Complies : « À toi ces derniers mots du jour ! »
Par Bénédicte Ducatel, Collaboratrice à Magnificat
« Complies est la dernière prière du jour, à faire avant le repos de la nuit, même après minuit le cas échéant[1]. » Dernier acte de prière, les Complies ramassent en un bouquet serré toute la dispersion du jour et le dépose entre les mains du Créateur. La nuit, comme une mort à toutes occupations, vient refermer sur la vie son manteau de sommeil : demain, si Dieu le veut, nous quitterons le tombeau de la nuit pour nous lever dans le matin du jour nouveau.
Le mystère pascal
Si les prières du matin et du soir célèbrent la lumière du salut, naissant et donné, la prière des Complies nous place de manière très particulière devant le mystère pascal. Elle nous situe au seuil du Passage de la mort à la vie. Elle nous fait goûter et expérimenter cet abandon de nous-mêmes dans la confiance : il appartient à Dieu seul de nous relever au matin, « Jusqu’à demain, si se lève l’aurore, je t’abandonne mon esprit » dit l’hymne du samedi soir. Le déroulement habituel de la vie gomme cet aspect que la prière chrétienne met en avant : la vie est un don qui se reçoit matin après matin.
Les psaumes choisis pour la prière des Complies sont tous liés au mystère pascal. Ils forgent en nous l’espérance du salut et nous invitent à traverser la Croix avec le Christ. Les deux psaumes utilisés depuis l’antiquité sont le psaume 4, chanté le samedi soir, et le psaume 90, chanté le dimanche soir. En chacun d’eux on peut entendre le Christ remettant sa vie entre les mains du Père : « Dans la paix moi aussi, je me couche et je dors, car tu me donnes d’habiter, Seigneur, seul dans la confiance » (Ps 4, 9), « Il m’appelle et moi je lui réponds ; je suis avec lui dans son épreuve […] je ferai qu’il voie mon salut » (Ps 90, 15-16). Le Christ s’abandonne sur la croix « dans la paix », dans la « confiance » parce que le Père « lui répond » en lui faisant voir le salut dans la résurrection. Avant la réforme du concile Vatican II, ces deux psaumes étaient repris en alternance chaque jour par les moines, c’est le cas encore aujourd’hui dans beaucoup de monastères.
Depuis la réforme, six autres psaumes ont été ajoutés :
– lundi, Ps 85 « Sauve ton serviteur qui s’appuie sur toi » (v. 2) ;
– mardi, Ps 142 « Fais que j’entende au matin ton amour, car je compte sur toi » (v. 8) ;
– mercredi, Ps 30 (I), « en tes mains je remets mon esprit » (v.6) et Ps 129 « Des profondeurs je crie vers toi » (v. 1) ;
– jeudi, Ps 15 que nous chantons la nuit de Pâques « Tu ne peux m’abandonner à la mort, ni laisser ton ami voir la corruption » (v. 10) ;
– vendredi, Ps 87, le seul psaume de tout le psautier qui ne contienne pas de formule de louange, « Mon Dieu et mon salut, dans cette nuit je crie en ta présence » (v. 2) « tu éloignes de moi amis et familier ; ma compagne, c’est la ténèbre » (v.19). Ce psaume, chanté le vendredi soir, nous fait faire l’expérience du vide de la mort et nous invite à entrer dans la confiance : Dieu réalise sa promesse quelque soit la profondeur des ténèbres.
L’abandon
La parole de Dieu proclamée pendant la prière est très courte, comme un éclat d’espérance qui donne la possibilité de dire l’unique répons bref qui caractérise la prière des Complies : « En tes mains, Seigneur, je remets mon esprit ». Toute la prière est concentrée dans ce répons qui reprend la parole du Christ donnant sa vie sur la croix. Chaque jour le verset change, synthétisant le contenu du psaume du jour et permettant de proclamer notre foi dans le salut : « Tu es le Dieu fidèle qui garde son alliance ; sur ton serviteur que s’illumine ton visage ; c’est toi qui nous rachète, Dieu de vérité ; écoute et viens me délivrer ; tu vois ma misère et tu sais ma détresse ; Je suis sûr de toi, tu es mon Dieu ; mes jours sont dans ta main, sauve-moi. »
La confiance
Faire mémoire du mystère pascal implique d’entrer dans cette confiance filiale que le Christ a montrée tout au long de sa vie et de sa Passion. Pour chanter cette confiance, l’Église nous donne le beau cantique de Syméon : « Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser son serviteur s’en aller ». C’est bien ce que nous faisons au moment d’aller dormir, mais nous le faisons paisiblement car l’espérance nous habite : dans la foi, nos « yeux ont vu le salut » et la « lumière ». Nous savons et nous croyons que Dieu a ressuscité le Christ et que par lui, nous pouvons « échapper à l’ombre de la mort et parvenir à la lumière éternelle » (Oraison du vendredi soir).
Peut-être est-ce parce que nous demandons à la Vierge Marie de prier « pour nous maintenant et à l’heure de la mort », qu’après avoir conclu la prière qui scelle nos vies pour ce jour, nous nous tournons vers cette mère de miséricorde. Puis nous entrons dans le grand silence où Dieu fait son œuvre de grâce : « En toi, Seigneur, nos vies reposent ».
Article extrait de Voix Nouvelles n°77
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1. Présentation générale de la Liturgie des heures (PGLH), n° 84.
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