Le temps ordinaire, un espace pour une conversion paisible
Par Serge Kerrien, diacre du diocèse de Saint-Brieuc-Tréguier et conseiller pastoral au SNPLS
L’année liturgique présente, dans sa structure, une alternance de temps forts, nettement caractérisés, et de temps dits « ordinaires ». Ces temps ordinaires n’ont cependant rien de quelconque. On n’y célèbre pas un aspect particulier du mystère chrétien, mais on y chemine au fil des jours vers le Père, dans la lumière du Christ, accompagnés par l’Esprit. Alors, même si ces temps ne comportent pas d’invitation forte à la conversion, comme le font le carême et, à un degré moindre, l’Avent, ils n’en sont pas moins une invitation à la conversion.
Temps ordinaire et conversion
On pourrait penser que l’année liturgique est un cycle fermé qui se répète d’année en année. Il n’en est rien parce que, si elle se répète, ce n’est jamais de façon identique. Mémorial qui célèbre, au cours des trois années, les merveilles du salut accompli par Dieu en Jésus Christ, l’année liturgique ne regarde pas seulement vers le passé. Elle est orientée vers un terme : la venue du Seigneur dans la Gloire, à la fin des temps. Toute la vie chrétienne est orientée vers le retour du Christ et ce désir de la rencontre du Christ et du face à face avec Dieu demande au chrétien un enrichissement progressif de sa foi, de son lien avec Dieu, c’est-à-dire une conversion permanente. Le temps ordinaire offre cette possibilité et invite, dans la fidélité à l’Évangile, à mourir à tout ce qui entrave la liberté que le Christ a inauguré au matin de Pâques. Même célébré plus globalement dans le temps ordinaire, le mystère du Christ est un appel permanent à la conversion et à l’accueil de la grâce qui, seule, peut nous convertir.
A la lumière d’Emmaüs
Le premier chemin de conversion est l’eucharistie, non pas tant en raison des nombreuses demandes de pardon qui la jalonnent, mais bien plus parce qu’elle est écoute et accueil de la parole pardonnante de Dieu et participation à la communion de vie qu’elle instaure en Jésus Christ. En actualisant le mystère de Pâques, l’Eucharistie rend présent le double mouvement du salut : arrachement de l’homme au mal et don d’une vie nouvelle dans l’amour. L’expérience des disciples d’Emmaüs est éclairante. Enfermés dans leur désespoir et leur sentiment d’échec, ils s’enfoncent dans l’impasse de la nuit. Le Christ vient à leur rencontre, éclaire leurs vies par l’Ecriture et les conduit progressivement vers le désir d’une rencontre sacramentelle qui leur ouvre les yeux. Alors, le cœur brûlant, ils repartent à Jérusalem pour annoncer la Bonne Nouvelle de la résurrection. Ils ont vécu un retournement intérieur, c’est-à-dire une conversion qui en fait les témoins du Ressuscité. Cette expérience est celle que nous propose chaque eucharistie. Ainsi, pas à pas, de dimanche en dimanche, nous sommes invités à entendre la Parole, à faire Eglise avec les autres et à recevoir la grâce sacramentelle pour convertir nos comportements et enrichir notre foi. Cela suppose un arrachement à ce qui nous préoccupe immédiatement pour entrer dans la préoccupation de Dieu : le salut pour tous. Cela exige une réelle conversion, une transformation intérieure.
Des chemins multiples
Si l’eucharistie est le premier chemin de conversion que nous proposent les dimanches du temps ordinaire, il ne faudrait pas oublier les autres chemins que sont la liturgie des heures et les exercices de piété.
Centrée sur la parole de Dieu, entendue dans l’Eglise à partir de l’Ecriture, la liturgie des heures est un lieu privilégié du dialogue fructueux entre Dieu et son peuple. Elle s’inscrit, parce qu’elle est mémorial de l’Alliance, dans le mouvement pascal eucharistique de la vie du Christ. Véritable école de foi, elle transforme l’homme à travers les psaumes, les textes comme autant d’expériences humaines que l’Eglise nous propose de méditer pour que, de nos cœurs, jaillisse la louange à Dieu qui nous donne le chemin du salut et nous incite à convertir nos cœurs.
Quant aux exercices de piété, (l’adoration eucharistique, le chapelet, le chemin de croix, les pèlerinages, etc…) ils sont autant de chemins ordinaires de conversion. On rétorquera qu’ils ne sont pas typiques du temps ordinaire et qu’ils peuvent trouver place tout au long de l’année liturgique. Sans doute, mais le temps ordinaire, plus paisible, moins chargé en célébrations particulières, permet aux exercices de piété de trouver plus facilement leur place. Ils seront chemins de conversion à condition que leur mise en œuvre respecte l’intention de l’Eglise. Prenons l’exemple du chapelet. Avant chaque dizaine, un des aspects du mystère du Christ est annoncé et on lit la parole de Dieu qui lui correspond. C’est alors la parole de Dieu méditée qui ouvre le cœur des fidèles à la conversion. Quant à l’adoration eucharistique, le rituel rappelle qu’elle comporte une liturgie de la Parole servant à alimenter la prière personnelle. Le but de l’adoration est que les fidèles « pratiquent par toute leur vie ce que la célébration de l’Eucharistie leur a fait saisir par la foi… » et « que chacun s’empresse d’accomplir de bonnes œuvres et de plaire à Dieu… » (Rituel de l’Eucharistie en dehors de la messe n° 81) C’est clairement une invitation à la conversion.
Ainsi, toute annonce évangélique éclaire la vie humaine de la lumière pascale ; tous les lieux de cette annonce sont des appels à la conversion. Le temps ordinaire, par ses multiples portes d’entrée, révèle la vie du disciple comme un lieu de passage du Christ, un mouvement permanent et paisible où le fidèle se laisse entraîner par le Seigneur sur des chemins nouveaux. Avec les autres temps qui appellent parfois plus fortement à la conversion, il tourne le baptisé vers l’avenir : la rencontre avec le Christ et le face à face avec Dieu qui seront son accomplissement.
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S. Kerrien – Le temps ordinaire, un espace pour une conversion paisible