Les couleurs du temps liturgique
Par Sandrine Vivier, historienne de l’Art
Dès le IIIe siècle, Clément d’Alexandrie préconise l’emploi de vêtements spécifiques réservés à la prière, au moins pour le clergé. Pendant les siècles qui suivent, les vêtements usuels et ceux utilisés pour la liturgie ne comportent pas de différence formelle fondamentale, mais seulement de destination. Au cours de la « Renaissance » carolingienne, le costume liturgique se constitue vraiment en tant que vestes sacratae. Les premiers formulaires de rites de bénédiction d’objets liturgiques, dont les vêtements remontent au IXe siècle.
La différenciation des couleurs, en fonction des solennités et des temps liturgiques n’est guère sensible avant les IX-Xe siècles. Le code des cinq couleurs liturgiques se voit constitué en autorité par l’article XVIII des Rubricae generales du Missel Romain de 1570 (1). C’est ce canon des couleurs qui est encore employé aujourd’hui.
Le blanc est utilisé pendant le Temps Pascal et le temps de Noël, pour les « fêtes et mémoires du Seigneur qui ne sont pas celles de sa Passion» (2), pour celles de la Vierge Marie, des Anges, des saints (non martyrs), «de la fête de Tous les Saints, de saint Jean Baptiste», de saint Jean, de la Chaire de saint Pierre, de la conversion de saint Paul.
La couleur rouge est réservée au dimanche de la Passion et au vendredi saint, aux fêtes de la Passion, pour célébrer le dies natalis des Apôtres, des Évangélistes et des martyrs. Cela, « à cause du sang de leur passion » (3). Et également pour la Pentecôte, « en raison des langues de feu » (4).
Le vert sert au temps ordinaire, le violet aux temps de l’Avent et du Carême. Il peut convenir aussi pour les funérailles. Le rose peut être utilisé au troisième dimanche de l’Avent et au quatrième dimanche de Carême.
Le symbolisme des couleurs a donc présidé à la constitution du canon des couleurs, inscrivant par là même le vêtement liturgique dans une réalité phénoménologique fondamentale.
Les sœurs du monastère Notre-Dame de la Merci- Dieu, près du Mans ont mis cette composante essentielle du vêtement liturgique au cœur de leur travail de tissage.
Pour elles, une chasuble n’est pas un objet liturgique au même titre que les autres. Il est fait pour être en mouvement. L’attention doit être portée à la souplesse et à la légèreté de l’étoffe, pour que le tombé du tissu permette un mouvement mesuré et juste du célébrant.
Chaque pièce est unique. Ce caractère unique n’est pas dû à un exercice de style ou à une performance technique mais parce que chaque lieu, chaque situation est unique. Tout en gardant à l’esprit que c’est le ministère lui-même qui est mis en valeur.
Parfois, les sœurs de la Merci-Dieu se rendent dans les églises, ou plus souvent travaillent à partir de photographies pour s’inspirer et tenir compte du «génie du lieu». Elles prennent en considération les dimensions de l’édifice; dans une cathédrale, la chasuble du célébrant doit avoir des tons plus affirmés pour être vue de loin. Alors que dans une petite chapelle, la même densité de couleur peut être écrasante.
La tonalité des couleurs doit être déterminée avec soin. Une chasuble peut être verte de mille manières. Or, on ne peut utiliser le même vert dans une église baroque, où les tons « amande » s’accorderont mieux aux ors et à la magnificence baroque que dans une église contemporaine. De même, il faut tenir compte de la lumière au moment de l’action liturgique, du type d’éclairage.
Ainsi les sœurs ont tenu compte dans le choix des couleurs d’une chasuble, du fait qu’au moment de l’Eucharistie, la lumière colorée des vitraux produisait des reflets sur le vêtement et qu’il ne fallait pas favoriser une surenchère chromatique.
Les sœurs préfèrent des « vraies couleurs franches », mais elles disposent d’une gamme très étendue, chaque couleur liturgique peut être déclinée selon quinze tons différents. Des fils de tonalités ainsi proches sont mélangés ensemble, une vibration se crée dans la trame même du tissu.
La couleur franche devient un signe de l’affirmation de ce qui se vit au cours de la liturgie. Les moirés des étoffes peuvent être perçus comme une délicatesse avec laquelle s’énonce la Parole de Dieu, à la croisée de l’universalité de la Bonne Nouvelle et du chemin de foi vécu par chacun d’entre nous. Ainsi, les couleurs rendent présentes hic et nunc «le sens d’une vie chrétienne qui progresse à travers le déroulement de l’année liturgique » (5).
Article extrait de la revue Chroniques d’art sacré, n°79, automne 2004, p 13-14
1. Note de Jean-Yves Hameline.
2. PGMR, 308.
3. Innocent III, Traité sur la messe.
4. Ibid.
5. PGMR, 307.
Télécharger l’article complet en PDF :