Noël, événement de l’Histoire et mystère du Salut
Par André Haquin, Prêtre du diocèse de Namur (Belgique)
Noël est-il le jour anniversaire de la naissance historique de Jésus de Nazareth ? La date fixe de la fête (25 décembre) et le mot latin Natale ou Natalis dies (« jour anniversaire », en français « Noël ») pourraient le laisser croire. Ce serait toutefois négliger l’élément symbolique de cette fête, son lien au solstice d’hiver, à la lumière qui grandit et annonce la venue du printemps. C’est ce même jour du solstice qui avait été choisi pour la fête romaine (païenne) du Sol invictus, le « Soleil invaincu » ou « victorieux » des ténèbres.
Noël est-il la christianisation de la fête du Sol invictus ?
On dit trop facilement que l’Église a repris des fêtes païennes et les a « baptisées » ou christianisées, bref que les fêtes chrétiennes sont la prolongation des cultes préchrétiens. Autre chose est d’avoir choisi le jour de la fête du soleil pour célébrer entre chrétiens la naissance du Fils de Dieu. Autre chose est de penser que les chrétiens ont rendu un culte à l’astre du jour.
La liturgie de Noël est centrée sur le Christ, essentiellement dans l’eucharistie et l’office de louange où résonnent les psaumes et les Écritures. Toutefois, l’Église a compris qu’il fallait prendre en compte l’attachement séculaire des nouveaux convertis à l’astre majeur du cosmos. Ne rythme-t-il pas les saisons ? Ne conditionne-t-il pas la naissance des troupeaux et l’abondance des moissons ? De la même manière, le dimanche est appelé à la fois « Jour du Seigneur » et « premier jour de la semaine » qui chez les Romains était le « Dies solis » ou jour du soleil.
Comme l’a écrit Dom B. Botte, « les solennités païennes ne sont pas étrangères aux origines de la fête chrétienne », mais « il serait excessif de penser que les chrétiens ont célébré la fête du soleil ». Noël est la fête du Fils de Dieu « lumière du monde », « astre d’en haut pour illuminer ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort » (Luc 1, 78-79) ou encore « lumière qui se révèle aux nations » (Luc 2, 32).
Événement de l’Histoire et mystère du Salut
Noël nous rappelle un événement essentiel de l’histoire, à savoir la venue du Fils de Dieu parmi nous, son entrée dans la condition humaine. L’Église n’a cessé de combattre le gnosticisme et le docétisme qui minimisaient, voire refusaient la réalité humaine du Fils de Dieu « né de la Vierge Marie ». Oublier l’origine divine du Christ ou sa nature humaine met le salut en porte-à-faux. C’est le sens du « merveilleux échange » de Noël : le Fils de Dieu devient homme pour que les hommes deviennent enfants de Dieu.
Noël est donc plus que le rappel d’un événement historique ; il célèbre le mystère de l’Incarnation, mystère du salut dans le Christ, l’unique Sauveur. Outre les raisons d’ordre culturel, d’autres raisons d’ordre intra-ecclésial (dogmatique) expliquent la naissance de la fête de Noël au IVe siècle. C’est en effet l’époque des grands conciles christologiques, en particulier Nicée (313), Constantinople I (381), Éphèse (431) et Chalcédoine (451).
Ce dernier mérite d’être cité :
« A la suite des saints Pères, nous enseignons tous unanimement à confesser un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, parfait en sa divinité, parfait en son humanité, vraiment Dieu et vraiment homme, composé d’une âme raisonnable et d’un corps, consubstantiel au Père par sa divinité, consubstantiel à nous par son humanité, ‘en tout semblable à nous, sauf le péché’ (Hébreux 4, 15) »1
Les subtilités des conciles étaient peu accessibles au peuple chrétien. La sagesse de l’Église du IVe siècle a été de créer une fête liturgique pour que les fidèles puissent célébrer le Fils unique du Père, le Sauveur de tous, né de la Vierge Marie. Le sommet des fêtes de Noël est l’évangile de Jean « Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité » (Jean 1, 14). La lex orandi (liturgie célébrée) est une fois encore porteuse de la lex credendi (foi proclamée).
De Noël à Pâques
La fête de Noël et son octave, l’épiphanie et le baptême du Seigneur, mais aussi la fête de la maternité divine de Marie (1er janvier) et le dimanche de la Sainte Famille baignent dans la lumière de la Nativité et du mystère de l’Incarnation.
À leur manière, toutes ces célébrations sont une sorte d’« épiphanie » progressive du Seigneur. Elles montrent comment le Fils de Dieu s’est « manifesté » parmi nous, comment il est « apparu » à ses semblables, leur a parlé, a manifesté la bonté de Dieu à travers ses paroles et ses gestes de salut. La venue des mages manifeste que les païens, aimés de Dieu, sont appelés au même héritage. Le baptême dans le Jourdain fait entendre la voix du Père déclinant l’origine et l’identité du Sauveur : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Écoutez-le ». Lorsque le Christ enseigne les Béatitudes, il se présente comme le Fils entièrement accordé à son Père. Lorsque Dieu ressuscite son Fils au matin de Pâques, il témoigne de sa condition divine, s’il le présente aux hommes comme le témoin fidèle, il le constitue Juge (Sauveur) et Seigneur de l’humanité entière.
Célébrer Noël, c’est prendre le chemin de Pâques : celui qui ressuscite d’entre les morts n’est-il pas l’Envoyé par lequel Dieu a parlé aux hommes, celui qui est né de la Vierge Marie ?
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1. G. Dumeige, La Foi catholique, Paris, 1961, p. 197.