique, s’exprime par la diversité des fonctions et des actions selon chaque partie de la célébration, Il faut que le plan d’ensemble de l’édifice sacré soit conçu de manière à offrir l’image de
l’assemblée qui s’y réunit, permettre la répartition harmonieuse de tous et favorise – le juste accomplissement de chaque fonction » 18
D’après l’article des Chroniques d’art sacré n°63 « La Présidence », 2000. p.6 à 9
—
1. cf. Lumen pentium, 2-5.
2. LG,7.
3. Décret sur le ministère et la vie des prêtres 13.
4. Somme théologique lia llae, 88, 12, c.
5. cf. par exemple, la llae 103,4 C.
6. cf. lia 64,1.
7. Voir B. Marliangeas : clés pour une théologie du ministère « in persona Ecclesiae », Paris, Beauchesne, 1978.
8. 1G, 20.
9. MVP 5.
10. 1G 24.
11. 1G, 27.
12. 1G, 28.
13. PGMR 13.
14. PGMR 34.
15. MVP, 9.
16. (18) PGMR 257.
17. PGMR 271.
18. PGMR 257.
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Frère Bernard Marliangeas – Note théologique sur la présidence liturgique